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Madame Tussaud et le « masque de Robespierre »

Exercices d’histoire autour de la médiatique reconstitution d’un visage par Hervé Leuwers et Guillaume Mazeau

mercredi 17 février 2021

Faussement nouvelle, la démarche intellectuelle des auteurs du visage en 3D s’inscrit dans une longue histoire de la caractérologie humaine, revêtue des apparences de la modernité numérique. Cet épisode constitue donc un cas intéressant d’épistémologie de l’histoire : il montre combien la vérité historique ne se construit qu’en fonction de sources non seulement authentifiées, mais aussi choisies en fonction de questions précises et renouvelées. Pour les historiens de la Révolution française, l’affaire du « vrai visage de Robespierre » révèle, enfin, et une fois de plus, combien cette période et ses figures contribuent à dessiner, plus de deux siècles après, quelques profondes lignes de faille de la société française et de l’imaginaire occidental.

(Falsely new, the intellectual approach of the 3D face’s authors is part of a long history of human characterology, dressed up as digital modernity. This episode therefore constitutes an interesting case-study in historical epistemology : it shows how historical truth is constructed only according to sources that are not only authenticated, but also chosen on the basis of accurate and repeated questioning. For historians of the French Revolution, the affair of the « true face of Robespierre » reveals, finally once more, how much this period and its figures contribute to drawing, more than two centuries later, some deep fault-lines through French society and the Western imagination.)

En français

ÉCHOS RÉVOLUTIONNAIRES
MADAME TUSSAUD ET LE MASQUE DE ROBESPIERRE
EXERCICES D’HISTOIRE AUTOUR DE LA MÉDIATIQUE RECONSTITUTION D’UN VISAGE

Hervé LEUWERS et Guillaume MAZEAU

En 1911, par un remarquable article publié dans les Annales révolutionnaires, puis largement diffusé sous forme de brochure, Hector Fleischmann croyait en finir avec la légende des masques mortuaires de Robespierre [1]. Mais les mythes ont la vie dure ; par une médiatique reconstitution du visage du conventionnel, doublée d’un diagnostic rétrospectif de ses pathologies, le docteur Philippe Charlier et Philippe Froesch, de l’entreprise Visualforensic, viennent de le démontrer...

Rappelons d’abord la cocasse affaire de mars 1911. Elle se déroule à Paris, lorsque le musée Carnavalet ouvre de nouvelles salles au public, consacrées à la Révolution et à l’Empire. Parmi les meubles issus de la prison du Temple, les bustes, les tableaux et les médailles, se détache un saisissant masque de cire de Robespierre. Le visage est farouche, mais émacié, avec les yeux clos et les lèvres serrées ; une blessure s’aperçoit au bas de la mâchoire. L’objet, précise le catalogue, « semblait provenir du fameux musée d’images de cire que Curtius avait fondé sur le boulevard du « Temple ». Relayant une explication avancée lors de la précédente exposition du masque (1882), le journal Le Temps rapporte, de son côté, qu’une autre interprétation l’attribue à Palloy, l’entrepreneur qui a détruit la Bastille et diffusé tant de souvenirs patriotiques ; il l’aurait réalisé « sur nature », au pied de l’échafaud.

Maurice Castan, ’Robespierre’ (1878)

L’exposition à peine ouverte, un article du Matin (d’Anvers) lance la polémique [2]. Camille Liaume y assure que le masque est un faux, qui lui a un moment appartenu et a été réalisé par le sculpteur Maurice Castan. Avec précision, il éclaire son cheminement, de sa première exposition lilloise (1882) à son don à Carnavalet, par la veuve de Charles Simon. Pendant quelques jours, les gazettes s’emballent et s’amusent. Prudent, le directeur de Carnavalet en accepte le verdict et retire le masque de l’exposition « jusqu’à plus ample informé ». Depuis, il demeure dans les « réserves du musée [3] » ; il est vrai qu’à elle seule, la position de la blessure, à droite du visage (et non à gauche !), a confirmé - tardivement - la supercherie. Mais d’autres masques existent.

Ainsi, un peu plus d’un siècle plus tard, l’un d’entre eux refait surface et inspire une modélisation du visage de Robespierre, présentée comme une « découverte » à caractère scientifique. Appuyée par une intense campagne de communication, elle reçoit la caution d’une partie de la presse et du monde médical. Le 11 octobre 2013, lors de la « Journée de la Science [4] », Philippe Froesch présente le résultat de son travail au muséum d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence, qui a fourni la copie du masque mortuaire. Deux mois plus tard, après avoir annoncé une prochaine « révélation », Philippe Froesch et le médecin Philippe Charlier, lui-même habitué du monde des médias [5], présentent l’image numérisée du visage de Robespierre. Une nouvelle fois, la date de la conférence de presse a été choisie avec soin : le lendemain, la célèbre revue médicale The Lancet met en ligne une lettre décrivant la maladie jusqu’ici inconnue de Robespierre : la sarcoïdose qui, selon Philippe Charlier, expliquerait l’épuisement (supposé) du révolutionnaire [6]. Dans les jours précédents, une marée d’articles paraphrasant le même dossier de presse a déjà loué la « prouesse scientifique et technique » [7] permettant enfin de « révéler » ou « dévoiler » la « vraie nature » de l’Incorruptible. La bataille du public a paru alors gagnée. Sur internet, la nouvelle inspire en effet des milliers de commentaires. Au début du mois de janvier 2014, l’article de L’Alsace.fr qui a été le premier à mettre en ligne le visage de Robespierre atteint presque 10 000 lectures [8].…

Très tôt, pourtant, plusieurs voix dissonantes se sont élevées, d’abord dans le monde politique et en particulier dans une partie de l’extrême gauche, attachée à la mémoire positive de l’Incorruptible. Le 13 décembre, le secrétaire national du Parti de gauche, Alexis Corbière, bientôt suivi par Jean-Luc Mélenchon, perçoit l’image présentée au public comme monstrueuse, et dénonce une entreprise de destruction de la Révolution tout entière [9]. De telles réactions montrent à quel point l’événement joue comme un révélateur : encore en 2013, la mémoire de Robespierre et des années 1793-1794 demeure une question sensible. De leur côté, les historiens universitaires ne sont pas restés muets. Annie Duprat relaie la nouvelle sur twitter de manière distanciée dès le 13 décembre, confirmant ses doutes quatre jours plus tard [10]. Le soupçon est partagé par Emmanuel Laurentin, producteur de l’émission de radio La Fabrique de l’Histoire, mais aussi par Marc Belissa et Yannick Bosc, récents auteurs d’un livre sur Robespierre et animateurs du blog révolution-française.net, ou par Philippe de Carbonnières, du musée Carnavalet [11]. Entre temps, nous sommes intervenus dans le débat. Le 17 décembre, Guillaume Mazeau publie un billet sur le site du Comité de Vigilance sur les Usages Publics de l’Histoire, repris par une partie de la presse et de la blogosphère [12]. Trois jours plus tard, Bernadette Arnaud relaie les doutes d’Hervé Leuwers dans Sciences et Avenir, alors que, le soir, France 2 et France 3 Nord-Pasde-Calais, consacrent un sujet à ce qui devient l’« affaire Robespierre », présentée par des dizaines de journaux dans le monde anglo-saxon comme une « controverse majeure » [13]. Imanol Corcostequi, du site rue89, fait quant à lui la part belle aux critiques historiennes et au débat, ouvrant un droit de réponse à Philippe Froesch14. Cette fois, les historiens ont joué un vrai rôle dans l’espace public et tout particulièrement sur internet.

