menu

Accueil > Comprendre la Révolution > Ses différents aspects et conquêtes > 1792 : Les élections des députés à la Convention : naissance du suffrage (...)

1792 : Les élections des députés à la Convention : naissance du suffrage universel

mardi 28 janvier 2020

« La nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non. […] Et quelle aristocratie ! La plus insupportable de toutes, celle des riches ! »

1792 : LES ELECTIONS DE LA CONVENTION, NAISSANCE DU SUFFRAGE UNIVERSEL POUR LA PREMIERE REPUBLIQUE.

Robespierre s’est battu à la Constituante contre la mise en place du suffrage censitaire qui permettait aux classes possédantes de conserver le pouvoir politique en éliminant la participation du peuple. En 1791, dans un discours contre le marc d’argent, Robespierre affirmait : « La nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non. […] Et quelle aristocratie ! La plus insupportable de toutes, celle des riches ! » [1]

L’insurrection des sans-culottes le 10 août 1792 qui met à bas la monarchie en s’emparant des Tuileries est l’événement fondateur de la 1re République et du suffrage universel. [2]

La Législative finissante décide l’élection d’une Convention, assemblée qui confirmera la déchéance du Roi, et établira la fondation d’un nouveau régime ainsi qu’une nouvelle Constitution.

Élire les futurs députés de la Convention dont la première séance est fixée au 20 septembre 1792 devient donc la priorité. Le suffrage universel est, pour la première fois instaurée.

Les décrets des 11 et 12 août 1792 définissent les règles et le corps électoral. « La distinction des Français entre citoyens actifs et non-actifs sera supprimée, et pour y être admis, il suffira d’être Français, âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu et du produit de son travail, et n’étant pas en état de domesticité [3]. » Le mode de scrutin est toutefois assez complexe, à deux degrés. Des assemblées primaires se tiennent dans les chefs-lieux de cantons le dimanche 26 août 1792 afin d’élire des électeurs qui voteront ensuite pour nommer les députés du département à la Convention.

Ainsi, dans le Pas-de-Calais, les assemblées primaires se tiennent dans les districts d’Arras, Bapaume, Béthune, Boulogne-sur-Mer, Calais, Montreuil, Saint-Pol et Saint-Omer.

Jean-Pierre Jessenne observe, à partir du district de Saint-pol que le poids politique des urbains et des artisans se renforce aux dépens des campagnes et du pouvoir érodé de la « fermocratie  [4] » avec un renouvellement important des individus.

Du 2 au 10 septembre 1792, se déroule l’élection des députés du Pas-de-Calais à la Convention dans l’église de Calais. Trois sont élus dès le premier tour de scrutin, Robespierre le premier par 412 voix sur 721 votants. « Ce citoyen incorruptible auquel tous les départements se disputeront la gloire de rendre hommage [5]. » Carnot et Duquesnoy suivent. Huit autres députés sont ensuite élus après plusieurs tours de scrutin : Lebas, Paine, Personne, Guffroy, Enlart, Bollet, Magniez et Daunou. Cinq suppléants sont également désignés, les quatre premiers siègeront à un moment donné à la Convention comme remplaçants de titulaires : Varlet, Lebon, Du Broeucq, Garnier et Grenier de Violaines.

Robespierre déclinera son élection dans le Pas-de-Calais, ayant opté pour Paris où il est élu premier député avec 338 voix sur 525 votants. Les chefs de la Montagne sont ensuite élus eux aussi députés de Paris : Danton, Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne, Marat, Augustin Robespierre, David notamment. Les Girondins se font élire en Province.

Les historiens ont souvent insisté sur les limites de cette première élection au suffrage universel : un corps électoral qui reste inaccessible aux femmes, aux domestiques et aux chômeurs. L’abstention frise les 90 % des inscrits, particulièrement élevé dans les campagnes. Selon Michel Vovelle la faute incombe à un scrutin compliqué qui implique « une longueur et des opérations étalées sur plusieurs jours. [6] » De plus, la situation du pays, en guerre, est explosive. L’ennemi autrichien et prussien envahit la France et s’est emparé de Verdun le 2 septembre, Roubaix le 5.

