La Révolution française dans les récits d’élèves : quelques indices de la (dé)politisation d’un événement historique

par Laurence De Cock, professeure en lycée à Paris et Université Paris-Diderot

L’enquête : objectifs et méthode

La Révolution française est le moment patrimonial idéal-typique de l’histoire scolaire. Conçue comme la matrice d’une éducation politique, l’étude de la Révolution française constitue, à chaque palier de la scolarité française, un moment phare de l’année scolaire. Événement dramatique par essence, constitutif du modèle républicain actuel, événement jouissant d’une permanente visibilité dans l’espace public, cette révolution, entièrement tendue vers sa finalité civique s’enseigne du primaire au lycée comme un passage obligé de l’intelligence du passé national [1].

Dans l’enquête récente portant sur près de 6000 récits d’histoire de France par des élèves, la Révolution française occupe une place majeure dans le déroulé général des évènements [2]. Elle scande le récit national et détermine le modèle démocratique et républicain de la France contemporaine. Rares sont donc les évènements à assumer aussi pleinement leur potentiel téléologique.

La fabrique scolaire de l’histoire [3] n’est pas l’histoire académique. Elle relève d’une logique de montage et d’agencement d’éléments du passé ayant fait l’objet d’arbitrages en amont. Ces derniers statuent tant sur la place de ces événements dans le montage (selon les cycles, et selon les programmes) que sur leur traitement au regard de l’historiographie, mais aussi de la pédagogie. De ce point de vue, on a donc bien un récit scolaire de l’histoire qui se dessine implicitement par la scolarisation d’un contenu, c’est à dire sa pénétration dans le champ du scolaire. Le téléologique y est une donnée consubstantielle tant que les « programmes » sont écrits de bout en bout, et dans l’acception d’une trame chronologique qui épouse la périodisation classique d’une histoire de l’Antiquité à nos jours.

Mais les récits d’élèves ont encore une autre dimension. De nombreux travaux de didactique ont en effet montré que les modalités d’appropriation de l’histoire en classe ne sont pas uniquement le fruit d’une transfusion de savoirs prescrits [4]. Un autre récit se configure qui entremêle savoirs sociaux et savoirs scolaires. Les deux types de savoirs ne sont pas distincts non plus. Les savoirs sociaux sont fabriqués à l’extérieur de l’École (famille, débats publics, films, etc.), mais aussi, dès l’école obligatoire, par une forme de sédimentation avec des savoirs produits dans et par l’École. Il n’y a donc pas cloisonnement de ces deux formes de savoirs, mais circulations et reconfigurations permanentes. Ainsi, les récits d’élèves, hybrides, peu sourcilleux parfois des codes disciplinaires et de la réalité historique, ouvrent une brèche vers un premier sondage du rapport entretenu par les élèves à tel ou tel événement, du sens qu’il tente de lui attribuer, et des usages qu’il en fait possiblement au présent pour son intelligibilité du monde.

Le travail sur les récits d’élèves suppose donc plusieurs conditions et précautions méthodologiques. La première est de tenter d’approcher le mécanisme de construction cognitive par la mise en résonance du prescrit, du traduit et des discours sociaux. La seconde est d’accepter que les récits produits véhiculent une forme de conscience historique et une intelligence de l’événement sans tomber dans la tentation évaluatrice pour en débusquer les défaillances.

C’est ce que nous avons tenté de faire ici, à partir d’un échantillon de 176 copies de lycéens interrogés, sans aucune préparation préalable sur la consigne suivante : « Raconte la Révolution française » en un temps limité de 25 minutes. Nous avons insisté sur l’absence d’autres consignes formelles ou factuelles. Les élèves pouvaient rendre copies blanches, dessiner, parler de tout autre chose s’ils le souhaitaient.