Pris dans un temps très court, beaucoup de médias n’ont pas saisi les enjeux plus profonds de ce qu’ils ont réduit à une simple « polémique ». Et pourtant, le visage large et imposant, la peau rougie et trouée de crevasses, les petits yeux perçants de ce Robespierre en 3D ne sont évidemment pas neutres. Volontairement ou non, les auteurs de la reconstitution s’inscrivent dans une tradition satirique et tératologique, faisant de Robespierre un des « monstres » de la Révolution ; l’épaisseur, les plis et les marques du visage trahissent leur perception des acteurs d’une révolution passée, qui n’est pas sans trahir les frayeurs et angoisses de nos sociétés occidentales. Le thème de la maladie renvoie quant à lui à une interprétation pessimiste de l’histoire, assimilant la Révolution à une dégénérescence organique, qui n’épargne pas ses principaux acteurs. Si les historiens ont pris la peine d’intervenir, ce n’est pas d’autorité, mais parce qu’ils sont en mesure, grâce à leur expérience, d’atténuer la sidération de leurs concitoyens devant les « nouvelles technologies » à la lumière d’une histoire, bien plus longue, du mythe de Robespierre.

S’il est strictement impossible d’intenter un procès d’intention à Philippe Froesch et Philippe Charlier, il faut convenir que la nature même de leur projet pèse lourdement sur la fiabilité de leur produit. Visualforensic est une société privée domiciliée à Barcelone, spécialisée dans les reconstructions faciales en images de synthèse, les impressions 3D en résine et les identifications faciales. Contrainte de trouver des marchés mondiaux, elle concentre son activité de communication autour de grands personnages de l’histoire ou de figures anonymes emblématiques, susceptibles d’attirer une audience internationale (momie égyptienne, Henri IV, Bolivar, évidemment populaire dans le monde ibérique) et/ou communautaire (« victime d’un pogrom du XIV* siècle ») [14]. L’entreprise est liée au Groupe de recherche en pathologie (GROB) de l’Université Autonome ainsi qu’à la Faculté de médecine de Barcelone. Affirmant utiliser des procédés d’identification faciale de la police scientifique (Philippe Froesch a ainsi précisé avoir reconstitué le visage de Robespierre à partir de techniques utilisées par le FBI [15]), l’entreprise propose également des expertises dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Visualforensic apparaît ainsi d’un statut hybride, et navigue entre le monde de l’entreprise et de la recherche scientifique publique, voire le monde de l’art, Philippe Froesch se présentant lui-même comme un « Forensic artist » – en l’occurrence, un infographiste médico-légal. Surtout, depuis plusieurs années, l’entreprise travaille avec le médecin légiste, anathomo-pathologiste et paléopathologiste Philippe Charlier, maître de conférences et praticien hospitalier dans le service de médecine légale de l’Hôpital universitaire Raymond Poincaré de Garches (AP-HP, Université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines). Celui-ci s’est lui aussi spécialisé dans l’analyse des restes réels ou supposés de figures illustres de l’histoire comme Richard Cœur de Lion, Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Jeanne d’Arc ou Henri IV, dont la tête présumée, déjà modélisée par Philippe Froesch, a provoqué les doutes de plusieurs historiens. [16]

Dans cette affaire, la technique n’est pas en cause, tant les procédés numériques de visualisation ont démontré leur intérêt heuristique. La sociologie, les sciences politiques, la géographie et l’histoire s’enrichissent de l’utilisation de nouveaux outils numériques permettant de modéliser des données statistiques, d’analyser des textes, de cartographier ou de reconstituer des espaces inaccessibles, immatériels ou disparus, de diffuser les outils et les résultats de la recherche ou, plus profondément encore, de communiquer et de travailler de manière différente. À condition qu’elle s’appuie sur des sources fiables, la reconstitution de visages du passé n’est en particulier pas dépourvue d’intérêt, comme le montre l’actuel développement des Visual Studies : savoir à quoi ont pu ressembler Robespierre, Olympe de Gouges ou Bailly, pour lesquels les historiens ne disposent que de descriptions littéraires ou iconographiques souvent trompeuses, peut, en révélant les décalages entre leur réalité physique et de telles images, aider à approcher les questions des représentations, du charisme, de l’individualité, des représentations collectives, du beau et du laid, des stigmates de la maladie sur les corps et dans les esprits, du genre ou de l’identité sociale. De la même manière, malgré les nombreuses fragilités de la paléopathologie, malgré la difficulté de poser des diagnostics concernant des individus décédés depuis plusieurs siècles, en l’absence de restes organiques, savoir de quel mal ont vraiment souffert Marat, Mirabeau ou Robespierre est une question qui mérite d’être posée, et peut approfondir les connaissances en matière d’histoire démographique, médicale, sociale, mais aussi politique et culturelle : à la fin du XVII siècle, la santé des « hommes politiques » fait l’objet d’intenses références, Robespierre lui-même n’hésitant pas à se dire prêt au sacrifice pour le peuple et la patrie.

Le problème n’est donc ni la discipline ni la technique, mais la méthode, et avant toute chose le choix de la source : la copie du masque mortuaire de Robespierre, conservée au muséum d’Aix-en-Provence, censée avoir été pratiquée sur un original réalisé in vivo, si l’on peut dire, par la future Mme Tussaud.