A Paris l’affolement provoque les massacres de septembre. Bien difficile dans ces circonstances de faire campagne et de motiver les futurs électeurs. Marc Bouloiseau insiste sur le manque de préparation de ces nouveaux électeurs populaires toujours précédemment tenus à l’écart de la vie politique. « Trois à quatre millions de passifs acquéraient une citoyenneté à laquelle ils ne semblaient pas préparés. [7] »

On estime donc à seulement 700 000 les électeurs des assemblées primaires sur un corps électoral de 7 millions d’inscrits. Les 749 députés élus à la Convention sont donc tout naturellement issus de la bourgeoisie. Ils se diviseront pourtant entre Montagnards et Girondins.

Deux premiers ouvriers sont cependant élus députés. Ce sont Jean-Baptiste Armonville (1756-1808), dans la Marne, ouvrier cardeur de laine et Noël Pointe (1755-1825), dans le Rhône-et-Loire, ouvrier armurier.

L’élection d’une assemblée révolutionnaire au suffrage universel doit être considérée comme historique et annonciatrice de toutes les avancées citoyennes, démocratiques et politiques des siècles suivants. Elle est fondatrice de la démocratie moderne inspirée des thèses et des luttes de Rousseau, de Robespierre, des philosophes des Lumières et des révolutionnaires.

Les 20 et 21 septembre 1792, lors de ses premières séances, la Convention votera l’abolition de la royauté et l’instauration de l’an I de la République, une et indivisible, notamment par les interventions décisives de Collot-d’Herbois et de Billaud-Varenne. Naturellement, la question économique et sociale, fondamentale pour l’émancipation du peuple restait à traiter. Naturellement, la lutte contre ces Girondins défenseurs du négoce libéral allait être tellement rude que Robespierre dira, plus tard, que « la République s’est glissée furtivement. [8] » (8)

Il n’en reste pas moins que ces mois d’août-septembre 1792 qui fondent une République votée par des députés élus désormais au suffrage universel grâce à la victoire du peuple révolutionnaire sur la monarchie sont absolument décisifs dans l’Histoire. Évoquant les élections des Conventionnels Le grand historien Marc Bouloiseau écrira « Pour la première fois le peuple se manifesta. [9] »

Bruno DECRIEM. 


[1Robespierre, Écrits, présentés par Claude Mazauric, Éditions Sociales/Messidor, 1989, 374 P., P. 96-100.

[2Michel Vovelle, La chute de la Monarchie 1787-1792, Éditions Points-seuil, 1972, 277 P.

[3Décret des 11-12 août 1792 relatif à la formation des assemblées primaires pour le rassemblement de la Convention Nationale.

[4Jean-Pierre Jessenne, Pouvoir au village et Révolution Artois 1760-1848, Presses Universitaires de Lille, 1987, 308 P., P. 86-89 : De l’autorité conférée au pouvoir élu.

[5www.archivespasdecalais.fr (2 au 10 septembre 1792 : élection des députés à la Convention nationale.)

[6Michel Vovelle, La découverte de la politique Géopolitique de la Révolution française, Éditions de la Découverte, 1992, 363 P.

[7Marc Bouloiseau, La République Jacobine 10 août 1792-9 thermidor an II, Éditions Point-seuil, 288 P., P. 56-58 : La Convention nationale et les rivalités politiques.

[8Œuvres complètes de Maximilien Robespierre, discours 27 juillet 1793-27 juillet 1794, tome X, Presses Universitaires de France, 1967, 655 P., P. 500 : 3 messidor an II-21 juin 1794.

[9Marc Bouloiseau, op. cit., P. 57.