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A. Assini, l’auteure de « Un caffè con Robespierre », répond aux questions de l’ARBR.

Comment Robespierre a-t-il inspiré l’auteure ? Comment « l’Incorruptible »est-il perçu, aujourd’hui, en Italie ?

mercredi 9 novembre 2016

Maison de Robespierre. Arras
Vue ancienne (Archives du PdC)

Ecrivain de romans historiques et aquarelliste reconnue, Adriana Assini vit à Rome, sa ville natale.

A part Un caffè con Robespierre (Un café avec Robespierre) qui a obtenu la seconde place du prestigieux Prix L’Iguana 2016, de l’Institut des Etudes Philosophiques de Naples et le prix L’Unicorno de Rovigo, pour le meilleur roman historique de l’année, elle a publié une dizaine de romans dont Le rose di Cordova (Les roses de Cordoue), une biographie revisitée de Jeanne 1re de Castille dite la Folle, qui est sortie également en Espagne où elle fut l’objet de thèses de doctorat.

En 2015, l’Université de Séville a organisé un congrès sur l’ensemble de son œuvre.

Ses aquarelles ont été exposées à Londres, Bruxelles, Madrid, Rome et Séville, et certaines ont été choisies pour illustrer des publications en Italie et en Espagne.
Elle répond, ici, aux questions de l’ARBR.

Présentation du roman

Mme Assini

Selon un critique italien : Anna Maria Cristino, Un caffè con Robespierre fait le récit d’une « histoire minimaliste dans un contexte maximaliste ». En effet, la petite histoire des protagonistes, Manon et Bertrand Blondel, nous permet d’entrer dans la grande Histoire de la Révolution française. Le roman débute par l’exécution de Marie-Antoinette et prend fin peu de temps après la mort de Robespierre. D’excès en espoirs, le Paris de la Terreur revit à travers les lieux et les protagonistes les plus en vue au sein d’une transformation rapide des mœurs.
Ayant dû quitter Versailles où ils travaillaient au service de Marie-Antoinette, l’une comme modiste et l’autre comme cuisinier, Manon, jacobine et Bertrand, monarchiste, ne peuvent éviter le naufrage de leur union tandis qu’au fil des pages et des événements se dessine le profil extraordinaire de Maximilien de Robespierre qui habite justement à deux pas de chez eux, rue de Saint Honoré.
Alors que Manon caresse le rêve de pouvoir discuter un jour avec Robespierre devant une tasse de « café bouillant », son mariage va à la dérive et Bertrand se résigne à quitter Paris pour Naples où règne la sœur de Marie-Antoinette. C’est justement là, qu’au contact du petit peuple, il prendra conscience des maux provoqués par la monarchie, ce qu’il ne voulait pas voir alors dans la vie dorée de Versailles. Entre-temps, en France, la République vacille, et avant que Manon n’ait pu réaliser son rêve de rencontrer Robespierre, elle verra son idôle devenir le bouc émissaire « d’erreurs et d’horreurs » d’une Révolution que beaucoup avaient trahie.

Voir aussi : Un caffè con Robespierre

Adriana Assini répond aux questions de l’ARBR

Pourquoi Robespierre ? Quelles sont les motivations de votre choix ?

En ce qui me concerne, je peux affirmer que la Révolution française a joué un rôle prépondérant dans ma formation humaine, culturelle et politique et parmi les acteurs de cet événement exceptionnel de l’histoire de l’humanité, Maximilien de Robespierre fut celui qui a retenu davantage mon attention.

Cet homme juste et droit a forcé mon admiration pour n’avoir jamais trahi ses principes, une fois au pouvoir, en payant de sa vie sa cohérence, son honnêteté et sa loyauté. Depuis lors, ces sentiments n’ont fait que se renforcer au fil de mes lectures.

A un moment de ma carrière d’écrivain de romans historiques, j’ai voulu le faire connaître à mes lecteurs malgré les difficultés que je risquais d’affronter en abordant un personnage aussi prestigieux. La protagoniste du roman et quelques autres personnages mineurs ont la charge de dessiner son profil politique, de mettre en évidence son amour pour le peuple et sa recherche d’un bonheur social, sans pour autant oublier certains aspects moins connus de sa personnalité, de ses goûts et de ses habitudes, tout en nous laissant deviner, aussi, le poids de sa solitude.

Il s’agit pour ma part d’un hommage modeste destiné à un grand homme qui appartient désormais à l’histoire du Monde. Un hommage qui voudrait maintenir vivante l’attention sur Robespierre et contribuer à la « réévaluation » de son rôle au sein de la Révolution.