Le corpus comporte une soixantaine d’élèves de Premières générales et technologiques, et le reste ventilé est entre la Seconde et les terminales. La collecte des données s’est déroulée en mars 2012, période au cours de laquelle la classe de seconde n’a pas encore abordé la révolution française. Il y a donc volontairement une déconnexion entre la progression usuelle de lycée et l’étude de la révolution, ceci afin de se protéger de tout effet de bachotage préalable de cours ou de mémoire immédiate. En préservant également l’anonymat des élèves, l’exercice se décharge de sa dimension évaluative.

Dans ce genre d’enquête se pose systématiquement la question de la représentativité du corpus. Il va de soi qu’il n y a ici aucune quête d’exhaustivité. L’enquête ne porte que sur un seul établissement, un lycée de Nanterre, ville restée très populaire, essuyant de nombreuses stratégies de contournement de la part des meilleurs élèves ; un lycée assez relégué donc, et composé majoritairement d’élèves ayant de sérieuses difficultés scolaires. Cependant, si l’échantillon n’est pas représentatif de tous les lycéens français, il en va autrement si l’on raisonne en termes de classe d’âge. Statistiquement, seul près de 40% d’une classe d’âge de jeunes arrive au Baccalauréat général ou technologique [5]. Les autres sont orientés en voie professionnelle ou ont arrêté l’École. On peut donc supposer que, pondéré de la sorte, l’échantillon est plus représentatif des savoirs de jeunes adolescents entre 15 et 17 ans sur la Révolution française.

Notre méthode de dépouillement et d’analyse a combiné l’intuitif, le quantitatif, la forme et le fond. Nous avons comptabilisé quelques occurrences représentatives de nos objectifs de recherche, à savoir, dates, causes, acteurs, événements, et registre discursif de qualification de l’événement.

L’objectif de ce travail est en effet d’entamer une réflexion sur les modalités de restitution d’un événement historique fondateur susceptible de fournir quelques indices non pas tant du niveau de connaissances factuelles des élèves interrogés, que des empreintes laissées par cet événement dans le processus de conscientisation historique. On supposera, à la suite de Gadamer, que la conscience historique consiste à « comprendre historiquement sa possibilité d’avoir un comportement historique » [6], et qu’en tant qu’événement politiquement instituant, une révolution véhicule une forme d’éducation politique par la radicalité des idées, des actes et des bouleversements qu’elle engendre [7].

Pour le philosophe Gadamer, la première condition d’une conscience historique réside dans le caractère étranger de ce qui est à comprendre, c’est à dire du passé.  Il y aurait nécessité d’un travail de désaffiliation par rapport au passé pour en mesurer « l’extériorité par rapport à soi » et pouvoir commencer un véritable travail d’interprétation. La conscience historique peut aussi agir comme élément de la conscience politique. Cela suppose une logique de projection dans le présent et dans l’avenir : l’outillage conceptuel et méthodologique transmis par un enseignement historique doit ainsi pouvoir être réinvesti sur des objets contemporains : enjeux sociaux, prises de positions, controverses, etc.

C’est sous cet angle que nous souhaitons interroger le degré de politisation de l’événement Révolution Française dans les récits de lycéens. Quelles traces a laissé cet événement si patrimonialisé ?

Pour ce faire, nous verrons en quoi la Révolution française constitue un maillon paradoxal du récit scolaire depuis la naissance de l’enseignement public de l’histoire jusqu’à nos jours, puis nous interrogerons les récits lycéens à l’aune de des prescriptions, mais aussi des savoirs sociaux en circulation et des modalités d’appropriation de l’histoire par les élèves.

