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1796 : G. babeuf « La conjuration des Égaux »

mercredi 1er juillet 2015

Cet article est paru dans le n°22 de l’Incorruptible pour le bicentenaire de l’exécution de BABEUF.

1796 « LA CONJURATION DES ÉGAUX »



C’est en prison, à Arras, que Babeuf l’avait conçue.

Certains s’étonnent de ce que nous persistions à inscrire notre activité dans le cadre du « Bicentenaire de la Révolution » que tout le monde, ou presque, a rangé aux oubliettes. Patience, disons-nous il y a encore du grain à moudre. Comment, par exemple, pourrions nous faire silence sur « la Conspiration des Egaux » [1] et sur Babeuf en ce printemps 1996 ? Nous marquerons le double anniversaire de la Conjuration et de l’arrestation de Babeuf par l’évocation de deux périodes de la vie de notre glorieux voisin picard, où il eut à connaître notre capitale artésienne.

DE 1785 à 1788 : UNE RICHE CORRESPONDANCE AVEC L’ACADÉMIE D’ARRAS

C’est à propos de questions foncières que François Noël Babeuf (il n’a pas encore choisi de se prénommer Gracchus), va correspondre avec Dubois de Fosseux, secrétaire de l’Académie Royale d’Arras, aristocrate « éclairé » (il sera le premier Maire élu d’Arras).

Agé de 25 ans, Babeuf est « Commissaire à terrier » à Roye, en riche terre picarde. « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble » dira-t-il. Jusqu’en avril 1788, près de 120 lettres [2] seront échangées et cette importante correspondance va beaucoup contribuer à élargir le champ de réflexion de Babeuf, même si le seigneur de Fosseux reste bien en retrait des idées avancées du jeune feudiste [3] picard.Dès le premier sujet abordé : « Est-il utile en Artois de diviser les fermes ou exploitation des terres » ?, Babeuf avance l’idée audacieuse de « fermes collectives » et de « communauté de travaux »

En 1787, enthousiasmé par une brochure qui parle « d’extirper radicalement les causes de la misère qui existe partout et de changer le monde entier », il réplique au scepticisme affiché par l’académicien arrageois, en évoquant ; « un peuple ou régnerait la plus parfaite égalité... où le sol ne fut à personne mais appartint à tous, où tout fut mis en commun jusqu’aux produits de tous les genres d’industrie. »

La préparation des Etats Généraux (qui verra à Arras Dubois de Fosseux s’opposer farouchement à Robespierre) va définitivement interrompre cette correspondance.

SIX MOIS DE FRUCTUEUSE RÉFLEXION DANS LA PRISON D’ARRAS.

Fougueux révolutionnaire, Babeuf se retrouvera en prison en I790 puis en 1791. Élu administrateur de la Somme en 1792 son zéle lui vaudra de devoir s’enfuir à Paris en janvier 1793, où il sera à nouveau emprisonné de novembre 1793 à juillet 1794. Adversaire de Robespierre, il va bientôt réviser son jugement et rejoindre le camp des « robespierristes » où il se lie avec Buonarroti..

Dans le « Tribun du Peuple » le journal qu’il fonde en1794, Babeuf se fait le porte parole des « républicains prononcés’ » restés fidèles aux idéaux de la Révolution. Il gagne la sympathie du peuple au point d’effrayer le Directoire.

Arrêté, une fois de plus, le 7 février I795 à Paris, il sera transféré à Arras, dans la prison des Baudets (du nom de la rue où elle se trouvait —aujourd’hui rue Briquet-Taillandier—). « Les prisons ont toujours été l’école des Révolutionnaires » a écrit Claude Mazauric [4]. De 1793 à sa mort, Babeuf n’a connu que 14 mois de liberté. Mais c’est surtout emprisonné à Arras qu’il affermira ses idées sur la « Révolution sociale » à laquelle il aspirait depuis longtemps. À l’occasion d’une intense correspondance avec Germain, un éminent compagnon de lutte, et avec les « Sans-Culottes » du Pas-de-Calais, emprisonnés comme lui, il élabore progressivement son programme. On en retrouvera l’essentiel dans son «  Manifeste des plébéiens » publié peu après sa libération. « Nous prouverons, y écrit-il, que le territoire n’est à personne mais qu’il est à tous [...] tout ce qu’un individu en accapare au-delà de ce qui peut le nourrir est un vol social ».