Quel accueil votre roman a-t-il reçu en Italie ?

Je dois admettre que j’ai été agréablement surprise quand ma maison d’édition, Scrittura & Scritture, m’a communiqué, trois mois après sa publication, qu’ « Un caffè con Robespierre » était déjà épuisé et qu’elle devait procéder à une deuxième édition.
Je dois pourtant signaler que nous évoluons dans un microcosme par rapport au contexte national. De toutes façons, je m’étais déjà rendu compte de son succès au cours de la présentation du livre au public et à la presse, de mars à octobre 2016, tout d’abord à Bruxelles puis dans une dizaine de villes italiennes du nord au sud. Au cours des débats, j’ai souvent pu constater que les participants ne connaissaient pas Robespierre ou le connaissaient mal, mais qu’ils désiraient en savoir plus.

Mis à part la critique qui, dans son ensemble, a donné un jugement positif sur le roman et sur les valeurs révolutionnaires qu’il veut transmettre, j’ai été heureuse de recevoir des lettres d’appréciation de la part des lecteurs, comme celle d’un d’entre eux qui m’écrit : « Le roman m’a beaucoup plu et déjà Manon et Bertrand me manquent et ce sens de la justice et de la loyauté sociale qui émane de Robespierre ! ».
J’étais doublement satisfaite d’avoir suscité la curiosité de ceux qui s’étaient toujours tenus à distance du personnage mais aussi d’avoir réveillé l’intérêt de ceux qui, tout en l’appréciant, l’avaient un peu oublié.

Une féministe comme vous (au même titre que Manon, la protagoniste du roman), a-t-elle des raisons de s’intéresser à Robespierre ?

Comme le savent bien Les Amis de Robespierre, quand Maximilien de Robespierre fut élu en 1786, directeur de l’Académie d’Arras, lui, un homme jeune, cultivé, brillant et en avance sur son temps, fut désagréablement surpris de constater qu’une association aussi prestigieuse n’avait qu’une très faible représentation féminine (deux femmes seulement qui, de surcroît, n’étaient que membres honoraires).

Avec la franchise qu’on lui connaissait, il déclara scandaleuse une situation qui n’était que le fruit de vieux préjugés contre le « beau sexe ». Il était convaincu que le ciel n’avait pas comblé les femmes de dons et de beauté que dans le seul but d’en « décorer l’univers » mais afin qu’elles puissent contribuer « à la gloire » et au « bonheur social ». Tout en mettant en évidence le caractère complémentaire de la femme et de l’homme, il fit en sorte que l’Académie admette davantage de femmes comme membres à part entière qui puissent participer aux réunions de l’association et prendre part à ses décisions.

En outre, certains épisodes mineurs de sa vie nous fournissent des informations intéressantes sur sa vision des choses. En 1791, il commanda un portrait de lui. Et à qui le commanda-t-il ? Il n’avait que l’embarras du choix. Alors que la plupart des artistes étaient des hommes, il s’adressa à une femme : Adélaïde Labille-Guiard, un peintre qui s’était fait remarquer par son engagement, fervente instigatrice du droit des femmes à entrer sans restriction à l’Académie de peinture et de sculpture car une seule femme y était admise.

Robespierre jeune

Ainsi, à Arras, Robespierre promeut une participation active des femmes à l’Académie, et à Paris, il choisit pour son portrait une artiste qui se bat pour une cause analogue. Deux indices ne constituent pas une preuve mais, selon moi, tout est lié, me portant à croire qu’il n’est absolument pas le misogyne décrit par ses détracteurs qui ont d’ailleurs voulu alimenter cette légende en lui imputant la responsabilité de la mort d’Olympe de Gouges pour des raisons personnelles. Selon les chefs d’accusation, ce ne seraient pas les luttes féministes à être responsables de la condamnation d’Olympe de Gouges, mais le fait d’avoir organisé une violente propagande contre le gouvernement révolutionnaire dans l’espoir d’un retour de la monarchie.

Les femmes comptaient au contraire beaucoup pour Robespierre à commencer par sa mère dont le souvenir l’émouvait encore longtemps après sa disparition. N’a-t-il pas pris soin de sa sœur Charlotte malgré son caractère difficile ?

Enfin, bien qu’on ne connaisse pas la vraie nature de ses rapports avec Eléonore Duplay, n’avait-il pas amplement mérité son affection dès lors qu’elle en porta le deuil jusqu’à sa mort ?

