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J. C. Martin : « Robespierre. La Fabrique d’un monstre ». L’avis de Claude Mazauric

Robespierre , objet de passion, interroge toujours les consciences par Claude Mazauric, historien

jeudi 3 mars 2016

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En français

LE POINT DE VUE DE CLAUDE MAZAURIC, historien, professeur d’histoire honoraire à l’université de Rouen.

En moins de quinze ans, indépendamment des deux rééditions successives des dix volumes des Œuvres de Maximilien Robespierre, augmentés d’un onzième volume, suivies de la « découverte » de papiers jusque-là considérés comme perdus, ont paru autant de biographies de l’Incorruptible qu’il en a été dénombrées depuis les premiers travaux dus à Laponneraye, dans les années 1830 ! C’est assez dire que le personnage historique de Robespierre ne cesse de focaliser l’intérêt du public et d’interroger les consciences.

En se consacrant à dire simplement ce que fut l’existence de Maximilien Robespierre, de sa naissance à Arras en 1758 à sa mort tragique le 28 juillet 1794 (le 10 thermidor), tout en refusant de se soumettre aux injonctions du psychologique, de l’affectif, de l’exaltation comme de la vitupération, Jean-Clément Martin a fait œuvre utile et salutaire. Dans les cent premières pages, il évoque précisément le jeune homme que fut Maximilien, circonscrit fort bien son milieu de bourgeoisie d’office par son père et, du côté maternel, signale sa position de rejeton d’une dynastie de producteurs urbains, rappelle ses réussites scolaires, son insertion relativement aisée dans le milieu arrageois, son attention insolite à la situation sociale des petites gens du tiers état : rien de très « original » ne distingue donc Maximilien de beaucoup d’autres qui seront appelés à tenir les premiers rôles dans la Révolution qui vient.

« Idole abattue », « bouc émissaire » de la peur bourgeoise

Pendant les cent vingt pages qui suivent, on suit pas à pas le cheminement d’un représentant du peuple que la Révolution éduque plus qu’il ne la dirige, découvrant à la fois les risques de l’action politique et la nécessité de l’engagement, l’écart entre les paroles qu’il faut prononcer (ou ne pas formuler) et l’effet du discours ou de la posture sur l’événement autant que sur les mouvements de l’opinion et l’action collective des forces sociales. Puis, en cent pages supplémentaires, l’auteur nous entraîne derrière Robespierre dans les arcanes du pouvoir d’État, d’abord dans sa définition et sa conquête, ensuite dans son exercice : c’est alors que l’homme de principes se révèle, à la mesure des enjeux et des circonstances qui s’imposent à lui.

Sorti vaincu d’un affrontement politique sur fond de guerre civile et étrangère, qu’il a vue venir sans pouvoir en maîtriser le cours malgré son immense autorité publique, Robespierre devient une « idole abattue » que ses vainqueurs, issus pour la plupart du même cursus historico-politique, transformeront délibérément en « monstre » après sa chute pour inscrire à son débit d’homme d’État tout ce qu’il fallait faire oublier ou occulter de la Révolution, une fois celle-ci « terminée ». Et c’est sur cette figure de Robespierre en « bouc émissaire » de la peur bourgeoise et en première incarnation de la catégorie de « totalitarisme » inventée par Hannah Arendt, « entre Platon et Pol Pot », que s’achève l’ouvrage.

On ne saurait trop louer l’auteur d’avoir systématiquement replacé l’action et la parole de Robespierre dans le contexte précis de leur formulation et d’en mesurer l’efficace ou l’effet à cette aune exclusivement. Ici gît toujours l’honneur de l’historien ! Cela nous change des élucubrations des multiples auteurs thermidorisés, même sans le savoir, qui en ont traité. Mais la démarche de Jean-Clément Martin se montre de surcroît surtout attentive aux relations de sommet, et même au tour « politicien (sic) » des choses, aux intérêts de « clans », et rabat quelquefois la grande histoire de la nation refondée entre 1789 et 1793 sur de petits motifs, loin des grands enjeux du temps : on se prend quelquefois à souhaiter d’entendre Goethe ou Victor Hugo, même Chateaubriand et pas seulement Carlyle (in fine).

