menu

Accueil > Comprendre la Révolution > Au fil des textes > La journée du 10 août racontée par Lucile Desmoulins.

La journée du 10 août racontée par Lucile Desmoulins.

mardi 18 août 2015

La journée du 10 août racontée par Lucile Desmoulins.


Le jeudi 9 août 1792,

« Qu’allons-nous devenir ? je n’en puis plus. Camille, ô mon pauvre Camille ! Que vas-tu devenir ? Je n’ai plus la force de respirer. C’est cette nuit, la nuit fatale. Mon Dieu ! s’il est vrai que tu existes, sauve donc des hommes qui sont dignes de toi. Nous voulons être libres. Ô Dieu ! qu’il en coûte. Pour comble de malheur, le courage m’abandonne. »

Le 12 décembre1793,

« Le 8 août, je suis revenue de la campagne. Déjà tous les esprits fermentaient bien fort. On avait voulu assassiner Robespierre. Le 9, j’eus des marseillais à dîner ; nous nous amusâmes assez. Après le dîner, nous fûmes tous chez Danton. La mère pleurait, elle était on ne peut plus triste, son petit avait l’air hébété ; Danton était résolu. Moi, je riais comme une folle. Ils craignaient que l’affaire n’eût pas lieu. Quoique je n’en fusse pas du tout sûre, je leur disais, comme si je le savais bien, qu’elle aurait lieu. « Mais peut-on rire ainsi ! me disait Madame Danton. - Hélas ! lui dis-je, cela me présage que je verserai bien des larmes peut-être ce soir. » Sur le soir, nous fûmes reconduire Madame Charpentier. Il faisait beau ; nous fîmes quelques tours dans la rue ; il y avait assez de monde.

Nous revîmes sur nos pas, et nous nous assîmes tout à côté du café. Plusieurs sans-culottes passèrent en criant : Vive la nation ! puis des troupes à cheval, enfin des foules immenses. La peur me prit. Je dis à Madame Danton : « Allons-nous-en. » Elle rie de ma peur ; mais à force de lui en dire, elle eut peur à son tour, et nous partîmes. Je dis à ma mère : « Adieu, vous ne tarderez pas à entendre sonner le tocsin. » En arrivant chez Danton, j’y vois Madame Robert et bien d’autres. Danton était agité. Je courus à Madame Robert et lui dis : « Sonnera-t-on le tocsin ? Oui, me dit-elle, ce sera ce soir. » J’écoutai tout et ne dis pas une parole. Bientôt, je vis chacun s’armer. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. Ô Dieu ! Je m’enfonçai dans l’alcôve, je me cachai avec mes deux mains et me mis à pleurer ; cependant, ne voulant point monter tant de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais pas qu’il se mêlât dans tout cela, je guettai le moment où je pouvais lui parler sans être entendu, et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu’il ne quitterait pas Danton. J’ai su depuis qu’il s’était exposé ;