Mme Tussaud, ’Robespierre’ (1911)

À la question, « possédons-nous un moulage du visage de Robespierre ? », Hector Fleischmann répond sans hésitation par la négative [17] ; un siècle plus tard, l’affirmation reste souvent aussi ferme [18]. Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier l’existence de figures de cire représentant Robespierre. L’une d’elles a existé dans le musée Curtius où, d’après le témoignage de Delécluze, Jacques-Louis David l’aurait vue sous l’Empire, la mâchoire retenue par un bandeau ; le peintre l’aurait jugée bien imitée et bien faite  [19]. L’une de ces têtes de cire se trouve dans les collections du musée Tussaud ; des photographies anciennes la montrent ceinte d’un bandage. À Paris, de tels objets ont fait le succès de Curtius, dès avant la Révolution [20] ; c’est dans son musée que Marie Grosholtz, nièce et pupille de Curtius, et future Mme Tussaud, a fait son apprentissage. Les figures exposées, précisément reproduites, font alors fréquemment référence à l’actualité ; une galerie de portraits du début du XIXe siècle laisse imaginer les bustes de contemporains tantôt disparus, comme Charlotte Corday, Marat ou le comte de Lorges (dont nous aurons à reparler), et tantôt vivants, comme Bonaparte [21].

C’est à partir d’un masque mortuaire en plâtre, et non de la figure de cire du musée Tussaud, que Philippe Froesch a reconstitué le prétendu visage de Robespierre. La comparaison avec les documents du Musée Tussaud, précise-t-il, sera faite dans les mois prochains ; soit. D’emblée, pourtant, il a affirmé que le masque d’Aix-en-Provence n’est qu’une copie de celui de Londres – ce qui mériterait vérification. Que sait-on ? Le plâtre du muséum d’histoire naturelle d’ Aix-en-Provence paraît identique au moulage de la collection Dumoutier (Muséum national d’histoire naturelle), mais aussi à celui de la collection Hutton (Université de Princeton). Ajoutons qu’il est également au catalogue du mouleur d’art Lorenzi, en activité depuis 1871, qui le reproduit sur demande en plâtre, résine, pierre, bronze ou terre cuite [22]. Lors de l’exposition que le musée d’Orsay a consacrée au Dernier portrait, en 2002, c’est d’ailleurs un masque de plâtre provenant de ce célèbre atelier qui a été exposé [23].

’Robespierre’ (Collection Leclerq)

Incontestablement, le masque est d’origine ancienne et existe à de nombreux exemplaires ; par plusieurs photographies de la fin du XIX siècle et du début du XX*, on peut en identifier une copie dans la collection de M. Leclercq, de Compiègne, dont le moulage porte une étiquette datée de 1832, qui précise : « Cette épreuve a été tirée sur l’empreinte originale qui fut moulée sur la figure de Robespierre, immédiatement après qu’il eut été guillotiné, et qui appartient au citoyen Turbri, compositeur de musique ».

Au début du XXe siècle, nous apprend Hector Fleischmann, la même origine est mentionnée sur les masques détenus par Gabriel Thomas et par Léon Moreaux, l’exemplaire de ce dernier ayant été exposé à Paris en 1889 [24].

François Laurent Hébert Turbri (1795-1859) a-t-il acquis son moulage en 1826, à l’occasion de la vente des collections de Dominique-Vivant Denon, qui comprend plusieurs prétendus masques funéraires, dont celui de Robespierre ? Plusieurs indices, dont Hector Fleishmann n’a pu disposer, semblent plaider pour cette hypothèse : la taille de l’objet est identique [25], et une lithographie du début XIX® siècle, présentant deux études du masque, pourrait être de Denon. Le catalogue de la vente de 1826, qui mentionne une « empreinte moulée sur le visage de Robespierre, avant sa mort », invite cependant à la prudence [26].

Quoi qu’il en soit, remarquons que, du catalogue de la vente Denon (1826) à celui de l’exposition de 1889, et à l’inventaire iconographique de Buffenoir (1909), ce masque que nous appellerons Turbri, du nom de son plus ancien propriétaire connu avec certitude, n’est jamais attribué à Mme Tussaud [27]. Il est vrai que ses mémoires, où elle assure avoir pris l’empreinte du visage du conventionnel exécuté, paraissent en 1838 seulement, et en anglais ; ce n’est qu’au début du XXe siècle, que le masque est ainsi directement relié à elle, notamment par Hector Fleischmann qui, sur ce point, ne cherche pas à étayer son affirmation. L’attribution se retrouve dans le catalogue de la collection de l’Université de Princeton, et dans celui de l’exposition du musée d’Orsay de 2002. Elle a été reprise par Philippe Froesch et Philippe Charlier. N’est-il pas étonnant, pourtant, que les auteurs du XIXe siècle ne mentionnent aucunement cette provenance ?

Compte tenu de la célébrité de l’oncle Curtius, et bientôt de Mme Tussaud elle-même, elle aurait renforcé l’authenticité possible du moulage. Faute de pouvoir trancher sur ce point, poursuivons la réflexion en considérant que nos deux auteurs ont raison dans leur attribution.

Pour Philippe Froesch et Philippe Charlier, les choses sont simples ; Mme Tussaud affirme avoir réalisé le masque de Robespierre, et sa formation lui a permis de le faire, on peut donc la croire sur parole. Pourtant, quel étrange livre que ces Memoirs and Reminiscences de Mme Tussaud !

Au mieux, il n’est qu’un réjouissant roman où, entre quelques souvenirs crédibles et des relations d’événements assez convenues, s’accumulent poncifs et anecdotes invraisemblables. Depuis 2005, l’ouvrage est traduit en français et accessible à tous [28] ; inutile, donc, d’en faire une critique serrée. Contentons-nous de relever quelques amusantes invraisemblances en lien direct avec Robespierre.

En voici une première. Après le 14 juillet, rapportent les mémoires, alors qu’elle visite la Bastille avec son oncle et des amis, Marie Grosholtz aurait glissé dans les escaliers du château et aurait été rattrapée par… Robespierre ; « il fit alors galamment observer que c’eût été une grande pitié qu’une si jeune et jolie patriote se fût brisé le cou dans un endroit aussi affreux ». Peu avant, elle écrit qu’on lui a présenté le plus ancien et célèbre prisonnier de la Bastille, le comte de Lorges, « afin qu’elle prit un moulage de sa tête qu’elle compléta ensuite et qu’elle possède encore dans sa collection. Parfaitement ressemblant, c’est la vie même ».

Malheureusement pour la crédibilité de Mme Tussaud, le comte de Lorges n’a jamais existé ; c’est un mythe, bien connu des historiens [29]. Poursuivons tout de même. Influencée par certaines légendes thermidoriennes, qui ont attribué à Robespierre une maison de plaisir à Issy, Mme Tussaud brosse le portrait d’un « libidineux », avide de conquêtes et prêt à envoyer des innocents à la guillotine pour saisir leurs biens en faveur de ses maîtresses. Enfin, dernière information capitale : Mme Tussaud précise que son moulage a été réalisé au cimetière de la Madeleine [30]. Or Robespierre et les autres exécutés du 10 thermidor ont été ensevelis au cimetière des Errancis ! Aurait-elle pu l’oublier ?

