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Billaud-Varenne- Robespierre ou « le malentendu » de Thermidor.

vendredi 5 mars 2021

Cet article a été publié en deux parties dans « l’Incorruptible, » numéros 10 et 11, 1991. Je le saisis ici pour le trentième anniversaire de sa parution. (février 2021)

Billaud-Varenne/Robespierre Ou le malentendu de Thermidor.
Portrait de Billaud-Varenne

Cet article tente de répondre à cette question : Billaud-Varenne nous intéresse, pourquoi ? Nous ne pouvons que déplorer le silence qui entoure cette grande figure de la révolution- et le bicentenaire de 1989 nous le confirme- Billaud le pressentait lui-même. Exilé à Cayenne, il déclarait : « La postérité même ne me rendra pas justice ; j’en ai plus de mérite et de gloire à mes propres yeux. »

Incorruptible lui aussi.

Billaud et Robespierre sont sans doute les deux plus grandes figures du comité de salut public de l’an II. Et force est de constater le rôle capital de Billaud dans la crise parlementaire du 9 Thermidor. Sa responsabilité dans la chute de l’Incorruptible n’offre nulle comparaison avec quiconque.

Et pourtant Billaud fut selon le mot de Camille Desmoulins « le patriote rectiligne », homme de principes, inflexible, doté d’une volonté peu commune. Grand travailleur, honnête, solitaire, défiant et ombrageux, il est l’un des plus irréprochables de la Montagne.

Il a d’ailleurs reconnu sa terrible méprise de Thermidor et tout en expliquant les raisons de sa prise de position, a admis que Thermidor avait été «  funeste  » à la cause de la révolution.

« Nous nous sommes bien trompés ce jour-là. Les décisions que l’on nous reproche tant, nous ne les voulions pas le plus souvent deux jours, un jour, quelques heures avant de les prendre : la crise seule les suscitait. » Billaud-Varenne n’hésita pas à rendre hommage à l’action de Robespierre en pleine réaction thermidorienne (en ventôse an III), hommage particulièrement dangereux à cette époque de haine anti-robespierriste : « Si l’on me demandait comment il avait réussi à prendre tant d’ascendant sur l’opinion publique, je répondrais que c’est en affichant les vertus les plus austères, le dévouement le plus absolu, les principes les plus purs. »

Souvent à l’avant-garde.

Tel fut Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, ancien avocat de La Rochelle, de deux ans l’aîné de Robespierre (il est né le 23 avril 1756). Dès la fin de l’Ancien Régime, Billaud se distingue par ses pamphlets patriotiques : contre le clergé, la noblesse, l’Assemblée Constituante. Le 4 août n’est qu’une duperie des possédants : « une calamité », dit-il. C’est aux Jacobins que Billaud se distingue bientôt. Et il fait scandale. Le premier, après la fuite du roi, il propose « Quel est, du gouvernement monarchiste ou du gouvernement républicain celui qui nous convient le mieux ? », tollé des constitutionnels bourgeois.

Mais c’est surtout sur la question de la guerre que toute l’intelligence politique de Billaud éclate. Poussé par les brissotins, le club se laisse aller à des accents guerriers. Robespierre lui-même rentré d’un voyage dans son pays natal se laisse convaincre (28 novembre 1791). Mais le 5 décembre, complètement isolé, Billaud se prononce contre la guerre et avec des arguments tellement solides que Robespierre les reprendra ensuite dans sa grande croisade contre les brissotins : « Croyez m’en, messieurs, ce que nous avons le plus à craindre, c’est la guerre. Une vérité démontrée par l’histoire de tous les peuples atteste que la guerre, qui rend forcément le gouvernement absolu, fut toujours la route qui conduisit naturellement au despotisme. » Billaud dénonce les arrières pensées des bellicistes : « Les plus ardents défenseurs de la Patrie s’exposent au carnage. » La guerre ne favorisera que les industriels d’armement : « La guerre n’est utile que pour faire valoir les manufactures nationales. » Politiquement, la guerre ne favorisera que le pouvoir exécutif, c’est-à-dire les ministres du roi : «  Si une fois on en vient aux mains, ne faudrait-il pas avoir perdu la raison pour confier au pouvoir exécutif la direction de nos armées ? »