 

Un maillon paradoxal de la fabrique scolaire de l’histoire

Dès la fin du Second Empire, et plus encore avec l’école de Jules Ferry, la Révolution française s’inscrit de manière naturelle dans le récit national français. Acte fondateur de la république, modèle civique par excellence de l’initiative populaire et citoyenne, la Révolution française aurait pu apparaître comme le mythe prométhéen du modèle nationalo-républicain. Les choses furent plus complexes. Car cette révolution est aussi l’irruption du désordre dans un destin national méthodiquement rythmé par la quête du progrès. Le roman nationalo-républicain préféra en effet projeter l’épaisseur historique d’une nation ancrée dans son héritage gaulois au cheminement jalonné par les hauts faits et gestes de ses souverains. Cette écriture continuiste, et linéaire aux enchaînements dramatisés n’accepte pas facilement l’irruption brutale du retournement révolutionnaire, lequel risque en outre d’introduire chez les enfants l’idée des possibles vertus de la désobéissance.

Ernest Lavisse avait parfaitement compris cette difficulté lorsque, lors d’une conférence à la Sorbonne en 1881, il mettait ses étudiants en garde :

[…] Belle méthode pour former des esprits solides et calmes, que de les emprisonner dans un siècle de luttes ardentes, où tout besoin veut être assouvi et toute haine satisfaite sur l’heure ! Méthode prudente que de donner la révolution pour point de départ et non pour une conclusion, que d’exposer à l’admiration des enfants, l’unique spectacle des révoltes même légitimes et de les induire à croire qu’un bon français doit prendre les Tuileries une fois au moins dans sa vie, deux si possible, si bien que les Tuileries détruites, il ait envie de quelque jour de prendre d’assaut pour ne pas démériter, l’Élysée ou le Palais Bourbon […]. [8]

La présentation scolaire de la Révolution française de la Troisième République reste donc très irénique. Elle apparaît comme la juste conséquence de l’incapacité des deux derniers rois qui n’avaient pas su perpétuer l’héritage ancestral de la gloire nationale. Mais elle ne doit pas insister trop sur le désordre politique et la légitimité de la contestation populaire. Elle est un moment qui advient de façon tout à fait logique, qui a fait certes agir la population mais il y avait quelque chose de très naturel dans ces actions. L’événement est quasiment providentiel, il devait advenir pour rétablir la justice.

Pour autant, elle est, dès le départ, point d’orgue du récit national. Franco-française, porte d’entrée vers la période contemporaine, elle doit apparaître comme un palier vers la modernité politique. Car la Révolution française est aussi la matrice de toute éducation civique, matière accolée à l’enseignement de l’histoire. N’est-elle pas l’acte de fondation des Droits de l’Homme ? Des valeurs et principes républicains ? De la responsabilisation politique des citoyens ?

Les prescriptions actuelles s’inscrivent dans la continuité de ce questionnement. Structurellement, le récit scolaire de la Révolution française n’a pas été bouleversé tant que cela depuis un siècle et demi. Bien sûr, l’écriture scolaire ne répond plus aux critères du roman national ; elle est plus saccadée, moins lisse, volontiers thématique et, autant que faire se peut, indexée aux renouvellements historiographiques. Néanmoins, la Révolution française y garde sa fonction matricielle, propédeutique à l’éducation citoyenne. Présente en primaire, au collège et au lycée, elle est le lieu de la sensibilisation au modèle républicain. Entre-temps cependant, l’historiographie furétienne a pénétré les programmes, notamment dans les années 1990, et transformé l’événement révolutionnaire en une histoire désincarnée des idées politiques : petite-fille des révolutions anglaises, fille des Lumières et de la constitution américaine, la Révolution française était devenue un bréviaire des expériences politiques alternatives à l’absolutisme que les élèves schématisaient laborieusement dans quelques organigrammes. Aux causes, au déroulé événementiel et aux acteurs, on préférait l’exégèse de la Déclaration des droits de l’homme, document patrimonialisé en histoire et fétichisé en éducation civique.

