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Émergence de la pensée politique de Robespierre

(The Emergence of Robespierre’s Political Thought)

mercredi 22 mars 2017

Dans l’effervescence qui va régner à Arras à l’approche de la Révolution, les termes « patriote », « parti des patriotes » reviendront avec insistance. Parallèlement Robespierre va mettre en avant avec vigueur l’idée de nation en rédigeant sa fameuse « Adresse à la Nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois ». Tout à fait dans l’air du temps, sa réflexion plonge alors ses racines dans une formation et une culture personnelles déjà anciennes dont on trouve les premières traces dès 1783 .

(In the turmoil that comes to dominate Arras at the Revolution’s approach, the terms « patriot » and « patriot party » will recur insistently. In parallel, Robespierre will vigorously propose the idea of nation in writing his famous Address to the Artesian Nation on the Necessity of Reforming the Estates of Artois. Fully in the spirit of the times, his reflection is deeply rooted nevertheless in an already old personal development and culture of which one finds the first traces in 1783.)

Arsène Duquesne

En français

Émergence de la pensée politique de Robespierre

Dans l’effervescence qui va régner à Arras à l’approche de la Révolution, les termes « patriote », « parti des patriotes » reviendront avec insistance. Parallèlement Robespierre va mettre en avant avec vigueur l’idée de nation en rédigeant sa fameuse « Adresse à la Nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois ». Tout à fait dans l’air du temps, sa réflexion plonge alors ses racines dans une formation et une culture personnelles déjà anciennes dont on trouve les premières traces dès 1783 .

La Patrie et la famille Robespierre...

Rendant visite en juin à sa famille de Carvin au cours de son escapade qui suit le procès du paratonnerre où il s’est illustré, Robespierre fait étape à Lens. Là, juché sur les ruines marquant l’emplacement de l’ancien château démantelé, il relate : « je promenai mes regards avec un sentiment mêlé d’attendrissement et d’admiration sur cette vaste plaine où Condé, à vingt ans, remporta sur les Espagnols cette célèbre victoire qui sauva la patrie ».

Cité 2 du Gd Condé, Lens.
Collection particulière de carte postales du début du XXe siècle

Un siècle et demi plus tôt, en 1648, la victoire remportée ici par Condé avait conduit en 1659 au rattachement de la province d’Artois au royaume de France, tandis que vingt ans plus tard, en 1668, Louis XIV allait aussi prendre le contrôle de la ville de Lille et de la province de Flandre voisine. En assurant l’administration du secteur de la petite châtellenie de Carvin-Epinoy située confins de l’Artois et de la Flandres, la famille Robespierre allaient lier son sort à celui des provinces du nord du royaume et à celui du Prince d’Epinoy seigneur du lieu rétabli sur la quasi totalité des possessions dont il avait été banni [1]. Trois générations allaient se transmettre l’exercice des fonctions de Procureurs et de Greffiers du Prince mais aussi de Notaire royal. Au sein de la bourgeoisie environnante, ces Robespierre-là allaient s’allier localement aux familles de magistrats et de notables chirurgiens, médecins et maîtres de postes des environs.

Robespierre s’exprime ici sur fond de retrouvailles familiales s’annonçant et son sentiment patriotique est chargé d’émotion mêlé de tendresse et d’admiration pour « le grand » Condé [2].

Arbre et monument dit de Condé-Liévin
Collection particulière de carte postales du début du XXe siècle

Ce sentiment s’inspire de l’attachement à la terre natale berceau des ancêtres de cette famille de notables.

Toutefois depuis que la famille de Carvin a vu ses derniers descendants gagner Arras où ses membres se sont faits « avocats en parlement » après leurs études à Douai, les contours du patriotisme familial des Robespierre a évolué. Chez le jeune avocat, revenu se fixer à Arras après ses études dans le lycée le plus réputé du royaume, ce patriotisme a pris une dimension nouvelle débordant sa seule sociabilité familiale originelle. Il navigue maintenant entre attachement à la Province d’Artois et attachement au royaume. Il a gardé cependant comme contenu la défense de la Patrie, une valeur fortement ancrée dans l’histoire d’une région marquée de tout temps par les invasions.