Les forces françaises ne sont d’ailleurs pas en état de combattre les mercenaires étrangers. Pourquoi donc minimiser les forces ennemies ? Billaud dénonce donc déjà la politique commune des contre-révolutionnaires (des royalistes aux Girondins) qui compte sur un embrasement généralisé pour écraser la Révolution : «  Pourquoi cette fureur de faire égorger des millions d’hommes pour abattre des ennemis que vous regardez comme déjà terrassés ? » Le combat combiné de Billaud et de Robespierre ne réussit pas à l’emporter. La guerre est déclarée le 20 avril 1792. Devant cette guerre qu’ils n’ont pas voulue, les Montagnards vont se défendre farouchement d’autant plus que la survie de la révolution est en balance. « Le temps de la détresse », l’an II est tout entier dans cette remarque de Billaud aux Jacobins le 23 juin 1793 : « Mercier nous a demandé si nous avions transigé avec la victoire : nous lui avons dit que nous avions transigé avec la mort. »

Au sommet de la « Montagne ».

A l’été 1792, Billaud est en tête de ceux qui poussent à la destitution du roi « roi cent fois parjure ! »

Il justifie complètement les massacres de septembre-on le lui reprochera souvent- et fut élu cinquième député de Paris à la Convention nationale. Partisan acharné du suffrage universel « vingt millions de français à la Convention » écrivait-il, sa proposition du 22 septembre proclamant « l’An I de la république » semble un aboutissement de son combat républicain.

A la Convention, il siège au sommet de la Montagne, non loin de Marat et de Robespierre, banc qu’il ne quittera jamais même au plus fort de la réaction thermidorienne. Le 17 janvier 1793, son vote dans le procès du roi explique à lui seul sa ligne politique : « La mort dans vingt-quatre heures. » C’est le régicide par volonté, celui qui s’engage à fond dans la révolution. Envoyé en mission dans des régions difficiles (en Bretagne en avril et dans le Nord-Pas-de-Calais au août), il soutient à fond le combat de Robespierre contre les chefs Girondins qui aboutit à leur arrestation le 2 juin.

Ce sont cependant les insurrections sans-culottes des 4 et 5 septembre 1793 qui imposent Billaud et son compère Jean-Marie Collot d’Herbois au comité de salut public.

« Pas de demi-mesures ! »

Billaud va désormais se tenir à cette ligne : « Si les révolutions traînent en longueur, c’est parce que l’on ne prend jamais que les demi-mesures... »

Il assume complètement ses responsabilités dans la terreur. Il est souvent le principal soutien de Robespierre à la Convention. Il s’engage même personnellement dans la liquidation des factions surtout dantonistes. C’est lui qui propose le premier l’arrestation de Danton. Il le revendiquera à de nombreuses reprises.

Ainsi en avril 1794, non seulement le comité était uni, mais Billaud apparaissait comme le plus proche de Robespierre.

Sur le plan social, Billaud n’a aucune divergence avec les décrets de Ventôse présentés par Saint-Just : « La société doit la subsistance aux citoyens malheureux...La mendicité est une lèpre politique. » (20 avril 1794)

A partir du printemps de l’an II, Billaud pensait comme Robespierre stabiliser la révolution, la terminer au profit de la sans-culotterie : « Il est temps de terminer cette lutte révoltante de la royauté contre la République. » (Billaud à la Convention : 20 avril 1794)

Ce que Robespierre confirmait en mai : « Le moment où nous sommes est favorable : mais il est peut-être unique...Achevez , citoyens, achevez vos sublimes destinées. »