Aujourd’hui, même si l’historiographie scolaire connaît un retour des acteurs et l’entrée des femmes, la Révolution garde un caractère hexagonal patrimonial et matriciel. Les programmes se présentent comme une hybridation des différentes influences historiographiques. On lui trouve des causes multiples, notamment économiques et sociales ; mais elle conserve sa surcharge civique qui permet de focaliser sur sa dimension testimoniale pour des enseignants souvent pris dans une course contre la montre pour finir les programmes. Surtout, elle continue d’être enseignée du primaire au lycée, selon une logique spiralaire qui change de point de vue à chaque nouveau cycle. Un rapide inventaire s’impose.

En CM1, le moment-clé de la Révolution tourne autour de l’année 1789, « année exceptionnelle » jalonnée par des évènements. C’est en CM2 que sont étudiées la monarchie constitutionnelle, la République et la Terreur. On note donc le caractère d’emblée fétichisant conféré à l’année 1789.

Au collège, on observe une rupture de la linéarité puisque la Révolution est désormais envisagée sous la forme de moments [9] sur lesquels il est demandé de faire des zoom. C’est une narration discontinue et interrompue où il est expressément demandé de « renoncer à un récit continu des événements » et de se focaliser sur « un petit nombre d’évènements et de grandes figures ».

En seconde enfin, le programme insiste davantage sur l’histoire des idées politiques. La Révolution s’inscrit dans un cadre intellectuel précis ; les idées des élites, issues des Lumières, imprègnent les gestes du peuple. L’approche se décentre également puisqu’on demande aux élèves de faire le lien avec la révolution américaine. Il y a donc une accentuation de la dimension intellectuelle et appelle à réfléchir davantage sur la nature du régime politique non pas dans sa praxis mais dans sa théorisation.

Mais il est demandé également d’insister sur des journées révolutionnaires dites « significatives » ainsi que sur le rôle d’acteurs individuels et collectifs. On observe bien ici une synthèse des différentes approches historiographiques de la révolution.

A l’échelle de toute la scolarité, on a donc des prescriptions qui jonglent avec plusieurs types de traitement de la révolution susceptibles de provoquer quelques brouillages. On observe en effet une tension entre une restitution tout à fait linéaire bâtie sur une mise en intrigue focalisant sur l’année 1789 et, plus tard, une histoire plus accidentée et conceptuelle .

Cette fonction première de la narration dramatique de l’année 1789 profile cependant la rencontre avec l’événement révolutionnaire. On peut par ailleurs supposer que le poids du récit de la révolution reste marqué par une narration scénarisée de l’événement ; d’abord parce que, faute de temps, le cours magistral se prête particulièrement bien au récit ; ensuite parce que les « capacités » spécifiques travaillées au collège sont de « raconter » et « expliquer » [10].

Qu’en est-il alors dans les restitutions de la Révolution française par les élèves ?

 

La révolution dans les récits d’élèves :

Le premier constat est celui d’une quasi absence de copies blanches, à peine une dizaine. Le sujet ne laisse personne indifférent ou sec.

Nous avons choisi d’organiser l’analyse selon une logique thématique.

 

  • La périodisation de l’événement

Dans quasiment l’intégralité des copies, la Révolution commence en 1789 et s’achève en 1789. Il arrive même qu’elle débute puis s’achève le 14 juillet 1789. C’est  la seule date qui apparaît systématiquement. L’année 1790 est inexistante. 1791 est citée une fois, 1792 9 fois ; 1793 3 fois, 1805 une fois, et 1815 une fois. La fétichisation de l’année 1789 est évidente. Raconter la Révolution française, c’est raconter 1789. Pour autant, la révolution n’est pas sans dénouement. Sans systématiquement situer l’intrigue dans le temps, la fuite de Varennes constitue un autre marqueur narratif important. Il arrive d’ailleurs que cette fuite devienne ce qui a provoqué 1789. Le roi ayant trahi, il est normal que le peuple se révolte. Varennes est l’élément dramatique par excellence. Il faut une cause immédiate au soulèvement. La trahison du roi renvoie à une scénarisation quasi fonctionnelle comme dans le récit ci-dessous d’un élève de 1ère :

