menu

Accueil > De la part de nos adhérents > Thermidor, avènement de la liberté moderne ?

Thermidor, avènement de la liberté moderne ?

Anne-Marie COUSTOU-MIRALLES analyse pour nous l’article de Gilles Heuré paru dans Télérama (1er mars 2017)

dimanche 5 mars 2017

Loris Chavanette a publié en 2016 un livre consacré à la « révolution » thermidorienne et à la République thermidorienne intitulé Quatre-vingt-quinze, la Terreur en procès.

Les thèses développées dans cet ouvrage sont celles de son maître à penser François Furet dont il est le fervent disciple. Il postule en effet que Thermidor a permis « un retour, certes ambigu, aux idéaux de justice et de liberté de 1789 », « l’avènement de la liberté moderne », mais aussi que cet événement représente « une fontaine de jouvence philosophique pour les révolutionnaires  », que Thermidor « met fin à l’absolutisme des Jacobins comme 1789 avait mis fin à l’absolutisme monarchique ».
Pour mieux apprécier la portée de telles analyses, il ne paraît pas superflu de revenir sur l’idéologie et la pratique développées par la République thermidorienne,

Dans son numéro de mars 2017, Télérama publie une interview de l’historien Loris Chavanette par Gilles Heuré. Loris Chavanette a publié en 2016 un livre consacré à la « révolution » thermidorienne et à la République thermidorienne intitulé Quatre-vingt-quinze, la Terreur en procès [1].
Les thèses développées dans cet ouvrage sont celles de son maître à penser François Furet dont il est le fervent disciple. Il postule en effet que Thermidor a permis « un retour, certes ambigu, aux idéaux de justice et de liberté de 1789 », « l’avènement de la liberté moderne », mais aussi que cet événement représente « une fontaine de jouvence philosophique pour les révolutionnaires  », que Thermidor « met fin à l’absolutisme des Jacobins comme 1789 avait mis fin à l’absolutisme monarchique ».

C’est cet ouvrage qui a valu à son auteur de recevoir le 22 mai 2013 des mains de Claude Bartolone le « Prix de thèse de l’Assemblée nationale » [2]

Pour mieux apprécier la portée de telles analyses, il ne paraît pas superflu de revenir sur l’idéologie et la pratique développées par la République thermidorienne, idéologie et pratique qui lui ont valu d’être qualifiées de « réaction thermidorienne » par l’historien Albert Mathiez [3].

Quels sont les fondements de ce régime politique de transition qui commence le 27 juillet 1794, après l’élimination de Robespierre, et qui cède la place logiquement au Directoire le 26 octobre 1795, faisant suite à la Convention montagnarde, durant laquelle la Révolution est dans sa phase ascendante en quoi constitue-t-il une « refondation du contrat social à partir du respect du droit », comme l’affirme Loris Chavanette ou bien une réaction antirévolutionnaire ?

Une refondation du contrat social ?

Dans le domaine politique, la République thermidorienne est marquée par une réaction contre la Révolution de 1793 qualifiée de Terreur. C’est pourquoi elle commence par une épuration.
Après Thermidor, une grande partie des suspects emprisonnés sous la Terreur (ultra-royalistes, fédéralistes, accapareurs) sont libérés et entament une violente propagande antirévolutionnaire, cependant que de nombreux militants révolutionnaires sont arrêtés et guillotinés, et que les fonctionnaires soupçonnés de « complicité » avec Robespierre sont révoqués.

Mais les contre-révolutionnaires ne se contentent pas de propagande, ils passent rapidement à l’action.
Dès le lendemain de l’élimination des robespierristes, débute la Terreur blanche. On fait fermer les clubs et les journaux d’opposition. A Paris, entre 2000 et 3000 Muscadins, groupes de jeunes royalistes et bourgeois de la « jeunesse dorée », armés de gourdins et organisés par les Thermidoriens Fréron et Tallien, traquent les Jacobins et les Babouvistes dans les rues et les maisons, les molestent et parfois même les assassinent. Les militants et les sans-culottes sont éliminés ou obligés de se cacher. En province, des bandes armées attaquent les républicains.
Comme « idéal de justice et de liberté », comme « avènement de la liberté moderne », on peut rêver mieux… !
La Convention thermidorienne laisse faire. Ce n’est que lorsque la menace royaliste se fera plus pressante qu’on commencera à vouloir mettre fin à cette épuration violente, jugée alors trop dangereuse car elle risque de viser progressivement tous les républicains, y compris les plus modérés.

