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La Bataille du bicentenaire de la Révolution française

Un ouvrage de Michel Vovelle

vendredi 30 juin 2017

La Bataille du bicentenaire de la Révolution française Michel Vovelle La Découverte, coll. « Recherches », 260 pages, 26 euros
Alors que François Furet s’était lancé dans une « révision » de l’histoire républicaine de la Révolution, Michel Vovelle était élu à la chaire qu’avait occupé Albert Soboul, et devint l’homme de la commémoration.

Revolution francaise : « quatre hommes portant la maquette miniature de la prison de la Bastille lors des processions civiques » Gouache des freres Lesueur (18e siecle) Paris, musée Carnavalet.

C’est un ouvrage de très grande portée et de haute volée que Michel Vovelle propose à l’attention de ce public nombreux qui sait à quel point la place de la Révolution française de 1789 à 1800 est prégnante dans la constitution de l’héritage républicain de la France. Aujourd’hui autant qu’hier, sinon plus. Mais ce qui spécifie l’originalité première de ce livre résulte de l’association du récit de l’engagement personnel de l’historien lui-même dans la « bataille » évoquée dans le titre, à une analyse sans concession d’un moment historique encore vivant dans la mémoire des contemporains.

Lucide, foisonnant, original, problématique, le compte-rendu que nous donne Vovelle de la séquence chronologique « bicentenariale » (laquelle s’étend pour l’essentiel de mai 1981 à la fin la fin des années 1990, marquée comme on le sait par la modification radicale de la géopolitique mondiale) est d’une intensité et d’une précision rarement atteintes dans ce type d’ouvrage. Cette foisonnante et prolifique synthèse est donc un livre d’une importance majeure. Ecrite par un homme intègre qui a su se montrer ferme dans ses engagements sans équivoque, cette chronique profuse est aussi un témoignage probe, quelquefois impitoyable et rude, sur un moment d’histoire particulièrement révélateur de mouvements de fond qui sourdent de bien plus loin que la seule expérience d’une vie ou d’un simple parcours professionnel.

Pour mesurer l’importance du livre de Michel Vovelle, il faut rappeler deux éléments circonstanciels qui font l’objet dans son livre de développements d’une particulière densité : celui qui relève du contexte historiographique, celui qui renvoie à la configuration d’ordre politique.

L’historiographie, en premier lieu. A la fin des années 1960, un historien de talent, ci-devant communiste, François Furet, s’était lancé dans une sorte d’entreprise de « révision » de l’histoire républicaine de la Révolution, telle que ses derniers maîtres, Mathiez, Lefebvre, Labrousse et Albert Soboul - devenu depuis 1966, le Directeur de l’institut d’histoire de la Révolution à la Sorbonne - en avaient, entre autres, approfondi l’histoire unitaire, et pour le dire d’un mot, dans une perspective sociale et politique. En 1978, Furet avait qualifié de « catéchisme révolutionnaire » la conclusion et l’orientation de leurs travaux, consistant selon lui, à produire le discours apologétique d’une révolution populacière et terroriste qui en préfigurait d’autres plus meurtrières encore : suivez son regard ! La dénonciation de Furet, relayée par tout un courant de pensée médiatisé, quelquefois plus ou moins classé « à gauche », a bouleversé le champ historiographique et déclenché une âpre bataille entre les tenants de l’« historiographie classique » et les nouveaux ralliés à cette lecture rénovée de la Révolution comme histoire d’un « dérapage » populaire. Le « dérapage » : une métaphore alerte qui reprenait en fait l’essentiel du discours « libéral » des premiers historiens du siècle précédent, voire celui, politique, des antijacobins de 1795 ou de 1799. Parallèlement à l’entreprise de Furet, tout un courant politique et idéologique d’inspiration traditionnaliste et antirévolutionnaire dont la figure de proue était l’illustre Pierre Chaunu, profitait de cette conjoncture nouvelle pour exalter l’insurrection contre-révolutionnaire de Vendée et condamner les « petits hommes » de la révolution, engobant de surcroît, parmi eux, les adeptes et les fidèles de l’Empire de Napoléon ! La polémique déborda largement les frontières de la France et de l’Europe, se répandit aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde anglophone et, de là, partout, contribuant paradoxalement à préparer les esprits à l’échéance mondiale du Bicentenaire de 1789. Albert Soboul tenait le rôle de pilier face à cette déferlante, depuis la Sorbonne où lors de son séminaire du samedi, officiaient disciples et associés. Mais ayant à peine atteint l’âge d’une retraite dont il refusait l’échéance, Albert Soboul mourait en septembre 1982. Ce qui entraîna inévitablement une redistribution des cartes.

La conjoncture politique. Dès avant l’année 1980, évoquer, célébrer ou commémorer, deux cents ans après 1789, la Révolution française, s’imposait comme un devoir d’Etat dans une république héritière. Mais comment s’y prendre ? On s’interrogeait à ce propos dans les sphères officielles depuis 1971 quand il avait fallu évoquer le centenaire de la Commune de Paris…s’apprêtant à en confier la « mission » à de grands commis au profil plutôt neutre.

L’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981 a radicalement modifié la donne : le nouveau président de gauche, sans doute conseillé par Claude Manceron et Régis Debray, décida de faire du bicentenaire de la Révolution l’une des grandes réalisations de son septennat. Vovelle rappelle en passant que François Mitterrand ne renonça jamais à cet objectif-là. Restait évidemment à fixer le cadre idéologico-culturel de l’évocation, à en désigner les maîtres d’œuvre et à mettre en place les organismes missionnés à cette fin.

