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Robespierre à la Convention : « Gouverner la République »

Un discours de Robespierre à la Convention

jeudi 21 mars 2019

« Gouverner la République »

"Jamais les maux de la société ne viennent du peuple, mais du gouvernement. Comment n’en serait-il pas ainsi ! L’intérêt du peuple, c’est le bien public ; l’intérêt de l’homme en place est un intérêt privé. Pour être bon, le peuple n’a besoin que de se préférer lui-même à ce qui n’est pas lui ; pour être bon, il faut que le magistrat s’immole lui-même au peuple.

Si je daignais répondre à des préjugés absurdes et barbares, j’observerais que ce sont le pouvoir et l’opulence qui enfantent l’orgueil et tous les vices ; que c’est le travail, la médiocrité, la pauvreté qui sont les gardiens de la vertu ; que les vœux du faible n’ont pour objet que la justice et la protection des lois bienfaisantes, jamais les maux de la société ne viennent du peuple, mais qu’il n’estime que les passions de l’honnêteté ; que les passions de l’homme puissant tendent à s’élever au-dessus des lois justes, ou à en créer de tyranniques : je dirais enfin que la misère des citoyens n’est autre chose que le crime des gouvernements. Mais j’établis la base de mon système par un seul raisonnement.

Le premier objet de toute Constitution
doit être de défendre
la liberté publique et individuelle
contre le gouvernement lui-même

Le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale ; mais les hommes qui gouvernent ont une volonté individuelle, et toute volonté cherche à dominer : s’ils emploient à cet usage la force publique dont ils sont armés, le gouvernement n’est que le fléau de la liberté. Concluez donc que le premier objet de toute Constitution doit être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même.

C’est précisément cet objet que les législateurs ont oublié : ils se sont tous occupés de la puissance du gouvernement ; aucun n’a songé aux moyens de le ramener à son institution ; ils ont pris des précautions infinies contre l’insurrection du peuple, et ils ont encouragé de tout leur pouvoir la révolte de ses délégués.

J’en ai déjà indiqué les raisons : l’ambition, la force et la perfidie ont été les législateurs du monde ; ils ont asservi jusqu’à la raison humaine en la dépravant, et l’ont rendue complice de la misère de l’homme : le despotisme a produit la corruption des mœurs, et la corruption des mœurs a soutenu le despotisme. Dans cet état de choses, c’est à qui vendra son âme au plus fort pour légitimer l’injustice et diviniser la tyrannie. Alors la raison n’est plus que folie ; l’égalité, l’anarchie ; la liberté, désordre ; la nature, chimère ; le souvenir des droits de l’humanité, révolte : alors, on a des bastilles et des échafauds pour la vertu, des palais pour la débauche, des trônes et des chars de triomphe pour le crime : alors on a des rois, des prêtres, des nobles, des bourgeois, de la canaille ; mais point de peuple et point d’hommes.

Voyez ceux mêmes d’entre les législateurs que le progrès des lumières publiques semble avoir forcés à rendre quelque hommage aux principes ; voyez s’ils n’ont pas employé leur habileté à les éluder, lorsqu’ils ne pouvaient plus les raccorder à leurs vues personnelles ; voyez s’ils ont fait autre chose que varier les formes du despotisme et les nuances de l’aristocratie !

Ils ont fastueusement proclamé la souveraineté du peuple et ils l’ont enchaîné ; tout en reconnaissant que les magistrats sont ses mandataires, ils les ont traités comme ses dominateurs et comme ses idoles : tous se sont accordés à supposer le peuple insensé et mutin, et les fonctionnaires publics essentiellement sages et vertueux.

Sans chercher des exemples chez les nations étrangères, nous pourrions en trouver de bien frappants au sein de notre révolution, et dans la conduite même des législatures qui nous ont précédés. Voyez avec quelle lâcheté elles encensaient la royauté ! 

Avec quelle impudence elles prêchaient la confiance aveugle pour les fonctionnaires publics corrompus ! Avec quelle insolence elles avilissaient le peuple ! Avec quelle barbarie elles l’assassinaient !

Cependant, voyez de quel côté étaient les vertus civiques ; rappelez-vous les sacrifices généreux de l’indigence et la honteuse avarice des riches, rappelez-vous le sublime dévouement des soldats et les infâmes trahisons des généraux, le courage invincible, la patience magnanime du peuple, et le lâche égoïsme, la perfidie odieuse de ces mandataires ! »

Maximilien Robespierre