Une société plus ouverte et pluraliste ?

Sur le plan des institutions, la Convention thermidorienne met en forme les nouveaux principes de sa politique élitiste inspirée par la grande bourgeoisie.
En août 1795, elle promulgue une nouvelle constitution, la Constitution de l’An III, beaucoup moins démocratique que la Constitution de l’An I et très inspirée de celle de l’Angleterre. La Constitution de l’An III exclut le peuple de la vie politique et remet tout le pouvoir entre les mains des possédants.
Le suffrage universel (qui avait été proclamé par les Montagnards en juin 1793 dans la Constitution de l’An I) est aboli et remplacé par le suffrage censitaire, qui n’accorde les droits politiques qu’à une minorité de propriétaires.
Autrement dit, c’est un retour au principe élitiste de la Constitution monarchique de 1791.
Boissy d’Anglas, président de la Convention thermidorienne, théorise ouvertement ce principe de la domination sans partage des possédants sur la vie politique, principe qui exclut l’immense majorité de la population du droit de vote et d’éligibilité.

Est-ce là le « retour à une société plus ouverte et pluraliste » dont Mr Chavanette prétend qu’elle caractérise la République thermidorienne ?

Par ailleurs, à l’assemblée législative unique issue du suffrage universel (celle de 1793), la nouvelle constitution substitue le bicamérisme, inspiré de la monarchie constitutionnelle anglaise.
Si la Chambre basse, le Conseil des cinq cents (correspondant à la Chambre des Communes anglaise) propose les lois, seule La Chambre haute, ou Conseil des Anciens (qui correspond à la très conservatrice Chambre des Lords en Angleterre), a le pouvoir de les accepter ou de les refuser. Ce qui permet évidemment de bloquer les lois jugées trop « sociales ».

Le pouvoir exécutif est très rapidement retiré aux organes du pouvoir révolutionnaire (Comité de Salut public, Comité de Sûreté générale et Tribunal révolutionnaire) qui seront finalement supprimés. L’assemblée thermidorienne finit par remettre le pouvoir exécutif entre les mains de trois directeurs, aboutissant à l’instauration du Directoire.

Le lecteur pourra se reporter utilement à l’article Les constitutions de la Révolution présent sur ce site (NLDR))
,
Une nouvelle conception du droit moderne ?

Après deux insurrections populaires en germinal an III (mars-avril 1795), la Convention interdit « les cris séditieux, les attroupements et les insultes contre les députés ». Est-ce là la « liberté d’expression » que la République thermidorienne est sensée avoir fondée, aux dires de Mr Chavanette ?

Trois députés montagnards, Barère, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, tous anciens membres du Comité de Salut public, sont condamnés à la déportation en Guyane pour complicité avec ces débordements populaires.
Est-ce là « la conception du droit moderne » que prône Mr Chavanette ? Selon lui, la République thermidorienne « entend refonder le contrat social à partir du respect du droit ».
Toujours selon lui, « avant d’accuser, il faut produire la preuve de l’intention criminelle ».
A-t-on apporté la preuve de l’intention criminelle de ces trois députés condamnés à la déportation ?
Peut-on sérieusement affirmer, comme le fait cet auteur, que les thermidoriens ont « établi le droit de la défense ».

Les « ventre-creux » de Paris : la soupe populaire

Le peuple, exaspéré par la famine et refusant la perte de ses droits démocratiques, fait une dernière tentative en Prairial An III (mai 1795). Il réclame « du pain et la Constitution de 1793 ». Les dirigeants de l’insurrection sont arrêtés, jugés et guillotinés dans les jours qui suivent et la répression s’abat sur les sans-culottes, pendant que les faubourgs de Paris, où vit la population déshéritée, sont placés sous surveillance militaire. Cet événement représente la dernière apparition du peuple sur la scène politique jusqu’à la Révolution de 1830.

Une fontaine de jouvence philosophique pour les révolutionnaires ?

Spéculation et famine

Curieusement, Loris Chavanette ne dit rien sur les réalités économiques et sociales du régime thermidorien. Il ne paraît pourtant pas inutile d’éclairer les lecteurs sur ces aspects.

Car, si le peuple réclame du pain, c’est qu’il a faim. En effet à la disette endémique, que les Montagnards avaient réussi tant bien que mal à juguler grâce à l’intervention de l’Etat (loi du maximum des prix, greniers d’abondance, réquisitions forcées, etc), succède maintenant une véritable famine, entretenue et voulue par les thermidoriens.