Le peuple est contre le Roi et décide de se soulever. Il y a eu la grande peur car des paysans avaient mis le feu à des châteaux de Bourgeois. Ils ont peur des représailles. Au travers du serment du jeu de paume, ils promettent de ne pas abandonner. De plus, le Roi emprisonne des résistants à la prison de la Bastille. Le Roi veut quitter le château avec Marie-Antoinette vers l’Autriche mais est reconnu et ramené à Versailles. Il ne doit plus sortir du château. Le peuple se sent trahi. Ils partent à la Bastille le 14 juillet 1789 et libèrent les prisonniers. Puis le roi et la reine sont décapités. [11]

 

  • Les causes

Très peu de copies ne traitent pas des causes. La question du « pourquoi » est inhérente au raisonnement historique. Pour la plupart, les causes ne sont pas « intellectuelles » mais bien liées à des facteurs économiques et sociaux. Les philosophes des Lumières ne sont évoqués que 4 fois comme causes. Les élèves notent les impôts, les inégalités, et les injustices. Les causes sont aussi politiques, notamment le poids de la « monarchie absolue de droit divin ». Le terme de privilège est assez rare (10 fois) ; les élèves parlent d’« avantages ». Cette propension à minorer le rôle des idées est significative d’un raisonnement qui cherche à capter les raisons immédiatement perceptibles parce qu’en résonance avec un environnement familier (de la société, de la famille). L’élève va chercher dans son stock de savoirs sociaux des facteurs explicatifs avec lesquels il a une  proximité intuitive  comme en témoigne cet élève de Seconde qui mobilise un vocabulaire contemporain (chômage) ou approximatif et dramatique (famine, pendaison).

Suite à plusieurs régimes désastreux et le mécontentement du peuple face au chômage et la famine, le peuple décide de s’emparer de la Bastille le 14 juillet 1789 et de libérer les prisonniers. Le roi Louis XIV à cette époque s’enfuit avec la famille royale mais il est vite dénoncer et arrêté par les paysans. Peu de temps après ils furent tous pendus. Cette tragédie est à l’origine de la souffrance du peuple. En effet les nobles et les bourgeois ne sont pas concernés. Avant les débuts violents de cette révolution, ils se sont exilés dans les pays où règne la monarchie afin d’aider le roi a retrouver son trône car ils y voient en même temps leur propre intérêt.

 

  • Les protagonistes

Leur nombre est également très réduit. On distingue deux types d’acteurs : individuels et collectifs. Le nom le plus fréquent est celui de Louis XVI (113 fois) mais on trouve aussi parmi les individus révolutionnaires : Napoléon (12 fois), Robespierre (10 fois), Danton (2), Desmoulin (1) et une seule femme : Marie-Antoinette (20 fois). La révolution est donc une affaire d’hommes. Mais la révolution est un geste surtout collectif. Elle est le fait du peuple, de la population, des Français, des Parisiens, du Tiers-État, et ses sans-culottes (27 seulement). Les révolutionnaires ne sont pas divisés. Le terme de Girondins n’apparaît qu’une fois pour qualifier l’ensemble des révolutionnaires. Pas une seule mention de la scission entre Montagnards et Girondins, encore moins de la guerre civile et des contre-révolutionnaires. L’écriture reste irénique et consensuelle.