Tout cela, on en conviendra, fragilise le témoignage de Mme Tussaud.

De plus, comment croire qu’elle ait pu approcher du corps supplicié, prendre sa tête tranchée et blessée, et en faire le masque ? Alors que le gouvernement souhaite faire disparaître les corps du 10 thermidor sous la chaux vive, alors qu’il craint la constitution d’un lieu de mémoire, alors qu’on ne plaisante pas avec ses ordres, comment imaginer que le bourreau aurait pu prendre le risque d’autoriser ce geste ? Ni elle, ni aucune autre personne, sans doute, n’a pu s’approcher de ce cadavre que l’on continue de craindre. Bien des aspects du masque Turbri, d’ailleurs, devraient étonner.

Le témoignage des chirurgiens qui ont examiné Robespierre, quelques heures avant son exécution, précisent qu’ils ont « aperçu d’abord un gonflement à toute la face, plus considérable à gauche (le côté blessé) ; il y avoit aussi érosion à la peau et chymose à l’œil du même côté [31] ». Et rien de tout cela n’aurait été perceptible sur le masque funéraire ? Aucun gonflement, aucune déformation, aucune marque évidente à l’emplacement de la blessure ?

Et que penser de l’étrangeté du visage reconstitué, qui ne rappelle en rien les portraits connus du révolutionnaire ? Certes, l’ancienne étude iconographique de Buffenoir est à reprendre [32] ; plusieurs des portraits qu’il mentionne ne sont plus reconnus comme étant de Robespierre, et de nouvelles identifications ont été à leur tour remises en cause. Ainsi, le tableau de Vigneron conservé aux châteaux de Versailles et de Trianon est encore souvent présenté comme une copie du pastel qu’Adélaïde Labille-Guiard à exposé au salon de septembre 1791 ; les spécialistes de l’artiste, pourtant, n’y reconnaissent aucunement sa patte, et doutent fortement de l’identité du modèle [33]. Le portrait de Boilly du musée de Lille, identifié à Robespierre par un article de 1928 dont les minces arguments mériteraient d’être sérieusement discutés, peut également susciter le doute [34].

Vigneron, Robespierre (?) d’après Danloux (appelé d’après Adélaïde Labille-Guiard).

Si l’on s’en tient à quelques représentations indiscutables, et particulièrement au portrait anonyme, conservé par le Musée Carnavalet, on peut souligner un caractère physique de Robespierre, totalement absent du masque funéraire. Sur ces représentations, en effet, comme sur nombre de gravures [35], sur le pastel de Bose (Musée Lambinet, Versailles) ou sur le buste de Deseine (Musée de la Révolution française, Vizille), le nez du député apparaît assez fin et légèrement retroussé. Sans même revenir sur les profondes marques de variole du masque, qu’aucun portrait ne peut laisser supposer aussi prononcées chez Robespierre, on peut s’étonner que cette différence physique n’ait pas suscité l’interrogation.

Si l’origine du masque n’est pas prouvée, si ni Marie Grosholtz, ni personne d’autre n’a pu fixer les traits de Robespierre après son exécution, que penser des analyses médicales rétrospectives du docteur Charlier ?

Certes, il affirme également se reposer sur des sources. il cite ainsi le témoignage de Pierre Villiers, mais sans prendre la peine d’en discuter l’authenticité, alors qu’il a été réfuté (à tort ou à raison) par René Garmy [36].

Les rares informations du docteur Souberbielle peuvent-elles alors suffire ?

Et que dire d’une approche bibliographique qui met en exergue La vie privée de Robespierre de Nabonne, discutable en bien des points, et une surprenante interprétation d’un récent article de Peter McPhee dans les Annales historiques de la Révolution française, dont les analyses invitent au débat [37] ? Non, aux yeux de l’historien, l’incertitude de l’information et l’absence de critique des sources invalident la démonstration et la prétendue découverte d’une sarcoïdose. Pour d’autres raisons, propres à leur discipline, plusieurs médecins ont également contesté le diagnostic [38].

Le ’masque mortuaire’ et le physionotrace

Dans l’attente de nouvelles révélations, promises pour les mois qui viennent, que retenir de cette affaire ? Elle montre tout d’abord, une nouvelle fois, combien les mécanismes de fabrication de l’histoire se sont à la fois accélérés, démocratisés et mondialisés. Matrice d’un nouveau folklore, internet a visiblement démultiplié les possibilités d’actualisation, de transformation et de diffusion des imaginaires collectifs souvent issus du passé le plus lointain : la rapidité et la liberté avec lesquelles ce nouvel avatar de Robespierre a été commenté, transformé, détourné et approprié par les internautes montre à quel point le passé se fabrique désormais également ailleurs que dans les livres, à la radio ou à la télévision, faisant des humanités digitales des territoires d’avenir pour ceux qui s’intéressent aux usages du passé. Cependant, cette énième affaire Robespierre a aussi prouvé que les historiens peuvent se saisir de ces outils pour exercer leur droit de vigilance, partager leur savoir en dehors de la sphère académique dans le temps court de l’actualité, sans pour autant renoncer aux règles de la méthode critique. La croyance collective dont a spontanément bénéficié le visage numérique de Robespierre démontre, quant à elle, la force des utopies « technologiques » prétendant décoder la véritable nature des individus à partir de leur apparence physique, depuis la physiognomonie des Lumières jusqu’à la biométrie actuelle en passant par la phrénologie et l’anthropologie criminelle du XIXe siècle. Faussement nouvelle, la démarche intellectuelle des auteurs du visage en 3D s’inscrit dans une longue histoire de la caractérologie humaine, revêtue des apparences de la modernité numérique. Cet épisode constitue donc un cas intéressant d’épistémologie de l’histoire : il montre combien la vérité historique ne se construit qu’en fonction de sources non seulement authentifiées, mais aussi choisies en fonction de questions précises et renouvelées. Pour les historiens de la Révolution française, l’affaire du « vrai visage de Robespierre » révèle, enfin, et une fois de plus, combien cette période et ses figures contribuent à dessiner, plus de deux siècles après, quelques profondes lignes de faille de la société française et de l’imaginaire occidental.