En effet, dans le domaine économique et social, les députés « modérés », désormais majoritaires à l’Assemblée, annoncent dès le 20 septembre 1794 leur volonté de revenir au libéralisme économique. Le droit à l’existence, prôné par Robespierre, est enterré définitivement et la liberté illimitée du commerce, qui est le credo de cette bourgeoisie triomphante, interdit toute intervention de l’Etat dans ce sens. En conséquence, les greniers d’abondance et les réquisitions forcées de grains sont supprimés au nom de ce principe intangible. De même, la loi du maximum des prix votée par la Convention montagnarde est abolie le 24 décembre, livrant les denrées de première nécessité à la spéculation et le peuple à la famine. Dès l’hiver 1794-1795, la famine s’installe dans la capitale et fauche chaque jour des milliers de pauvres. Il semble bien que cette famine soit « entretenue » car le service du ravitaillement de Paris est dirigé par Boissy d’Anglas, réputé pour son hostilité aux sans-culottes et que la population surnomme « Boissy-Famine ».

Des charrettes passent tous les matins ramasser les cadavres dans les rues, sans que le nouveau gouvernement daigne envisager des mesures permettant de réguler le marché pour faire baisser les prix du pain. Et le rétablissement de la Bourse en octobre 1795 renforce la spéculation. Par ailleurs, la liberté du commerce avec l’étranger est rétablie et les exportations de blé reprennent, ce qui crée une pénurie sur le territoire national. D’autant plus que le blé et les farines sont destinés en priorité aux armées et que la politique guerrière menée par les thermidoriens n’est pas près d’y mettre fin.

Conquête et pillage

Il est un autre domaine que n’aborde pas Loris Chavanette dans son article, c’est celui de la conception qu’ont les thermidoriens des relations internationales. S’il est un domaine lié à la conception que se fait du droit un régime politique, c’est pourtant bien celui-ci !

Dans le domaine des relations internationales, le principe de la fraternité entre les peuples et du droit naturel universel, défendus farouchement par Robespierre, sont abandonnés définitivement.

Les « Républiques sœurs » sous la République thermidorienne et le Directoire

Une fois les robespierristes éliminés, on va désormais substituer à leurs principes celui de l’intérêt national et celui des « frontières naturelles de la France », défendus par Carnot, principes qui justifient la guerre de conquête. Et de fait, la politique de la Convention thermidorienne marque un tournant très net vers la guerre de conquête et de pillage. En décembre 1794, la Belgique, la Rhénanie et la Hollande sont occupées militairement. Toute perspective de paix s’éloigne. Et cette occupation militaire s’accompagne d’un pillage décomplexé qui sert à renflouer les caisses de l’Etat pour résoudre enfin la crise financière héritée de la monarchie, pendant que la fourniture aux armées et la prévarication remplit les coffres forts des négociants. Certes cet esprit de conquête était déjà en germe dans la Convention girondine et chez quelques députés montagnards à la fin de la Convention montagnarde, mais il rencontrait encore une vive opposition, tandis que sous la République thermidorienne il est érigé en principe et appliqué comme mode ordinaire de gestion de la guerre.

Pour les peuples d’Europe aussi, toute perspective de paix s’éloigne. L’élan révolutionnaire est brisé par l’institutionnalisation des « Républiques sœurs » (la première est la République batave, en 1795), toutes placées sous la tutelle de la France. Ces Républiques sœurs sont en fait des Etats satellites de la « Grande nation », créés par l’intervention militaire française. Les armées françaises s’y appuient sur les éléments les plus « modérés » (entendez les notables et les bourgeois) pour étouffer les revendications plus radicales et faire voter des Constitutions à l’image de la Constitution de l’An III, avec le suffrage censitaire. On n’hésite pas à pratiquer des coups d’Etat militaires pour y parvenir, comme dans la République batave. Les patriotes sont déçus par la France et leur découragement brise l’enthousiasme révolutionnaire. Napoléon n’aura pas beaucoup de mal à transformer ces « Républiques sœurs » en royaumes satellites.

Mais en France aussi, l’élan révolutionnaire est brisé. La guerre de conquête permet à la Convention thermidorienne de réaliser le vœu des Girondins de 1792 de « faire marcher les milliers d’hommes que nous avons sous les armes aussi loin que les porteront leurs jambes pour éviter qu’ils ne reviennent nous couper la gorge »  [4].