 

  • Les événements

Outre la prise de la Bastille quasiment systématique, la mort de Louis XVI (non datée) arrive en seconde position (45 fois). Le serment du jeu de Paume suit (30 fois). Les élèves le décrivent en détail avec la dramaturgie d’un acte théâtral. S’en suit la fuite de Varennes (29) détaillée de manière « anecdotique », c’est-à-dire dépolitisée, comme le moment où tout bascule. La DDHC – parfois uniquement sous forme d’acronyme – (25 fois) ; l’abolition des privilèges (5 fois) ; La Terreur qui n’est mentionnée que 10 fois ; la marche des femmes (1 fois). Il arrive là encore que le montage ne corresponde pas exactement à la réalité historique comme chez cet élève de Terminale :

Suite à une volonté de changement de régime politique, le roi, Louis XVI et ses partisans feront régner ce que l’on appellera la “Terreur”, c’est à dire la peur d’être guillotiné sous peine de tel ou tel délit, La délation est alors d’actualité et les morts s’accumulent accentuant, les tensions au sein de la France. Sous la direction des philosophes aux idées nouvelles et révolutionnaires, les “sans- culottes” représentant le Tiers- État, visent à changer de régime et oublier la monarchie. Des symboles forts tels que la Marseillaise, le chant révolutionnaire des Français, devenu hymne national, sont créés afin de donner confiance et force aux révolutionnaires. Le 14 juillet 1789, la Bastille sera prise par les révolutionnaires et le roi Louis XVI sera guillotiné […].

L’échelle de l’événement est la France, et plus encore Paris. Il y a très peu d’autres États impliqués dans les récits d’élèves. L’Autriche et la Prusse apparaissent respectivement trois et deux fois.

 

  • Qualifications et conséquences de l’événement

La violence apparaît de manière assez fréquente. On la devine dans l’usage du vocabulaire : « guillotiné », « décapité », « sanglant », « confrontation », etc., comme chez l’élève de Première ci-dessous :

Pour finir, la révolution fut sanglante, il y eut énormément de blessés et de morts. Mais le résultat était bien là : le roi Louis XVI fut destitué de tout pouvoir et la France ne vivait plus sous la gouverne d’un tyran.

Pour autant, la Révolution n’est pas toujours une rupture, elle est parfois un simple « changement », un « mouvement », un « tournant », marquant un « mécontentement », avec des « incidents » et de la « rébellion ». Ce sont des qualificatifs minorés.

C’est surtout l’événement qui sert à valider le modèle républicain et le modèle démocratique. Si nous sommes dans la république des droits de l’homme, c’est grâce à la Révolution française comme l’indique cet élève de Première :

[…] Cette révolution est donc l’élément majeur du changement du 18e siècle car c’est le peuple qui a combattu pour un monde plus juste. La révolution française a donc abolie les privilèges, il y a eu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le suffrage universel masculin.

 

Bilan de l’enquête

Le récit scolaire de la Révolution française relève du récit de fondation à partir d’un événement inaugurant et clôturant : l’année1789. La quasi absence d’événements révolutionnaires (contrairement aux prescriptions) montre le caractère fossilisé et patrimonialisé de l’année 1789 qui condense l’ensemble de la révolution. La Révolution française n’a donc pas d’épaisseur historique, elle est déshistoricisée. Certains moments-clés de l’historiographie sont passés sous silence. C’est le cas notamment de la Terreur qui avait pourtant le potentiel tragique typique de la narration scolaire.

La mise en intrigue de la révolution est naïve et diffère peu du récit lavissien [12]. La tentative d’élargir les échelles, de faire des causalités intellectuelles ou de conceptualiser est plutôt un échec. La capacité « raconter » empêche la mise en forme narrative de la complexité. Le récit continue de fonctionner sur le modèle traditionnel : impulsion, héros, antihéros, dénouement, chute.