In English

REVOLUTIONARY ECHOES :
MADAME TUSSAUD AND THE DEATH-MASK OF ROBESPIERRE
HISTORICAL PRACTICE AROUND THE MEDIATISED FACIAL RECONSTRUCTION

Hervé LEUWERS and Guillaume MAZEAU

In 1911, in a remarkable article published in AHREF, and then widely distributed as a booklet, Hector Fleischmann believed that the legend of Robespierre’s death masks was over [1]. But myths have a long life ; as Dr Philippe Charlier and Philippe Froesch, from the company Visualforensic, have just shown through a media reconstruction of the face of the Conventionnel, coupled with a retrospective diagnosis of his pathologies
...
Let us first recall the farce of March 1911. It took place in Paris, when the Musée Carnavalet opened to the public its new rooms devoted to the Revolution and the Empire. Among furniture from the Temple, busts, paintings and medals, a striking wax mask of Robespierre stands out. The face is fierce, but gaunt, with closed eyes and tight lips ; a wound is visible in the lower jaw. The object, says the catalogue, « seems to have come from the famous wax museum that Curtius had founded on the Boulevard du Temple ». Relaying an explanation advanced during the mask’s previous exhibition (1882), the newspaper Le Temps reported that another interpretation attributes it to Palloy, the entrepreneur who demolished the Bastille and disseminated so many patriotic souvenirs ; that he had made it « from nature », at the foot of the scaffold.

Maurice Castan, ’Robespierre’ (1878)

As soon as the exhibition was opened, an article in Le Matin (Antwerp) sparked controversy [2]. Camille Liaume asserted that the mask was a fake, which had once belonged to him and was made by the sculptor Maurice Castan. With precision, he shed light on its path, from its first exhibition in Lille (1882) to its donation to the Carnavalet by Charles Simon’s widow. For a few days, the press got excited and had fun. Prudently, the Carnavalet’s director accepted the verdict and removed the mask from exhibition « until further notice ». Since then, it has remained in the « museum’s stores » [3] ; it is true that the position of the wound alone, on the right side of the face (not the left !), confirmed - belatedly - the deception. But other masks exist.

So, a little over a century later, one of them resurfaced and inspired a model of Robespierre’s face, presented as a scientific « discovery ». Supported by an intense publicity campaign, it received the backing of a portion of the press and the medical world. On 11 October 2013, during ‘Science Day’ [4], Philippe Froesch presented the result of his work at the Natural History Museum of Aix-en-Provence, which provided the copy of the death mask. Two months later, after announcing a forthcoming « revelation », Philippe Froesch and Dr Philippe Charlier, himself a regular in the media [5], presented the digitised image of Robespierre’s face. Once again, the date of the press conference was carefully chosen : the next day, the famous medical journal The Lancet published a letter online describing Robespierre’s hitherto unknown illness : sarcoidosis, which, according to Philippe Charlier, would explain the revolutionary’s (supposed) exhaustion [6]. In the preceding days, a tide of articles paraphrasing the same press release had already praised the « scientific and technical prowess » [7] that finally « reveals » or « unveils » the « true nature » of the Incorruptible. The battle for the public seemed to have been won. On the Internet, the news inspired thousands of comments. At the beginning of January 2014, the article in L’Alsace.fr which was the first to put Robespierre’s face online reached almost 10,000 views. [8]

Very soon, however, several dissonant voices were raised, first in the political world and in particular in part of the Far Left attached to the positive memory of the Incorruptible. On 13 December, the national secretary of the Left Party, Alexis Corbière, soon followed by Jean-Luc Mélenchon, perceived the image presented to the public as monstrous, and denounced an enterprise of destruction against the whole Revolution. [9] Such reactions show how revealing the event was, of how even in 2013, the memory of Robespierre and 1793-94 remains a sensitive topic. For their part, academic historians did not stay silent. Annie Duprat relayed the news on Twitter as early as 13 December, confirming her doubts four days later.[10] The suspicion was shared by Emmanuel Laurentin, producer of the radio show La Fabrique de l’Histoire, but also by Marc Belissa and Yannick Bosc, recent authors of a book on Robespierre and hosts of the blog révolution-française.net, and by Philippe de Carbonnières, from the Musée Carnavalet. [11] Meanwhile, we intervened in the debate. On December 17, Guillaume Mazeau published a post on the site of the Comité de Vigilance sur les Usages Publics de l’Histoire (Watchdog Committee on the Public Use of History), which was taken up by part of the press and the blogosphere [12]. Three days later, Bernadette Arnaud relayed Hervé Leuwers’s doubts in Sciences et Avenir, while in the evening, France 2 and France 3 Nord-Pas-de-Calais devoted an article to what became the « Robespierre affair », presented by dozens of newspapers in the Anglophone world as a « major controversy » [13]. 13] Imanol Corcostequi, from the site rue89, gaves pride of place to historical criticism and debate, giving Philippe Froesch the right of reply.14 This time, historians played a real role in the public arena and especially on the internet.

Caught up in a very short time, many in the media failed to grasp the deeper issues at stake, which they reduced to a mere « polemic ». And yet, the wide and imposing face, the reddened skin with cracks and crevices, the small piercing eyes of this 3D Robespierre are evidently not neutral. Whether voluntarily or not, the authors of the reconstruction signed themselves up to a satirical and teratological tradition, making Robespierre one of the Revolution’s « monsters » ; the thickening, wrinkles and marks on the face betray their perception of the actors of a past revolution, not without betraying the fears and anxieties of our Western societies. The theme of illness, for its part, harks back to a pessimistic interpretation of history, equating the Revolution with an organic degeneracy which does not spare its main actors. If historians have taken the trouble to intervene, it is not because of authority, but because they are able, thanks to their experience, to tone down their fellow citizens’ dazzlement before « new technologies » in the light of the much longer story of the Robespierre myth.