On retrouvera cette valeur défensive réactivée à l’occasion des guerres révolutionnaires où elle tiendra lieu de défense de la patrie en danger et de défense de l’intégrité du territoire national tout étant opposée à la guerre vue comme une occasion de conquêtes.

Peuples et nations

Couverture de la 1re édition

Dans le même moment, dans le procès à la mode qu’était été l’affaire du paratonnerre, Robespierre avait pris fait et cause en faveur du progrès scientifique. Devant le Conseil Provincial d’Artois, l’avocat s’était montré prompt et habile à défendre et à promouvoir au sein de sa province ce droit que des lumières plus que tamisées venues de Saint-Omer entendaient empêcher de s’exprimer. Dans sa plaidoirie, à peine ironique, il n’avait pas hésité à mettre en garde les responsables artésiens contre la tentation qui aurait pu consister pour eux, au sein du royaume, à céder au particularisme local qui ferait sien l’obscurantisme. Robespierre avait ainsi invité le Tribunal à ne pas prendre le risque de se déconsidérer et de se ridiculiser en se montrant moins-disant que les autorités scientifiques du royaume et des autres nations éclairées d’Europe et du monde. Pour cela, il en avait appelé aux exemples des souverains qui avaient su faire preuve de discernement en matière de retombées des applications que générait le progrès scientifique constituant un bien commun.

La référence à l’idée de nation qui était dans l’air du temps émergeait à plusieurs reprises de sa plaidoirie. Pour l’instant, sa pensée ne définissait pas de cadre aux peuples de ces différentes nations aux contours qui restaient plutôt flous. Toutefois, la province d’Artois était une province partie prenante de la nation de France. Différents peuples d’Amérique et d’Europe ont constitué des nations parmi lesquelles il convient de distinguer les nations éclairées dont les souverains ont su faire preuve de discernement pour souscrire aux apports du progrès scientifiques.

Il reprendra en s’amusant cette façon de voir l’organisation du monde quinze jours plus tard dans sa lettre dans laquelle il relate son séjour à Carvin. Incidemment, il met en scène « cent peuples » « de l’univers » formant « le genre humain ». Il s’amuse à se réclamer du « jugement de toute l’Europe », pour dire qu’il appartient aux « artésiens » représentés par les « États de l’Artois » de faire bâtir un temple à l’inventeur de la tarte.

Nulle trace pour le moment d’une quelconque référence à une philosophie politique comme celle héritée du contrat social de Rousseau, nulle place non plus pour l’idée de souveraineté populaire ou nationale et encore moins d’un quelconque projet de transformation de la société.

… et la citoyenneté

Mais, au détour de la lettre de Carvin, Robespierre emploie un autre terme, lui aussi nouveau, appelé à revêtir un contenu nettement plus politique. Il fait allusion, sans autres précisions, aux « citoyens de toutes les classes » qui se s’étaient empressés d’accourir au passage de la voiture dans laquelle il traversait le hameau de Carvin-Epinoy. Il serait osé d’y voir alors une quelconque prise de position en faveur d’une théorisation d’ordre politique. Tout au plus s’agit il pour l’adepte de Rousseau de célébrer cette « terre heureuse » de Carvin où vit une communauté de gens de la campagne faite de gens simples au milieu desquels il s’apprête à vivre les retrouvailles familiales qui sont l’objet de son escapade .

Il faut alors attendre le mémoire qu’il va rédiger en faveur du cordier Deteuf, pour le voir préciser quel contenu il donne à la citoyenneté : « Nous tous qui nous glorifions du titre de citoyen » [….] demandons que les lois soient faites pour tous ; que toute injustice soit réparée, quelque soit l’état et la qualité de celui qui l’a commise ». L’avocat-citoyen se réclame de l’égalité pour mieux combattre le privilège d’impunité derrière lequel son adversaire essayait de se tenir à l’abri de toute mise en cause.

Pour tous ceux qui se glorifient comme lui de ce titre, l’égalité de tous devant la loi constituait une valeur essentielle annonciatrice des principes qui guideront la suite de son action pour réaliser l’exercice de la souveraineté populaire qui le conduiront plus tard à entrer pour de bon en politique.