La Révolution française est déconflictualisée, on saisit mal les enjeux du soulèvement, les demandes politiques des révolutionnaires et les divisions entre acteurs. Le rapport au politique est ici consensuel. Le révolutionnaire est une catégorie typique de l’histoire scolaire qui classe les acteurs selon des typologies considérées comme facilitant l’appropriation. Ces catégorisations empêchent d’aborder la complexité des acteurs et des actes et ainsi, les élèves, cherchant à remobiliser des connaissances dans le cadre scolaire, opèrent une catégorisation par proximité intuitive, c’est-à-dire que l’intelligibilité de l’événement opère un détour par le sens commun. Il se produit une socialisation du savoir historique, forme d’apprivoisement des connaissances historiques qui transitent par l’immédiateté de l’expérience personnelle des élèves, à savoir leurs représentations sociales. Cette manière d’imbriquer des savoirs « déjà là » (savoirs sociaux) et des « savoirs reçus dans et par l’école » (savoirs scolaires, contenus d’enseignement) produit du raisonnement historique, d’où des analogies et des anachronismes [13], comme celui-ci :

Lors de la révolution française, le signe dominant est la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 qui est maintenant la fête nationale. C’est un grand massacre et en s’attaquant à la Bastille, ils s’attaquent à l’armée française. (1ère)

Ou encore :

De plus, le Roi emprisonne des résistants à la prison de la Bastille. (1ère)

Ce phénomène de mise en conformité entre le sens commun et les savoirs historiques est sans doute accentué, dans notre cas, par la forte présence sociale de la Révolution française (commémorations, symboles républicains, fictions, etc.).

On peut pour terminer s’interroger sur cette conscience historique bricolée du moment révolutionnaire. La focalisation sur le politique, dans son sens le plus restrictif, centré autour de la conquête de nouveaux droits (de l’homme), introduit peut-être une vision excessivement moralisante du fait politique et complique la réflexion sur la nature révolutionnaire de l’événement, notamment dans ses usages assumés de la violence.

Quelques élèves tentent pourtant de mobiliser leurs connaissances historiques pour comprendre le contemporain. C’est le cas du premier exemple ci-dessous (Terminale) où l’usage de la première personne et le caractère pamphlétaire de l’écrit témoignent d’une confusion passé/présent :

Nous sommes en juillet 1789, tout exactement le 14. Nous sommes à la Bastille. Nous prenons celle-ci. Nous nous battons. Nous souhaitons libérer notre pays de l’emprise du mal : la monarchie absolue de droit divin. On en a marre que la monarchie nous contrôle. Ce symbole ne sera plus le symbole de l’État mais le nôtre. Même s’il n’y avait que trois ou quatre prisonniers, on voulait les libérer pour arrêter cette calomnie ; tout le monde criait, se battait. C’était le début de la Révolution Française. La bataille fut rude, on a combattu toutes ces inégalités. Stop à la société d’ordres et au clergé qui ont tous les droits.

Mais aussi de ce dernier texte qui tente une projection analogique vers les révolutions arabes :

[…] Le 14 juillet 1789, le peuple a pris la Bastille. C’était la fin de la monarchie absolue. Louis XVI et sa famille ont été emprisonnés jusqu’à leur décapitation. Le 26 août 1789, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ont été écrit pour donner l’égalité pour tout le monde. Les Français sont égaux. Après cet épisode, la France a connu plusieurs régimes jusqu’à l’installation réelle d’une démocratie. On peut comparer relier la révolution française à ce qui se passe dans le monde arabe. [14] (Terminale)

L’École aurait sans doute un rôle à jouer pour interroger autrement ce moment révolutionnaire que comme la matrice d’un « toujours déjà là ». Il s’agirait d’en faire un laboratoire d’observation des inventions politiques, sociales, économiques et humaines ; d’en accepter les tâtonnements, les heurts, les violences, les détours et les surprises. Cela suppose une démarche scolaire totalement novatrice. On commencerait par varier constamment les focales : monde urbain/rural ; Paris/province ; métropoles/colonies ; par jouer avec les temporalités : l’élasticité, les pesanteurs, les accélérations, les usages mémoriels, puis par accepter une véritable perspective genrée de la Révolution qui ne se réduise pas à une simple double page désormais obligatoire dans les manuels sur « les femmes dans la Révolution », comme si les actes de ces dernières pouvaient se penser sans ceux des hommes.