If it’s not strictly possible to accuse Philippe Froesch and Philippe Charlier of deliberate intent, it must be acknowledged that the very nature of their project depends heavily on the reliability of their product. Visualforensic is a private company based in Barcelona, specialising in computer-generated facial reconstruction images, 3D-printed resin models and facial identifications. Forced to find global markets, it concentrates its PR around great historical figures or anonymous emblematic figures, likely to attract an international audience (an Egyptian mummy, Henry IV, Bolivar, obviously popular in the Iberian world) and/or a community (« victim of a 14C pogrom »). [14] The company is linked to the Research Group in Pathology (GROB) of the Autonomous University and the Faculty of Medicine of Barcelona. The company claims to use forensic facial identification procedures (Philippe Froesch has reconstructed Robespierre’s face using techniques used by the FBI [15]), and also offers expertise in the context of judicial investigations. Visualforensic thus appears to have a hybrid status, and navigates between the world of business and public scientific research, and even the world of art, with Philippe Froesch presenting himself as a « forensic artist » - in this case, a forensic computer graphic designer. Above all, for several years now, the company has been working with the forensic pathologist, anatomo-pathologist and paleopathologist Philippe Charlier, lecturer and hospital practitioner in the forensic medicine department of the Raymond Poincaré University Hospital in Garches (AP-HP, University of Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines). He has also specialised in the analysis of the real or supposed remains of illustrious historical figures such as Richard the Lionheart, Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Joan of Arc or Henri IV, whose presumed head, already modelled by Philippe Froesch, provoked the doubts of several historians.[16]

In this case, the technique is not at issue, as digital visualisation processes have demonstrated their heuristic interest. Sociology, political science, geography and history are enriched by the use of new digital tools that make it possible to model statistical data, analyse texts, map or reconstruct inaccessible, intangible or disappeared spaces, disseminate tools and research results or, even more profoundly, communicate and work in a different way. In particular, the reconstitution of faces from the past is not without interest, provided it is based on reliable sources, as the current development of Visual Studies shows. Knowing what Robespierre, Olympe de Gouges or Bailly may have looked like – when historians have only literary or iconographic descriptions of them, that are often misleading – can, by revealing the discrepancies between their physical reality and these images, help us approach the questions of representations, charisma, individuality, collective representations, the beautiful and the ugly, the marks of disease on bodies and in minds, gender or social identity. In the same way, despite the many frailties of paleopathology, despite the difficulty of diagnosing individuals who have been dead for several centuries, in the absence of organic remains, knowing what illness Marat, Mirabeau or Robespierre really suffered from is a question that deserves to be asked, and can deepen our knowledge of demographic, medical, social, but also political and cultural history. At the end of the 18C, the health of « political figures » was a subject refered to intensively, with Robespierre himself not hesitating to say he was ready to sacrifice himself for the people and the country.

The problem is thus neither the discipline nor the technique, but the method, and above all the choice of source : the copy of Robespierre’s death mask, kept in the museum of Aix-en-Provence, supposedly cast from an original made in vivo, so to speak, by the future Madame Tussaud.

Mme Tussaud, ’Robespierre’ (1911)

To the question, « Do we possess a cast of Robespierre’s face ? » Hector Fleischmann answered without hesitation in the negative ; [17] a century later, the statement often remains just as firm. [18] This is not, of course, to deny the existence of wax figures depicting Robespierre. One of them existed in the Curtius Museum where, according to Delécluze’s testimony, during the Empire, Jacques-Louis David saw it, with the jaw held in place by a bandage ; the painter considered it well-imitated and well-made [19]. One of these wax heads is in Madame Tussaud’s collection ; old photographs show it encircled by a bandage. In Paris, such objects were already a success for Curtius before the Revolution [20] ; it was in his museum that Marie Grosholtz, his niece and ward, later Madame Tussaud, served her apprenticeship. The exhibited figures, copied with precision, then frequently reflected current events ; a gallery of portraits from the early 19C allows us to imagine busts of contemporaries, some dead, such as Charlotte Corday, Marat or the Comte de Lorges (about whom we will speak again later), and sometimes alive, such as Bonaparte [21].

It was from a plaster death mask, and not from the wax figure in Madame Tussaud’s, that Philippe Froesch reconstructed Robespierre’s alleged face. The comparison with the documents of the Tussaud Museum, he says, will be made in coming months. From the outset, however, he asserted that the Aix-en-Provence mask is only a copy of the one in London - which would be worth checking. What do we know ? The plaster cast in the Natural History Museum of Aix-en-Provence appears identical not only to the one in the Dumoutier collection (National Museum of Natural History), but also to that of the Hutton collection (Princeton University). It is also in the catalogue of the art cast-maker Lorenzi, in business since 1871, who can reproduce it on request in plaster, resin, stone, bronze or terracotta. [22] During the Musée d’Orsay exhibition The Last Portrait, in 2002, a plaster mask from this famous workshop was exhibited. [23]

’Robespierre’ (Collection Leclerq)

Without doubt, the mask’s origins are of some antiquity and many copies exist ; several photographs from the late 19-early 20C* identify a copy in the collection of a M. Leclercq, of Compiègne, whose casting bears a label dated 1832, which states : « This cast was taken from the original moulded on the face of Robespierre, immediately after he was guillotined, and which belongs to the citizen Turbri, composer of music ».

At the beginning of 20C, Hector Fleischmann tells us, the same origin is given on the masks held by Gabriel Thomas and Léon Moreaux, the latter’s copy having been exhibited in Paris in 1889. [24]

Did François Laurent Hébert Turbri (1795-1859) acquire his cast in 1826, from the sale of Dominique-Vivant Denon’s collection, which included several alleged death-masks, including that of Robespierre ? Several clues, which Hector Fleischmann was unable to obtain, seem to support this hypothesis : the size of the object is identical, [25] and an early 19C lithograph, showing two studies of the mask, could be by Denon. However, the 1826 auction catalogue, which mentions a « cast moulded on Robespierre’s face before his death », nevertheless requires caution [26].

In any case, it should be noted that, from the Denon auction catalogue (1826) to that of the 1889 exhibition and Buffenoir’s iconographic inventory (1909), this mask, which we shall call the Turbri, after its oldest known owner, is never attributed to Mme Tussaud. [27] It is true that her memoirs, in which she claims to have taken a cast of the executed Conventionnel’s face, only appeared in 1838, and in English ; it was not until the beginning of 20C that the mask was directly linked to her, notably by Hector Fleischmann, who does not seek to substantiate her claim on this point. The attribution can be found in the catalogue of the Princeton University collection, and in that of the Musée d’Orsay exhibition of 2002. It was taken up by Philippe Froesch and Philippe Charlier. Is it not surprising, however, that 19C authors make no mention of this provenance ?

Given the fame of the uncle Curtius, and soon of Madame Tussaud herself, it would have reinforced the possible authenticity of the cast. Since we are unable to decide on this point, let us continue our reflection by considering that our two authors were right in their attribution.

For Philippe Froesch and Philippe Charlier, things are simple ; Mme Tussaud claims to have made the Robespierre mask, and her training allowed her to do so, so we can take her word for it. Yet what a strange book these Memoirs and Reminiscences by Mme Tussaud are !

At best, it is just a fanciful novel where, between a few credible memories and fairly conventional narratives of events, implausible anecdotes and clichés mount up. Since 2005, the book has been translated into French and is accessible to all [28] ; there is no need, then, to make a detailed critique of it. We’ll content ourselves with pointing out just a few of the amusing implausibilities directly relating to Robespierre.