En cinq chapitres et 127 pages, Vovelle excelle à nous raconter avec une clairvoyance amusée et aigüe, les inévitables ajustements politiques d’une commémoration qui devait mobiliser l’espace public, mais simultanément, sinon produire une doxologie aléatoire de l’histoire de la Révolution, du moins montrer la force de l’héritage « révolutionnaire », ne serait-ce que par référence (ou différence) avec la célébration « républicaine » de 1889, ou celle, « pacifiste » plus que « patriote », de 1939.

Le retrait du conseiller d’Etat Bordaz puis les décès successifs des grands personnages de compromis auxquels avaient été confiée la « Mission » du bicentenaire (Michel Baroin puis Edgard Faure), et l’élection en 1986 d’une majorité parlementaire hostile alors que le Président élu pour sept ans en 1981 se trouvait réélu en 1988, n’ont cessé de perturber une marche finalement aléatoire et confuse. Michel Vovelle en suit tous les méandres. Et on comprend à le lire que François Mitterrand tenait d’autant plus à une commémoration marquée « à gauche » que cela contrebalançait son ralliement en 1983 à ce « néolibéralisme » vers lequel glissait toute l’Europe et la France et qui risquait de briser ou de disqualifier la synthèse produite par le Parti socialiste à Epinay en 1971, dispositif qui formait le socle de son pouvoir et de son autorité morale et qui a volé en éclats récemment, comme chacun(e) l’a vu.

Ce n’est qu’à la veille de l’année du Bicentenaire, que la « Mission » trouva, avec Jean-Noël Jeanneney, son ultime mentor, la forme d’équilibre idoine recherchée depuis presque dix années ! Né en 1933, professeur à l’ « Université de Provence » comme on disait alors, spécialiste reconnu de l’histoire des mentalités, ancien normalien de Saint-Cloud et disciple fidèle de notre maître à tous, Camille-Ernest Labrousse, Michel Vovelle fut élu en 1983 à la chaire qu’avait occupée Soboul en Sorbonne. Un choix d’ailleurs conforme au vœu explicite de Soboul lui-même, appuyé par Maurice Agulhon qui s’apprêtait à rejoindre le Collège de France, et par Daniel Roche. Dès ce moment, il n’est pas hasardeux de l’affirmer, et son récit nous conduit à en prendre la mesure, Vovelle est devenu l’homme du Bicentenaire, ici en France, mais hors des frontières nationales plus encore, officiant évidemment dans l’essentiel de l’espace historiographique à dominante universitaire avec cette aisance matoise et persévérante qui le distinguait, mais aussi dans l’espace public et médiatique où claironnaient surtout Furet et quelques-uns de ses amis.

On lira en particulier dans le livre, le formidable récit du chapitre 5 titré « Le triomphe du congrès mondial (1988-1989) » qui a réuni en juin 1989 à la Sorbonne des centaines d’historiens venus de partout, en présence du président de la République qui prononça des paroles mémorables dont toute la presse se fit l’écho : ici tout est dit sur un épisode auquel Furet crut devoir se dispenser d’être présent, ce qui signait sa défaite. Et qui aujourd’hui reprendrait la métaphore du « dérapage » que Furet lui-même finit par abandonner ? Et qui se souvient que s’agissant des « droits de l’homme », la grande affaire du moment, Furet ne tenait pour légitimes que ceux qui relevaient de l’égalité des droits civils, à la rigueur politiques, mais foin de la revendication à l’égalité des droits sociaux, économiques, culturels, dans l’entreprise ou l’environnement, lesquels nous paraissent aujourd’hui si essentiels ?

N’est pas moins fascinante, la seconde partie de ce retour pensé et remémoré au jour le jour sur la bataille du Bicentenaire. Ici, Vovelle nous entraîne comme dans « les lendemains de fête (chapitre 6) », quand « la débandade (chapitre 7) » disperse les convives, ou lorsque, comme « après la bataille » (chapitre 8 … Leipzig, 1813 ! Waterloo, 1815 !), les vainqueurs-vaincus regagnent leurs pénates en s’interrogeant sur le sens de leur vie et quand, réévaluant le poids des gains et des pertes, ils élèvent leur regard vers le ciel, souffrent du présent et espèrent : « Du fond de ma caverne, je regardais se lever les étoiles » nous confie en conclusion Michel Vovelle à la page 200 de son livre.

Loin de partager ce discours déceptif qui s’alimente de tout ce que, inévitablement, le mouvement des choses introduit de changements nécessaires dans l’ordre de nos vies dont ils rendent caducs bien des épisodes, pour ma part de lecteur (et compagnon admiratif), je demeure attaché à l’image d’un Vovelle en gloire qui a réussi, lui qui se désigne toujours comme un « communiste fidèle » quoique indépendant, à incarner en peine déconfiture des modèles nés de la révolution russe de 1917, la haute figure d’un protagoniste majeur du combat pour l’émancipation humaine !

Et pour finir, comme au confessionnal où il ne se rend jamais, Vovelle finit par nous raconter son amour des images qu’il commente comme personne, puis raconte son tour du monde en qualité de « missionnaire patriote (sic) » traversant au milieu des crises d’identité ou des ruptures, les Amériques et la Caraïbe, la Russie, la Chine, le Japon et la Corée du sud, un peu l’Afrique mais l’Océanie entière et toute l’Europe en tous les côtés, en particulier l’Italie, où il se rend comme chez lui. Enfin, avec émotion, nous lisons à la fin cette confidence à lui faite par son « maître Ernest Labrousse » évoquant le temps du Bicentenaire : « Et n’oubliez surtout pas notre grande révolution d’Octobre » ! Vaste programme et belle ambition ! Un grand livre, donc, qui ne laissera pas indifférents celles et ceux pour qui savoir, s’engager à fond dans ce qui est utile et vous grandit, et vivre cela intensément, ne sont pas des passions futiles.

Claude Mazauric

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