Un ouvrage original et argumenté qui réjouira les robespierristes

D’autant que la haute culture de Robespierre (que les thermidoriens se sont ingéniés à occulter), notamment son constant retour sur ce qu’il fallait retenir de Jean-Jacques Rousseau, voire de Montesquieu, n’apparaît souvent que sous la forme d’un alibi, d’un topo ou d’un simple souvenir de collège, non d’une pensée en acte. On pouvait espérer plus de grandeur dans le rendu, comme on le dit d’un tableau. Traduisant la mauvaise conscience de la suite des générations qui se sont laissé duper, volontairement ou non, par le discours thermidorien, l’effort de salubrité historienne auquel s’est attaché Jean-Clément Martin dans ce livre si argumenté ne va certes pas, du côté droit de l’opinion, améliorer son image et sa réputation d’électron libre ! Seuls celles et ceux qui n’ont pas lu ses précédents ouvrages en seront surpris. Nous, robespierristes, nous en réjouissons.

Quoique ne reposant pas sur des découvertes documentaires nouvelles, la biographie de Jean-Clément Martin est un très bon livre, original et tout à fait à la page, qui sait d’ailleurs rendre aux précédents travaux ce qui leur revient. On se plaît à constater, ce qui est rare, que la bibliographie utilisée et la liste des auteurs cités, à quelques curieuses exceptions près, ne jettent l’ostracisme sur personne (le récit d’André Stil, qui le mérite, est mentionné quatre fois et longuement), mais curieusement, beaucoup de celles et ceux qui sont cités dans les pages du texte sont ignorés dans l’index terminal, de même que, à l’exception d’un seul, tous les différents auteurs de recueils de textes de Robespierre : le diable, comme l’on sait, niche toujours dans les marges !

In English

REVIEW BY CLAUDE MAZAURIC, historian, honorary Professor of History at the University of Rouen

In less than fifteen years, independently of the two successive reprints of the ten volumes of Maximilien Robespierre’s Œuvres, augmented by an eleventh volume, followed by the « discovery » of papers hitherto considered lost, there have appeared as many biographies of the Incorruptible as since Laponneraye’s first works in the 1830s ! It suffices to say that Robespierre as a historical character does not cease to attract public interest and raise question in consciences.

By devoting himself simply to describing Maximilien Robespierre’s existence, from his birth in Arras in 1758 to his tragic death on 28 July 1794 (10 Thermidor), while refusing to submit to psychological or emotional injunctions, exaltation or vituperation, Jean-Clément Martin has done useful and salutary work. In the first hundred pages, he evokes precisely the young man Maximilien was, outlines very well his father’s professional bourgeois milieu and, on the maternal side, points out his position as the offspring of a dynasty of urban manufacturer, recalls his academic achievements, his relatively easy entry into Arras society, his unusual attention to the social condition of the lesser people of the Third Estate : nothing very « original » therefore distinguishes Maximilien from many others called upon to play leading roles in the coming Revolution.

« Fallen Idol », « scapegoat » of bourgeois fear

During the following 120 pages, one follows step by step the path of a representative of the people whom the Revolution guides more than he directs it, discovering at the same time the risks of political action and the need for commitment, the gap between the words to be uttered (or not uttered) and the effect of the speech or position on the event, as much as on the movements of opinion and the collective action of social forces. Then, in a further 100 pages, the author takes us behind Robespierre into the mysteries of State power, first in its definition and conquest, then in its exercise : it is then that the man of principle reveals himself, so far as the issues and circumstances that constrain him allow.

Defeated in political confrontation against a backdrop of civil and foreign war, which he saw coming without the power to control its course, despite his immense public authority, Robespierre became a « fallen idol » that his victors, mostly from the same historico-political background, deliberately transformed into a « monster » after his fall, to inscribe in his account as a statesman all aspects of the Revolution that they needed to forget or hide, once it was « over ». And it is on this image of Robespierre as « scapegoat » for bourgeois fear and as the first incarnation of the « totalitarianism » category invented by Hannah Arendt, « between Plato and Pol Pot », that the work ends.

The author cannot be over-praised for having systematically placed Robespierre’s action and words in the precise context of their formulation and for assessing their effectiveness or effect exclusively by this measure. Here always lies the historian’s honour ! This makes a change for us from the elucubrations of the many authors, Thermidorised without even knowing it, who have treated it. But Jean-Clément Martin’s approach is above all attentive to the top-level relations, even to the « politician’s (sic) » side of things, to the interests of « clans », and sometimes reduces the great history of the nation, as re-founded between 1789-93, to petty motives, far from the great issues of the time : one sometimes finds oneself longing to hear Goethe or Victor Hugo, even Chateaubriand and not just Carlyle (in fine).