10 août 1792 par Duplessis

Fréron avait l’air d’être déterminé à périr. « Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu’à mourir. » Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J’allai me fourrer dans le salon qui était sans lumière, pour ne point voir tous ces apprêts. Personne dans la rue. Tout le monde était rentré. Nos patriotes partirent. Je fus m’asseoir près d’un lit, accablée, anéantie, m’assoupissant parfois et lorsque je voulais parler, je déraisonnais. Danton vint se coucher. Il n’avait pas l’air fort empressé ; il ne sortit presque point. Minuit approchait. On vint le chercher plusieurs fois ; enfin il partit pour la Commune. Le tocsin des Cordeliers sonna, il sonna longtemps. Seule, baignée de larmes, à genoux, sur la fenêtre, cachée dans mon mouchoir. J’écoutais le son de cette fatale cloche. En vain venait-on me consoler. Le jour qui avait précédé cette fatale nuit me semblait être le dernier. Danton revint. Madame Robert qui était très inquiète pour son mari qui était allé au Luxembourg, où il avait été député par sa section, courut à Danton qui ne lui donna qu’une réponse très vague. Il fut se jeter sur son lit. On vint plusieurs fois nous donner de bonnes et de mauvaises nouvelles. Je crus m’apercevoir que leur projet était d’aller aux Tuileries. Je le leur dis en sanglotant : je crus que j’allais m’évanouir. En vain ma dame Robert demandait des nouvelles de son mari, personne ne lui en donnait. Elle crut qu’il marchait avec faubourg. « S’il périt, me dit-elle, je ne lui survivrai point. Mais ce Danton, lui, le point de ralliement ! si mon mari périt, je suis femme à le poignarder. » Ses yeux roulaient. De ce moment, je ne la quittai plus. Que savais-je, moi, ce qui pouvait arriver ? Savais-je de quoi elle était capable ? Nous passâmes ainsi la nuit dans de cruelles agitations. Camille revint à une heure ; il s’endormit sur mon épaule. Madame Danton était à côté de moi, qui semblais se préparer à apprendre la mort de son mari. « Non, me disait-elle, je ne puis plus rester ici. » Le grand jour étant venu, je lui proposai de venir se reposer chez moi. Camille se coucha. Je fis mettre un lit de sangle dans le salon avec un matelas et une couverture, elle se jeta là-dessus et prit quelque repos. Moi, je fus me coucher et m’assoupir au son du tocsin qui se faisait entendre de tous côtés. Nous nous levâmes. Camille partit en me faisant espérer qu’il ne s’exposerait pas. Nous fîmes à déjeuner. Dix heures, onze heures passent sans que nous sachions quelque chose. Nous prîmes quelques journaux de la veille ; assises sur le canapé du salon, nous nous mîmes à les lire. Elle me lisait un article, il me semblait pendant ce temps que l’on tirait le canon. J’en entendis bientôt plusieurs coups sans en rien dire ; ils devinrent plus fréquents. Je lui dis : « On tire le canon ! » Elle écoute, l’entend, pâlit, se laisse aller et s’évanouit. Je la déshabillai. Moi-même, j’étais prête à tomber là, mais la nécessité où je me trouvai de la secourir me donna des forces. Elle revint à elle. Jeannette criait comme une bique. Elle voulait rosser la M.V.Q., qui disait que c’était Camille qui était la cause de tout cela. Nous entendîmes crier et pleurer dans la rue, nous crûmes que Paris allait être tout en sang. Nous nous encourageâmes, et nous partîmes pour aller chez Danton. On criait aux armes, et chacun y courait. Nous trouvâmes la porte de la Cour du Commerce fermé. Nous frappâmes, criâmes, personne ne nous venait ouvrir. Nous voulûmes entrer par chez le boulanger, il nous ferma la porte au nez. J’étais furieuse ; enfin on nous ouvrit. Nous fûmes assez longtemps sans rien savoir. Cependant on vint nous dire que nous étions vainqueurs. À une heure, chacun vint raconter ce qui s’était passé. Quelques Marseillais avaient été tués. Mais les récits étaient cruels. Camille arriva et me dit que la première tête qu’il avait vu tomber était celle de Sulean. Robert était à la Ville et avait sous les yeux le spectacle affreux des Suisses que l’on massacrait. Il vint après le dîner, nous fit un affreux récit de ce qu’il avait vu, et toute la journée nous n’entendîmes parler que de ce qui s’était passé. Le lendemain 11, nous vîmes le convoi des Marseillais. Ô Dieu ! quel spectacle ! Que nous avions le cœur serré. Nous fûmes, Camille et moi, coucher chez Robert. Je ne sais quelle crainte m’agitait ; il me semblait que nous ne serions pas en sûreté chez nous.

Le lendemain 12, en rentrant, j’appris que Danton était ministre … »

Recueilli [1] par Bernard Vandeplas, Docteur en Histoire Contemporaine, Vice-Président de l’ARBR, les Amis de Robespierre.

[1fidèlement à l’orthographe originale.