Peut-on croire qu’un homme, si attentif aux injustices envers les plus faibles, serait resté insensible à une amélioration légitime de la condition féminine si le temps le lui avait permis ?
Voir à ce sujet

Pourquoi l’Italie s’est-elle intéressée aux idées de Robespierre ?

Quoiqu’on en pense, la Révolution française est un événement incontournable si l’on veut comprendre le présent et préparer le futur. Les intellectuels italiens des différentes tendances politiques le savent bien, eux qui régulièrement abordent le sujet.
A Rome où je vis, les plus importantes librairies exposent des ouvrages sur la Révolution et même sur Robespierre, bien que pour beaucoup, il reste associé à la Terreur et à une intransigeance fanatique. Une émission historique de la RAI en a récemment parlé, mais si on l’a fait avec respect, le présentateur et l’historien notoire qu’on avait invité ont pris leurs distances par rapport à ses idées et à ses actions. C’est un peu comme si, paradoxalement, sa conception de la justice était ’trop juste’ et donc inacceptable pour une société toujours plus corrompue, dont le gouvernement cherche petit à petit à transformer les citoyens en sujets.

Comment ne pas souligner ce qui est arrivé en Italie ces vingt dernières années ? La consommation galopante, toujours plus agressive, a fini par distraire les citoyens des problèmes réels - qu’ils soient économiques, sociaux et même d’identité - en érodant progressivement le système démocratique. Au fur et à mesure que l’on anesthésiait et neutralisait la population, on voyait s’amplifier les attaques contre ses droits fondamentaux : l’éducation, le travail et la santé.

Heureusement que même les sociétés les plus malades sont encore capables de développer des anticorps. Après une longue période de léthargie, une partie des italiens tentent maintenant de changer de cap, au nom de valeurs et d’idéaux imprudemment relégués au second plan. Le chemin à parcourir est rude car ils ont perdu l’habitude de la lutte politique sans avoir toutefois passé le témoin à leurs enfants, et pour manifester leur désaccord, ils choisissent plutôt l’abstention que les manifestations. Pourtant, pour ma part, j’ai pu constater que parmi les mécontents, beaucoup sont maintenant prêts à renoncer à leurs préjugés et à se tourner avec moins de suspicion vers des hommes comme Robespierre.

Je crois donc qu’il n’a jamais été plus utile et plus nécessaire aujourd’hui que l’on se penche à nouveau sur les grands thèmes de la Révolution française et sur les hommes qui en furent les moteurs, sur ses idéaux et sur l’héritage qu’elle nous a laissé. Cela servira tout au moins à attirer l’attention sur nos conquêtes et sur l’importance qu’il y a à les défendre, contre le danger toujours présent de les perdre.

Votre roman a-t-il été influencé par la situation politique actuelle en Italie :

J’ai publié Un caffè con Robespierre en mars de cette année mais j’ai commencé à l’écrire quelques années auparavant. À cette époque, mon désir de rendre hommage à Robespierre se renforça quand je voulus recueillir des signatures pour la pétition organisée par Les Amis de Robespierre en faveur d’un musée qui lui serait consacré à Arras. Je me heurtai alors à un mur de méfiance, même de la part de personnes cultivées et d’idéal sincèrement démocratique. Je me rendis compte alors que son nom n’évoquait pas les valeurs qui ont fondé notre société mais plutôt la figure d’un « coupeur de têtes ». Je réussis quand même à rassembler une centaine d’adhésions, quelques-unes à l’étranger, mais la majorité avait été concédée par amitié à mon égard et non par conviction. De là à prendre la plume, le pas fut vite fait.
Entre-temps, la situation politique de l’Italie allait de mal en pis et les idéaux de liberté, d’égalité et de justice sociale qui, par le passé, avaient motivé tant d’italiens, n’étaient apparemment plus à la mode.

Quand le Movimento 5 Stelle (Mouvement 5 étoiles) [1] fit son apparition dans le panorama politique italien, il suscita autant de curiosité que de méfiance, par le fait que son leader était un comique célèbre. Il se voulait révolutionnaire. Ses dénonciations vigoureuses de la corruption du monde politique frappaient l’opinion publique, mais on comprenait mal alors son programme de gouvernement ainsi que la tranche d’électeurs à laquelle il s’adressait car il ne voulait se situer ni à gauche ni à droite. Ces aspects avaient leur importance pour les ’orphelins’ d’une gauche en déclin qui n’entendaient pas se mélanger à des sympathisants de droite ou à d’ex-berlusconiens déçus. [2]
C’est cela, d’ailleurs qui empêche, encore aujourd’hui, beaucoup d’ex-affiliés au Parti Démocratique de voter pour eux. Malgré ces pierres d’achoppement, le Mouvement a progressé, grâce au remarquable engagement de ses élus, constitués en majorité de jeunes de moins de quarante ans, qui n’avaient eu précédemment aucune charge politique et n’avaient rien à se reprocher.
Il s’agit d’une nouvelle classe politique cohérente, restant fidèle aux promesses qu’elle a faites et aux objectifs qu’elle voulait atteindre.