Here is one to start with. After 14 July, according to the memoirs, while visiting the Bastille with her uncle and friends, Marie Grosholtz slipped on the castle stairs and was caught by... Robespierre ; « who […] just prevented her from coming to the ground ; in the language of compliment observing, that it would have been a great pity that so young and pretty a patriot should have broken her neck in such a horrid place. » Shortly before, she wrote that she had been presented with the oldest and most famous prisoner of the Bastille, the Comte de Lorges, « that she might take a cast from his face, which she completed, and still possesses amongst her collection. It is a whole length resemblance taken from the life. »

Unfortunately for Mme Tussaud’s credibility, the Comte de Lorges never existed ; he is a myth, well known to historians. [29] Let’s go on, anyway. Influenced by certain Thermidorian legends, which attributed to Robespierre a pleasure-house in Issy, Mme Tussaud paints the portrait of a « libidinous » man, eager for conquests and ready to send innocents to the guillotine to seize their goods to give to his mistresses. Finally, the last important piece of information : Mme Tussaud specifies that her cast was made in the cemetery of the Madeleine. [30] But Robespierre and the others executed on 10 Thermidor were buried in the cemetery of Les Errancis ! Could she have forgotten that ?

All this, one must agree, weakens Mme Tussaud’s testimony.
Moreover, how can it be believed that she could have approached the executed corpse, taken the severed and wounded head, and made a mask from it ? At a time when the government wished to make the bodies from 10 Thermidor disappear under quicklime, when it feared the creation of memorial site, when its orders were no laughing matter, how can one imagine that the executioner could have taken the risk of authorising this act ? Neither she, nor any other person, no doubt, could have approached this still-feared corpse. Many aspects of the Turbri mask, moreover, should surprise.

The testimony of the surgeons who examined Robespierre a few hours before his execution states that they "first noticed swelling all over his face, more considerable on the left (the injured side) ; there was also erosion of the skin and chymosis of the eye on the same side”. [31] And none of this would be perceptible on the death-mask ? No swelling, no deformity, no obvious marks at the site of the wound ?

And what about the unfamiliarity of the reconstructed face, which in no way resembles the revolutionary’s known portraits ? It is true that Buffenoir’s old iconographic study needs revision ; [32] a number of the portraits he mentions are no longer recognised as being of Robespierre, and new identifications have in turn been questioned. So, the painting by Vigneron kept at the châteaux of Versailles and Trianon is still often presented as a copy of the pastel that Adelaide Labille-Guiard exhibited at the salon of September 1791 ; the artist’s specialists, however, do not recognise her hand at all, and have strong doubts about the model’s identity. [33] The portrait by Boilly in the Palais des Beaux-Arts in Lille, identified as Robespierre in a 1928 article whose thin arguments deserved to be seriously questioned, can equally be doubted. [34]

Vigneron, Robespierre (?) d’après Danloux (appelé d’après Adélaïde Labille-Guiard).

If we confine ourselves to a few indisputable representations, and particularly to the anonymous portrait at the Musée Carnavalet, one can define a physical characterisation of Robespierre which is totally absent from the funerary mask. In these representations, as in many engravings, [35] the pastel by Bose (Musée Lambinet, Versailles) or the bust by Deseine (Musée de la Révolution Française, Vizille), his nose appears rather sharp and slightly upturned. Without even going into the mask’s deep pockmarks, which no portrait suggests were so pronounced on Robespierre, it is surprising that this physical difference did not raise questions.

If the origin of the mask is not proven, if neither Marie Grosholtz nor anyone else was able to mould Robespierre’s features after his execution, what should we think of Dr Charlier’s retrospective medical analyses ?

Of course, he also claims to rely on sources. He cites the testimony of Pierre Villiers, but without taking the trouble to discuss its authenticity, even though it has been refuted (rightly or wrongly) by René Garmy. [36]

Can Dr. Souberbielle’s scant information suffice ?

And what about a bibliographical approach that highlights Nabonne’s La vie privée de Robespierre, which is debatable on many points, and a surprising interpretation of a recent article by Peter McPhee in the AHREF, whose analyses invite debate ? [37] No, in the historian’s view, the uncertainty of the information and the lack of criticism of the sources invalidate the demonstration and claimed discovery of sarcoidosis. For other reasons, specific to their discipline, several doctors have also contested the diagnosis [38].

Le ’masque mortuaire’ et le physionotrace

While waiting for new revelations, promised for coming months, what can we learn from this case ? First of all, it shows, once again, how much the mechanisms of making history have accelerated, democratised and globalised. As the matrix of a new folklore, the Internet has visibly multiplied the possibilities of updating, transforming and disseminating collective imaginings which often come from the most distant past : the speed and freedom with which Robespierre’s new avatar has been discussed, transformed, hijacked and appropriated by web-users shows to what extent the past is now being made outside of books, radio or television, making digital humanities territories of the future for those interested in the uses of the past. However, this umpteenth ‘Robespierre affair’ has also proved that historians can use these tools to exercise their right of vigilance, to share their knowledge outside the academic sphere in the short time of news, without abandoning the rules of the critical method. The collective belief from which Robespierre’s digital face spontaneously benefited demonstrates the power of « technological » utopias that claim to decode the true nature of individuals based on their physical appearance, from the Enlightenment’s physiognomy to today’s biometrics, via 19C phrenology and criminal anthropology. Falsely new, the intellectual approach of the 3D face’s authors is part of a long history of human characterology, dressed up as digital modernity. This episode therefore constitutes an interesting case-study in historical epistemology : it shows how historical truth is constructed only according to sources that are not only authenticated, but also chosen on the basis of accurate and repeated questioning. For historians of the French Revolution, the affair of the « true face of Robespierre » reveals, finally once more, how much this period and its figures contribute to drawing, more than two centuries later, some deep fault-lines through French society and the Western imagination.

Hervé LEUWERS [39] & Guillaume MAZEAU [40]


Voir en ligne : Références de l’article


[1Hector FLEISCHMANN, « Le masque mortuaire de Robespierre », Annales révolutionnaires, 1911, p. 601-625 ; l’article est disponible sous la forme d’une brochure : Le masque mortuaire de Robespierre. Documents nouveaux pour servir d’intelligence et de conclusion à une polémique historique, Paris, Leroux, 1911.