An original and well-argued work that will delight Robespierrists

It’s especially the case that Robespierre’s high culture (which the Thermidorians cunningly hid), notably his constant recourse to what he had had to retain of Jean-Jacques Rousseau, or even Montesquieu, often only appears in the form of an alibi, a sketch or a simple school memory, not a thought in action. One could hope for more grandeur in the rendering, as they say in painting. Reflecting the bad conscience of the subsequent generations who let themselves be deceived, voluntarily or not, by the Thermidorian discourse, the effort of historical salubrity to which Jean-Clément Martin links himself in this well-reasoned book is certainly not going to improve his image and his reputation as a ‘free electron’ in the Right’s opinion ! Only those who have not read his previous works will be surprised. We Robespierrists rejoice.

Although not based on the new documentary discoveries, Jean-Clément Martin’s biography is a very good book, original and completely up to date, and knows how to give due credit to previous works. We are pleased to note, which is rare, that the bibliography used and the list of authors cited, with a few curious exceptions, omit no-one (André Stil’s account is deservedly mentioned four times and at length), but curiously, many of those cited in the text are ignored in the index at the back, as well as, with one exception, all the different editors of collections of Robespierre’s texts : the devil, as we know, is always in the detail !

Claude Mazauric : article publié dans le journal l’Humanité du 01-02-2016


4e de couverture :

Comment fabrique-t-on un monstre, un nouveau portrait de ’l’Incorruptible’

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Robespierre
Jean-Clément MARTIN
ISBN : 9782262042554
400 pages
Biographies Perrin Editeurs
21/01/2016

En français

Le parti pris de cette nouvelle biographie de Robespierre – qui fait sa valeur et son originalité – est le refus revendiqué de toute approche psychologisante, de tout affect et de tout sensationnalisme. Nous voyons ainsi évoluer l’homme parmi ses pairs et ses rivaux, dont beaucoup ont partagé avec lui les mêmes expériences : une enfance difficile, une adolescence studieuse et une réussite sociale, mondaine et littéraire précoce. A travers ses multiples et successives prises de position politiques, y compris celles qui paraissent mineures, on comprend qu’il s’exprime en réponse aux Danton, Marat, Pétion, Saint-Just, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins, Hébert, Collot d’Herbois, dans un jeu de bascule permanent, sans pouvoir exercer une quelconque magistrature suprême. Lorsqu’il paraît enfin pouvoir y accéder, il est condamné hors la loi par ses collègues, le 9 thermidor 1794.

Chacun le sait, aucune artère parisienne ne porte le nom de Robespierre, passé à la postérité comme l’archétype du monstre. Sans l’absoudre de rien, sans l’accabler non plus, Jean-Clément Martin explique que cette réputation a été fabriquée par les thermidoriens qui, après l’avoir abattu, voulurent se dédouaner de leur recours à la violence d’Etat : les 10 et 11 thermidor, qui voient l’exécution de Robespierre, de Couthon, de Saint-Just et de près de cent autres, servent en réalité à dénoncer « l’Incorruptible » comme le seul responsable de la « Terreur ». Cette accusation a réécrit l’histoire de la Révolution et s’impose encore à nous. En historien, l’auteur démonte les mythes et la légende noire pour retrouver l’homme. Une démonstration sans faille et un livre à l’image de Robespierre : éminemment politique.

In English

How to make a monster : a new portrait of ‘The Incorruptible’

The position taken by this new biography of Robespierre – which gives it its value and originality – is a declared rejection of any psychological approach, affect or sensationalism. We thus see a man evolving among his peers and rivals, many of whom shared the same experiences : a difficult childhood, a studious adolescence and early social, worldly and literary success. Through his multiple and successive political positions, including seemingly minor ones, we understand that he expresses himself in response to Danton, Marat, Pétion, Saint-Just, Fabre d’Eglantine, Camille Desmoulins, Hébert, Collot d’Herbois, in a permanent balancing act, without the power to exercise any supreme rule. When it finally seems he can access it, he is condemned outlaw by his colleagues on 9 Thermidor 1794.

As everyone knows, no Parisian thoroughfare bears the name of Robespierre, passed down to posterity as an archetypal monster. Without absolving him of anything, without condemning him either, Jean-Clément Martin explains that this reputation was fabricated by the Thermidorians who, after having destroyed him, wanted to absolve themselves of their recourse to state violence : 10-11 Thermidor, which see the execution of Robespierre, Couthon, Saint-Just and nearly a hundred others, actually serve to denounce « the Incorruptible » as the sole figure responsible for the « Terror ». This accusation rewrote the history of the Revolution and still imposes itself us. As a historian, the author dismantles the myths and the black legend to find the man. A flawless display, and a book just like Robespierre himself : eminently political.


[1Maximilien Robespierre, debout à la tribune de la Convention, est condamné le 27 juillet 1794, puis guillotiné le lendemain. Photo : Rue des Archives