Le tournant qui marque son entrée en politique date de 1788-89 quand dans la dédicace aux mânes de Rousseau, il dira rétrospectivement « bien jeune tu m’as fait apprécier la dignité de ma nature et réfléchir aux grands principes de l’ordre social ». Au même moment dans sa pratique, il lance la fameuse « Adresse à la Nation artésienne sur la nécessité de réformer les États d’Artois », première étape d’un engagement consistant à s’attaquer au particularisme artésien auquel étaient tant attachés les États d’Artois.

Avec la campagne des élections aux États généraux qui va s’en suivre, ce sera à une toute autre échelle que le Député du Tiers État de la province d’Artois à Versailles qu’il se trouve être va participer au sein de la réunion des États Généraux au premier acte révolutionnaire qui voit l’Assemblée s’autoproclamer Assemblée nationale constituante.

Jusqu’’ici comme d’ailleurs par la suite, mis à part un sens aigu du peuple et de l’égalité, où chacun est un élément d’un tout, aucun dogmatisme ne l’anime et ne l’animera.

In English

The Emergence of Robespierre’s Political Thought

In the turmoil that comes to dominate Arras at the Revolution’s approach, the terms « patriot » and « patriot party » will recur insistently. In parallel, Robespierre will vigorously propose the idea of nation in writing his famous Address to the Artesian Nation on the Necessity of Reforming the Estates of Artois. Fully in the spirit of the times, his reflection is deeply rooted nevertheless in an already old personal development and culture of which one finds the first traces in 1783.

The Homeland and the Robespierre family...

In June, on a trip to visit his family in Carvin, after distinguishing himself in the lightning conductor trial, Robespierre stopped at Lens. There, perched on the ruins marking the site of the dismantled former castle, he recounts : « I moved my gaze with a mixed sentiment of tenderness and admiration over this vast plain where Condé, at the age of 20, won against the Spaniards this famous victory which saved the homeland ».

Cité 2 du Gd Condé, Lens.
Collection particulière de carte postales du début du XXe siècle

A century and a half earlier, in 1648, the victory won here by Condé had led in 1659 to the attachment of the province of Artois to the kingdom of France, while twenty years later, in 1668, Louis XIV would also seize control of the city of Lille and the neighbouring province of Flanders. In securing the administration of the territory of the minor lordship of Carvin-Epinoy, on the borders of Artois and Flanders, the Robespierre family would link their fate to that of the northern provinces of the kingdom and to that of the Prince of Epinoy, its lord, who had been restored to almost all the possessions from which he had been banished[1]. Three generations were to pass in exercising the functions of Prosecutors and Clerks to the Prince but also of Royal Notary. Within the surrounding bourgeoisie, the Robespierres there were to form local alliances with families of magistrates, prominent surgeons, doctors and postmasters of the area.

Robespierre expresses himself here against the backdrop of an impending family reunion and his patriotic feeling is full of emotion mixed with tenderness and admiration for « the great » Condé.[2]

Arbre et monument dit de Condé-Liévin
Collection particulière de carte postales du début du XXe siècle

This feeling is inspired by his attachment to his native land, the ancestral cradle of this distinguished family.

However since the family in Carvin saw its last descendants move to Arras, where its members became « advocates in parliament » after studying at Douai, the contours of the Robespierres’ family patriotism evolved. With the young advocate, who returned to Arras after studying at the most esteemed school in the kingdom, this patriotism took on a new dimension that goes beyond its original, purely familial associations. He now navigates between his attachment to the Province of Artois and attachment to the kingdom. However, he retained as a component the defence of the Homeland, a value strongly anchored in the history of a region marked throughout time by invasions.

We will find this defensive value reactivated at the time of revolutionary wars where it will serve as a defence of the endangered homeland and defence of the integrity of the national territory, while being opposed to war viewed as an opportunity for conquests.