[2Ibid. ; voir aussi : « Le Robespierre en cire du musée Carnavalet », Annales révolutionnaires, 1911, p. 425-428 ; « Le masque de Robespierre », Revue historique de la Révolution française, 1911, p. 315-316

[3Musée Carnavalet, S-2075. Nous tenons à remercier Philippe de Carbonnières et Philippe Sorel, pour les informations qu’ils nous ont communiquées sur les collections du musée Carnavalet.

[4museum-aix-en-provence.org/Maximilien_Robespierre_3D.pdf.

[5Intervenant régulier dans des émissions comme Secrets d’Histoire, il présente depuis novembre 2013 une série de documentaires sur Arte intitulée « Enquête d’ailleurs ».

[6Philippe CHARLIER, Philippe FROESCH, « Robespierre : the oldest case of sarcoidosis ? », The Lancet, Volume 382, Issue 9910, Page 2068, 21 December 2013.

[7LCI, 14 décembre 2013, journal de 12 h : http://videos.tfl.fr/infos/2013/le-visage-derobespierre-reconstitue-en-3d-8330323.html. [Fichier : /home/alcideline/Téléchargements/ahrf-13083.pdf ; Page : 4] MADAME TUSSAUD ET LE MASQUE DE ROBESPIERRE 189

[9http://www.alexis-corbiere.com/inde.... Voir aussi la chronique de Pierre Marcelle, « Zéro + zéro = la tête à Maximilien Robespierre », Libération, 19 décembre 2013.http://www.jean- luc-melenchon.fr/2013/12/16/de-bogota/# article1.

[11http://revolution-francaise.net/201.... Marc BELISSA, Yannick BOSC, Robespierre. La fabrication d’un mythe, Paris, Ellipses, 2012. http://www.huffingtonpost.com/2013/12/20/robespierre-death-mask-makeover-diagnosis-photo_n_4481018.html.

[13France 2 : http://www.francetvinfo.fr/replay-j... decembre-2013_482330.html. France 3 : http://www.francetvinfo.fr/sciences... reconstitution-du-visage-de-robespierre-cree-la-polemique_489246.html. Voir aussi l’article sur huffingtonpost.com, cité note 11.

[14http://wwvw.visualforensic.com/. [Fichier : /home/alcideline/Téléchargements/ahrf-13083.pdf ; Page : 6] MADAME TUSSAUD ET LE MASQUE DE ROBESPIERRE 191

[16Joël Cornette, « L’étrange affaire du crâne d’Henri IV », sur histoire.presse.fr.

[17Hector FLEISCHMANN, op. cit., p. 601, 620.

[18Antoine de BAECQUE, « Le tableau d’un cadavre. Les récits d’agonie de Robespierre : du cadavre hideux au dernier héros », dans Annie JOURDAN (dir.), Robespierre — Figure réputation, Amsterdam, Rodopi, 1996, p. 176.

[19Cité dans Hector FLEISCHMANN, op. cit., p. 614-616.

[20Jean ADHÉMAR, « Les musées de cire en France, Curtius, le ‘banquet royal’, les têtes coupées », Gazette des beaux-arts, décembre 1978, p. 203-214.

[22Catalogue de la Maison Lorenzi, référence 947 (précisons que, pour se procurer le masque, il en coûte 112 € en plâtre brut, et 147 € en plâtre patiné blanc — prix au 9 janvier 2014).

[23Le dernier portrait. Musée d’Orsay. Paris, 5 mars — 26 mai 2002, Paris, RMN, 2002, p. 33,213.

[24Hector FLEISCHMANN, op. cit., p. 622-623 ; Docteur CABANÈS, Les indiscrétions de l’histoire, Se série, Paris, Albin Michel, 1952, p. 357 ; « Le Robespierre en cire. », op. cit., p.428 ; Catalogue des objets formant l’exposition historique de la Révolution française. Salle des États, aux Tuileries, place du Carrousel, Paris, au siège de la société de l’histoire de la Révolution française, 1889, p. 12. Précisons que le masque détenu par le muséum national d’histoire naturelle porte l’étiquette Turbri. Les informations sur les masques conservés au muséum national d’histoire naturelle (MNHN-HA-D-36) et au muséum d’histoire naturelle d’ Aix-en-Provence (1860-108-1), nous ont été aimablement fournies par Aurélie Fort, assistante de conservation au MNEN, et Gilles Cheylan, conservateur en chef du patrimoine au muséum d’Aix-en-Provence, que nous remercions.

[25Le catalogue de la vente Denon précise qu’il mesure 9 pouces et demi de hauteur (soit 25,7 cm), et la copie du masque Turbri, par la Maison Lorenzi, mesure 25 cm.

[26Dominique-Vivant DENON, L’œil de Napoléon, Paris, RMN, 1999, p. 394 (figure 121). Le dernier portrait, op. cit., p. 95.

[27Hector FLEISCHMANN, op. cit., p. 622 ; Catalogue des objets.., op. cit., 1889, p. 12 ; Hippolyte BUFFENOIR, Les portraits de Robespierre, Paris, Leroux, 1909, p. 27 (« Après la mort de Robespierre, écrit-il, on prit un moulage de ses traits » ; il cite ensuite le moulage exposé en 1889).

[28Marie TUSSAUD, Mémoires et souvenirs sur la Révolution française, Paris, Arléa, 2005 ; en anglais : Memoirs and reminiscences of France, forming an abridged history of the French Revolution, London, 1838

[29Marie TUSSAUD, op. cit., p. 68. Voir Rolf REICHARDT, L’’imagerie révolutionnaire de la Bastille. Collections du Musée Carnavalet, Paris, Paris-Musées, 2009, p. 108-111.

[30Marie TUSSAUD, op. cit., p. 146-148.

[31Edme Bonaventure COURTOIS, Rapport fait au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale sur les événements du 9 thermidor an 11..., Paris, imprimerie nationale, an IV, p. 202.

[33Laura AURICCHIO, Adélaïde Labille-Guiard. Artist in the Age of Revolution, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 2009, p. 77-79.

[34Fernand BEAUCAMP, « Un portrait inconnu de Robespierre au musée de Lille », Revue du Nord, 1928, p. 21-34.

[35Voir, par exemple, la gravure de Fiesinger, réalisée sous la Constituante à partir d’un dessin de Guérin.

[36René GARMY, « Aux origines de la légende anti-robespierriste : Pierre Villiers et Robespierre », Actes du colloque Robespierre, Paris, SER, 1967, p. 19-33.

[38http:/www.lemonde.fr/sciences/article/201...ïdose-de-robespierrediagnostic-conteste_4351227_1650684.html.

[39Université Lille 3 — UMR-CNRS IRHiS herve.leuwers @univ-lille3.fr

[40Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne — IHMC/THRF mazeau.guillaume @free.fr