Transféré d’Arras à Paris, puis libéré en octobre 1795, Babeuf décide, avec Germain, Darthé, Buonarroti que l’action contre le Directoire est urgente en cet hiver de l’an IV ou la misère et la famine tuent les malheureux par milliers. Ils sont convaincus que seule une préparation clandestine peut préparer le soulèvement qui renversera le gouvernement.

C’est le 30 mars I796 que se constitue « le Directoire secret de salut public » (ou « Comité Insurrectionnel »)

C’est le 10 mai 1796, que Babeuf et ses compagnons, trahis par Grisel [5] introduit parmi eux par Lazare Carnot, seront cueillis par la police.

La Conjuration a échoué. Babeuf et Darthé seront condamnés à mort par la Haute Cour siégeant à Vendôme. Ce sont leurs corps ensanglantés qu’on trainera à la guillotine car ils se sont poignardés dans leur cellule après lecture de la sentence. Babeuf avait 37 ans. Darthé 26 ans.

LA FORTE INFLUENCE DE BABEUF DANS LE PAS DE CALAIS

Augustin Darthé, fidèle à Babeuf jusqu’à la mort, était né à Saint-Pol-sur-Ternoise. Il y avait été élu au Directoire du Département et avait joué un rôle important dans la répression de la « Petite Vendée de Pernes  [6] » aux côtés de son beau-frère, Lebon. C’était un orateur remarquable.

Il y eut aussi des Audomarois très liés à Babeuf, incarcérés avec lui « aux Baudets » comme Cochet, Tafforeau, Toulotte, qui occupèrent des responsabilités assez élevées. [7] Le «  Tribun du Peuple », fit de nombreux adeptes dans notre département y compris chez des républicains notables. Cette popularité de Babeuf irrita particulièrement les riches bourgeois d’Arras qui manifestèrent bruyamment leur joie le jour de son arrestation le 10 mai 1796. Ils obtinrent de la municipalité qu’elle fasse sonner la plus grosse cloche du beffroi, une heure durant, pour fêter l’événement. Ils ne pouvaient supporter que Babeuf, après Robespierre, aspirât au bonheur commun et à l’égalité parfaite, au point d’y avoir l’un comme l’autre, sacrifié leur vie.

Quand, en 1796, Babeuf fut arrêté, Dubois de Fosseux, était en poste à Paris au Ministère de Lazare Carnot. On ignore ce qu’a pu être l’attitude de l’ancien secrétaire de l’Académie d’Arras à l’égard de son correspondant d’autrefois.

1996 


[1dont Albert Soboul a écrit « qu’elle ne pouvait se mesurer qu’à l’échelle du XX° siècle ».

[2La correspondance de Babeuf avec l’académie d’Arras’ a été publiée par Marcel Reinhard en 1961 et l’ouvrage figure à la bibliothèque de l’ARBR.

[3Personne s’occupant de droit féodal.

[4
Claude MAZAURIC, Babeuf. Écrits. Textes choisis de Gracchus Babeuf, introduction nouvelle, annotations, sources et travaux par Claude Mazauric, Pantin, Le Temps des cerises, 2009 (1965), 418 p

[5Le capitaine Georges Grisel né à Abbeville en 1765. Il a été récompensé par Carnot d’une gratification de 10.000 F. et d’un mandat de 3 000 livres ’pour service rendu à la chose publique’, puis en l’an VIII d’une place d’adjudant de place. Devenu royaliste il meurt en 1812 adjudant de la place de Nantes.

[6SANGNIER G., La Terreur dans le district de Saint-Pol (10 août 1792-9 thermidor an II), Blangermont, chez l’auteur, 1938, 2 volumes, 424 et 408 p., BHB 540.

[7LESCUREUX Christian : un prochain article pour l’ARBR donnera les biographies des compagnons de Babeuf du Pas-de-Calais : Cochet Darthé, Taffoureau et Toulotte