La fête de l’Être Suprême qui semblait consacrer l’apothéose du Comité de salut public et plus encore de Robespierre, révéla une nouvelle conspiration parlementaire : « Les intrigants reparaissent et le rôle des charlatans recommence […] Jusqu’à quand durera cette lutte interminable des factions contre la liberté ? » La terrible loi du 22 prairial fut sans doute une réponse aux provocations de la fête du 20. Présentée par Couthon, elle fut soutenue non seulement par Robespierre mais aussi par Barère et Billaud. « Nous nous tiendront unis : les conspirateurs périront, et la Patrie sera sauvée. » (Billaud à la Convention le 24 prairial). Cependant, cette loi qui pouvait frapper n’importe quel conventionnel, faisait peur. L’unité du comité se désagrégea non à cause de cette loi mais surtout après les attaques antireligieuses du comité de sûreté générale (rapport de la mère de Dieu présenté le 27 prairial).

La rupture.

La rupture au sein du comité date du 10 messidor : Robespierre pratique la politique de la chaise vide. Barère joue le conciliateur indispensable tandis que Billaud s’emporte contre Robespierre. Pourquoi ? (Il voulait encore l’union trois semaines auparavant). Il lui reprochait sa trop grande influence dans les affaires. « La popularité effrayante. » Et certes durant les derniers mois, Robespierre et Saint-Just durent se défendre sans cesse contre cette accusation de dictature. Moins religieux que Robespierre, quoique rousseauiste, Billaud était plus réservé sur le culte de l’Être Suprême. Robespierre et Billaud étaient les deux grands protagonistes de l’idée terroriste aux yeux de l’opinion. Qui tiendrait le premier rôle ? En l’absence volontaire de Robespierre, ce sont Billaud-Collot-Carnot-Barère qui contrôlaient le comité. Et pourtant, dans le complot qui s’élaborait contre l’Incorruptible (formé d’anciens proconsuls terroristes comme Fouché, Tallien, Lecointre, Bourdon de l’Oise, Barras, Fréron...) on ne trouve pas de membres du gouvernement. Le complot de Thermidor ne sera pas homogène mais de circonstance.

Éphémère apaisement.

Le 23 juillet (5 Thermidor) une tentative de réconciliation a lieu entre le comité et Robespierre. On veut apaiser les « amours-propres blessés. » Barère joue les intermédiaires et Saint-Just les conciliants. Billaud-Varenne, qui la veille encore traitait l’Incorruptible de Pisistrate, fait des concessions : « Nous sommes tes amis ; nous avons marché toujours ensemble. »

Saint-Just, qui a tracé de Billaud un portrait sévère dans son discours du 9 Thermidor, (qu’il ne put lire d’ailleurs) reconnaît «  qu’on paraissait écouter ses conseils. » Mais il « hésitait, il s’irritait, il corrigeait ensuite ce qu’il avait dit hier. Il était silencieux, pâle, l’œil fixe, arrangeant ses traits altérés. » L’attitude de Billaud durant la crise consiste à trouver des solutions dans le strict cadre gouvernemental afin de préserver l’unité des lois du gouvernement révolutionnaire. Ses concessions, son appel à la réconciliation à la table commune, furent ressentis par Robespierre et Saint-Just comme des mensonges hypocrites. Même si un semblant d’accord était trouvé, la crise couvait toujours.

Robespierre dénonce.

C’est Robespierre qui attaqua le 8 Thermidor en déplaçant la crise sur le terrain parlementaire : appel à l’arbitrage de la Convention. Billaud, même s’il n’est pas nommé, n’est pas épargné dans ce dernier discours : « Pourquoi ceux qui vous disaient naguère : je vous déclare que nous marchons sur des volcans, croient-ils ne marcher aujourd’hui que sur des roses ? » « Que dirait-on si les auteurs du complot dont je viens de parler étaient du nombre de ceux qui ont conduit Danton, Fabre et Desmoulins à l’échafaud ? »

Robespierre conclut « qu’il faut subordonner le comité de salut public lui-même épuré. »

Billaud était visé et pourtant il se raccrocha au dernier espoir de réconciliation : le report du discours de l’Incorruptible au comité pour renégocier la base minimale du 5.