L’épuisement du pays et la lassitude des populations va permettre, ainsi que l’avait prévu l’Incorruptible, l’émergence d’une dictature militaire, avec le coup d’État de Napoléon Bonaparte en 1799, suivi de l’instauration de l’empire en 1804.

Remplacer le droit à l’existence par la liberté illimitée du commerce, substituer l’intérêt national et le droit de conquête aux droits des peuples, est-ce la « fontaine de jouvence philosophique » proposée aux révolutionnaires ?

D’autant que les thermidoriens ont aussi à leur actif d’avoir supprimé dès novembre 1794 le caractère obligatoire et gratuit de l’école primaire, considérant que les enfants du peuple n’avaient pas à être instruits.

La fin de l’absolutisme révolutionnaire des Jacobins ?

Après l’élimination de Robespierre et des Jacobins, la bourgeoisie est délivrée du dernier carcan qui lui interdisait de développer une politique de puissance pour asseoir son pouvoir tout neuf et démultiplier ses richesses.

Attribuant aux bourgeois un pouvoir sans partage sur la chose publique au détriment de l’immense majorité du peuple français (les « non-possédants »), appliquant le sacro-saint principe du libéralisme économique au détriment du droit à l’existence, pratiquant la guerre de conquête et de pillage au détriment du droit des peuples et au nom de l’intérêt national, la République thermidorienne n’est pas, contrairement à ce qu’affirme Loris Chavanette, « une société plus ouverte et pluraliste  ».
Elle est bien, dans toute l’acception du terme, l’« aristocratie des riches » si farouchement dénoncée par Robespierre.

La République thermidorienne reste certes une république dans la forme, mais une république dénaturée qui, à son corps défendant prépare déjà le lit de la restauration monarchique.
En effet, ces bourgeois, toujours dans la frayeur des mouvements populaires, préféreront faire profil bas et amasser des fortunes sous le consulat et l’empire, puis pactiser avec les Bourbons, plutôt que de faire appel au peuple.
La constitution de 1795 illustre ainsi l’avènement de l’intérêt particulier des possédants et du despotisme de leur pouvoir économique sur le monde.
Cette « République des possédants » est donc bien un régime contre-révolutionnaire qui ouvre la voie à la dictature napoléonienne puis à la restauration des Bourbons.

C’est d’ailleurs l’avertissement qu’avait lancé Robespierre aux députés la veille de sa mort, le 8 thermidor, dans son discours-testament :
« La victoire ne fait qu’armer l’ambition, éveiller l’orgueil et creuser de ses mains brillantes le tombeau de la République. Qu’importe que nos armées chassent devant elles les satellites armées des rois, si nous reculons devant les vices destructeurs de la liberté publique ?...Laissez flotter un moment les rênes de la Révolution, vous verrez le despotisme militaire s’en emparer et le chef des factions renverser la représentation avilie [5]. » 

Loris Chavanette et le journaliste de Télérama omettent tous deux de mentionner, dans cet article grand public, la conclusion de la thèse de l’auteur, à savoir que cette prétendue quête d’une « refondation du contrat social » a été un échec.

Contrairement à ce qu’affirme Monsieur Chavanette, Thermidor n’a pas « mis fin à l’absolutisme révolutionnaire des Jacobins, comme 1789 avait mis fin à l’absolutisme monarchique ».
Par contre, Thermidor a mis fin aux idéaux d’égalité et de fraternité des Jacobins et a consacré les inégalités et les privilèges d’une nouvelle caste, tout en faisant le lit de la restauration monarchique.

Anne-Marie COUSTOU- MIRALLES,
membre du Comité directeur de l’ARBR


Voir en ligne : Les Fondements de la République thermidorienne.


[1Loris Chavanette, Quatre- vingt- quinze, La Terreur en procès, CNRS éditions, février 2017

[2Ce livre est un condensé de la thèse de Loris Chavanette intitulée « Repenser le pouvoir après la Terreur : justice, répression et réparation dans la France thermidorienne, 1795-1797 ». C’est à cette thèse que le président de l’Assemblée nationale, entouré du jury, a remis le prix spécial de l’Assemblée le 22 mai 2013.

[3Albert Mathiez, La réaction thermidorienne, éditions La fabrique, Paris, 2010.

[4Déclaration du ministre de l’Intérieur Roland, proche des Girondins.

[5Maximilien Robespierre, Œuvres complètes, tome X.