En ce qui me concerne, j’ai remarqué des points en commun entre Robespierre et ce parti politique, où l’on retrouve le même attachement radical à l’honnêteté absolue dans la gestion de la chose publique et la même intransigeance envers toute forme de corruption. En effet, pour la majorité des italiens, quand Robespierre n’est pas un sanguinaire, il est l’Incorruptible par excellence, ce qui ne veut pas dire, qu’ étant extrêmement sensibles à cet aspect, les italiens réduisent l’œuvre de Robespierre à la seule lutte contre la corruption, car bon nombre d’historiens italiens, universitaires pour la plupart, connaissent la portée politique de ses idées et de son action et ont publié à ce sujet de nombreuses études et articles, en particulier depuis la commémoration du Bicentenaire.

Signalons, pour conclure, une petite analogie anecdotique entre ce « parti » et les Montagnards : les députés combatifs du Movimento 5 Stelle siègent sur les bancs les plus hauts de la Chambre, en particulier, dans leur cas, pour mieux « contrôler » ce qui s’y passe car les comportements n’y sont pas toujours limpides. [3]


Voir en ligne : Un caffè con Robespierre

Galerie


[2Le « Mouvement 5 étoiles » (Movimento 5 Stelle - M5S) lancé en 2009 par l’humoriste et militant italien Beppe Grillo et le spécialiste du web Gianroberto Casaleggio (décédé le 12 avril 2016), pour en finir avec la classe politique italienne traditionnelle, est aujourd’hui la deuxième force politique du pays. Il milite pour stimuler une forme de démocratie promouvant la participation directe des citoyens dans la gestion des affaires publiques et la lutte contre la corruption.
Lors des élections de 2013, le Mouvement, formé en grande partie de jeunes militants, recueille 23,5 % des voix au Sénat et 25,5 % à la Chambre des députés où il frôle le score de la coalition du Parti Démocratique (PD). Lors des élections municipales de juin 2016, il s’impose à Rome et à Turin.
Si les 5 étoiles symbolisent 5 grands objectifs de départ : l’eau publique, le recyclage intégral, la mobilité durable, les énergies renouvelables et la connectivité gratuite, il n’en demeure pas moins que, lors des élections de 2013, le Mouvement a présenté un programme d’action plus vaste et plus différencié sur 20 points essentiels. Citons parmi eux, la création d’un revenu de base garanti à tous les citoyens, la priorité donnée à la santé et à l’éducation, une relance des petites et moyennes entreprises, des lois plus sévères contre la corruption et l’abolition de l’aide (considérable) de l’Etat aux partis politiques et aux journaux ... Leur programme est difficile à réaliser puisque la coalition gouvernementale dispose de la majorité, mais la présence capillaire des députés du Mouvement sur le territoire (débats sur les places publiques et sur tous les lieux sensibles, fidèles à une tradition italienne remplacée désormais par la télévision) et des actions ’choc’ comme le renoncement définitif à une partie importante de leur salaire de député (notoirement élevé par rapport au reste de l’Europe) qu’ils destinent à l’aide aux petites entreprises, leur permet de conserver un réel impact sur la population.
Il apparaît, cependant, ces derniers temps, combien il est difficile en politique italienne de respecter intégralement le principe d’incorruptibilité et le refus de tout compromis. Les ostracismes que le Mouvement a dû pratiquer dans ses rangs, pour respecter ces principes de base, ont créé des dissensions et un certain scepticisme chez les électeurs. Témoins depuis longtemps de la corruption qui s’est enracinée à tous les niveaux de la société, des malversations et des infiltrations de la Mafia au sein de sa classe politique, les italiens se demandent si cet idéal réformateur et ambitieux a quelque chance de se réaliser.

[3Propos recueillis pour l’ARBR par Michèle Campagne, membre de l’ARBR, enseignante-chercheure à l’université de Messine, retraitée.