Poussé vers les conjurés.

Pourtant deux fâcheux événements allaient précipiter Billaud dans le camp des conjurés qui se rassemblaient, « cimentés » par le discours menaçant de l’Incorruptible :

D’abord la soirée très houleuse aux jacobins où les robespierristes conspuent Billaud et Collot menacés de mort par Dumas, le président du tribunal révolutionnaire. Elle est relatée par Billaud en ventôse an III. « Est-ce dans la séance des jacobins du même jour (le 8) où réuni à Collot j’ai avec lui affronté toute la fureur des conjurés et de ceux qu’ils avaient égarés, pendant plus de cinq heures, au milieu de l’agitation la plus violente et de mille cris : à la guillotine ? »

Ensuite l’attitude peu compréhensible de Saint-Just qui lui avait promis de lire son rapport au comité avant de monter à la tribune de la Convention. Or, Saint-Just manqua à sa parole parce que « Quelqu’un a flétri (son) cœur. » Billaud et le comité pensèrent que Saint-Just les doublaient.

La confrontation était donc inévitable.

Billaud se venge.

Dans la dramatique séance du 9, c’est Billaud donc (menacé le soir et « trahi » la nuit) qui mène l’attaque. Et elle est violente, excessive, souvent mensongère : Robespierre dictateur, seul responsable de la loi de prairial, complice des fonctionnaires publics de la capitale. Mais aussi, Robespierre complice des voleurs ! Absurdité qui ne trompe personne ; et Robespierre humaniste qui voulait sauver Danton est-ce bien là l’image du tyran ?

La séance du 9 thermidor est bien connue : le complot orchestré, l’arrestation des robespierristes, le dernier cri de Robespierre selon Levasseur de la Sarthe : « Dites plutôt que le crime triomphe. »

Lors de l’insurrection de la commune, Billaud mène les débats à l’Assemblée. Utilisant sa rhétorique préférée : «  Quand on est sur un volcan, il faut agir », il galvanise les conventionnels et prend, semble-t-il, l’initiative de la marche des maigres troupes de Barras sur l’hôtel de ville.

Billaud-Varenne déporté écrira : « La révolution a été perdue le 9 Thermidor. Depuis, combien de fois j’ai déploré d’y avoir agi de colère !...Le malheur des révolutions c’est qu’il faut agir trop vite...  »

Sans concessions pour la réaction thermidorienne.

Pourtant, Billaud refusera de se compromettre avec les thermidoriens qui gouvernent désormais. Il démissionne d’un comité dénaturé (1er septembre 1794) et résiste à la réaction montante. Mieux même, il l’attaque avec courage : « Depuis quelque temps, nous voyons s’agiter les intrigants, les voleurs. La menace se précise. Mais le lion n’est pas mort quand il sommeille, et à son réveil il extermine tous ses ennemis. » Mais le rapport des forces n’est plus favorable aux sans-culottes. Après l’échec de la journée du 12 Germinal, Billaud est condamné à l’exil à Cayenne, sans aucun procès. Il devient le banni de la République bourgeoise.

Dès lors, son rôle politique se termine. Après une longue et cruelle déportation où il refusera l’amnistie de « l’usurpateur Bonaparte », il termine ses jours à la République d’Haïti. Il fait preuve durent son long exil forcé puis volontaire d’un « Courage indéniable, fait de ténacité et d’orgueil. » (Lenôtre)

Il n’hésite pas à affirmer évoquant la révolution : « L’histoire s’emparera de cette grande question. »

Il meurt le 13 juin 1819 d’une dysenterie chronique. Ses dernières paroles sont fidèles à l’image du personnage : « Mes ossements, du moins, reposeront sur une terre qui veut la liberté ; mais j’entends la voix de la postérité qui m’accuse d’avoir ménagé le sang des tyrans d’Europe. » (La Nouvelle Minerve, 1835. Les dernières années de Billaud-Varenne.)

Bruno DECRIEM, Vice-Président de l’ARBR