L’enjeu consiste donc à tenter de vivifier le sujet. Les élèves s’animent lorsque sont bousculées leurs représentations et qu’est restituée une historicité à l’événement qu’empêche toute téléologie ; Quels sont les possibles du moment ? Qu’est-ce qui a eu lieu ? Qu’est-ce qui aurait pu avoir lieu ?

La Révolution française permet d’interroger autrement les concepts – liste non exhaustive – de violence, justice/injustice, universel, rapports de domination, redistribution des richesses, démocratie, ou même de guerre. Elle aide à sortir des catégories usuelles d’entendement de « valeurs » surdéterminées par un présent au nom duquel on instrumentalise le passé. C’est pourquoi il ne serait sans doute pas inutile de revisiter la matrice originelle de son inscription scolaire.

Version pdf

 

[1] Laurence De Cock, Guillaume Mazeau, « Que reste-t-il de notre révolution ? » in Philippe Bourdin et Cyril Triolaire (dir), Enseigner la révolution française et l’Empire, Paris, Belin, à paraître en 2015.

[2] Nous renvoyons ici au billet de Françoise Lantheaume dans ce dossier.

[3] Laurence De Cock, Emmanuelle Picard (dir), La fabrique scolaire de l’histoire, Marseille, Agone, 2009.

[4] On renverra notamment aux travaux pionniers de Nicole Lautier, Charles Heimberg ou Didier Cariou.

[5] http://www.education.gouv.fr/cid57096/reperes-et-references-statistiques.html, consulté le 15 août 2015.

[6] Hans Georg Gadamer, Le problème de la conscience historique, Pierre Fruchon ed., Paris, Seuil, 1996 (traduction des conférences prononcées en 1958 à l’université de Louvain), p. 88. Voir également Nicole Tutiaux-Guillon et Didier Nourrisson (dir), Identités, mémoires et conscience historique, Saint-Étienne, publication de l’université de Saint-Etienne, 2003.

[7] Jean-Luc Chappey et alii, Pour quoi faire la révolution, Marseille, Agone, 2012.

[8] Ernest Lavisse, L’enseignement historique en Sorbonne et l’éducation nationale, leçon d’ouverture au cours d’histoire du Moyen-Age, à la faculté des lettres de Paris, décembre 1881, disponible dans la Revue des deux mondes du 15 février 1882, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k355334/f869.image, pp. 870-897, consulté le 15 août 2015.

[9] Il y a trois moments qui correspondent à trois périodes envisagées dans leur propre cohérence : 1789-1791 ; 1792-1794 ; 1799-1804.

[10] « Raconter quelques-uns des événements retenus et expliquer leur importance », programmes de 4e, BOEN, août 2008.

[11] Il va de soi que les récits choisis dans le cadre de cet article sont sélectionnés en fonction de leur propension à illustrer le propos. Ils ne sont pas forcément représentatifs de l’ensemble des récits collectés.

[12] Ce qu’avait aussi remarqué Marc Deleplace comparant les récits des manuels et des élèves depuis les Malet et Isaac jusqu’à aujourd’hui. Marc Deleplace, « Comment on enseigne la Révolution française ? Quelques questions à l’écriture scolaire de l’histoire », in, Laurence De Cock et Emmanuelle Picard (dir), La fabrique…, op.cit.

[13] Didier Cariou, Didier Cariou, Écrire l’histoire scolaire. Quand les élèves écrivent en classe pour apprendre l’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

[14] La rature a été sciemment préservée. Elle peut également témoigner d’une maturation du raisonnement historique, lequel établit plus facilement des liens que des comparaisons.

 



Citer ce billet
Rédaction (2015, 17 août). La Révolution française dans les récits d’élèves : quelques indices de la (dé)politisation d’un événement historique. À l'école de Clio. Histoire et didactique de l'histoire. Consulté le 29 mars 2024, à l’adresse https://doi.org/10.58079/o0qr