Peoples and nations

Couverture de la 1re édition

At the same time, in the fashionable lightning conductor case, Robespierre had taken up the cause of scientific progress. Before the Provincial Council of Artois, the advocate had shown himself prompt and skilful in defending and promoting in the heart of his province rights that the less enlightened in Saint-Omer were striving to suppress. In his defence speech, hardly ironic, he had not hesitated to warn Artesian leaders against the temptation they could have had, within the kingdom, to yield to the local particularism that would embrace obscurantism. Robespierre had thus invited the Tribunal not to take the risk of disgracing itself and making itself a laughing-stock by showing itself at the bottom of the heap next to the scientific authorities of the kingdom and other enlightened nations of Europe and the world. To this end, he had invoked the examples of sovereigns who had shown discernment regarding the benefits of applying the fruits of scientific progress for the common good.

The reference to the idea of nation current at the time emerged several times from his speech. For the time being, his thinking did not define a framework for the peoples of these different nations, whose contours remained rather vague. However, the province of Artois was a province participating in the nation of France. Different peoples of America and Europe constituted nations, among which he aimed to distinguish the enlightened nations whose sovereigns had shown discernment in subscribing to the benefits of scientific progress.

He would take up playfully this way of looking at the structure of the world two weeks later in the letter in which he recounted his visit to Carvin. Incidentally, he posits « a hundred peoples » of the « universe » forming « the human race ». He amuses himself by proclaiming the « judgement of all Europe », to say that it behoves the « Artesians » represented by the « Estates of Artois » to have a temple erected for the inventor of tarte.

For the time being, there is no trace of any reference to a political philosophy such as that derived from Rousseau’s social contract, no place either for the idea of popular or national sovereignty, still less any project for social transformation.

... And Citizenship

But, in the course of the letter from Carvin, Robespierre uses another term, also new, destined to take on a much more political meaning. He refers, without further detail, to the « citizens of all classes » who hurried about at the passage of the carriage in which he was travelling through the village of Carvin-Epinoy. It would be bold to see there then any position in favour of a theory of political order. At most, it is a matter of Rousseau’s disciple celebrating the « fortunate land » of Carvin, where lives a rural community of simple people in whose midst he is preparing to take part in the family reunions that are the object of his adventure...

One must therefore wait for the brief that he will write in support of the rope-maker Deteuf, to see him specify what content he assigns to citizenship : « All of us who glory in the title of citizens [...] ask that the laws be made for all ; that all injustice be redressed, whatever the status and quality of the person who committed it ». The advocate-citizen claims equality to better fight the privilege of impunity behind which his adversary was trying to protect himself from any cause.

For all those who, like him, took pride in this title, equality for all before the law was an essential value that heralded the principles that would guide his further action to achieve the exercise of popular sovereignty that would lead him later to enter politics for good.

The turning point that marks his entry into politics dates from 1788-89 when, in the dedication to Rousseau’s shade, he will say retrospectively : « when very young, you made me appreciate the dignity of my nature and reflect on the great principles of social order ». At the same time in his work, he launches the famous Address to the Artesian Nation on the Necessity of Reforming the Estates of Artois, the first step in a commitment to tackle the Artesian particularism to which the Estates of Artois were so attached.

With the election campaign for the Estates General to follow, it will be on a completely different scale that the Deputy of the Third Estate for the Province of Artois will find himself in Versailles, participating in the midst of the meeting of the Estates General in the first act of revolution that sees the Assembly proclaim itself the Constituent National Assembly.

Until this point, as later, apart from an acute sense of the people and equality, where each person is an element of a whole, no dogmatism animates or will animate him.

Arsène Duquesne,


Voir en ligne : Recit d’une visite familiale à Carvin Juin 1783


[1Fait Prince par Charles Quint, l’ancêtre du Prince d’Epinoy n’était pas prince de sang royal. Rétablis dans leurs possessions par Louis XIV, ses descendants devinrent vite des grands du royaume gagnant la cour de Versailles. Dans la région, ils se retrouvaient à la tête d’hôtels particuliers à Lille et à Arras. Sous la Révolution leur hôtel d’Arras devint la prison dite des baudets du nom de la rue il était implanté (rue Briquet Taillandier)
(Made Prince by Charles V, the Prince of Epinoy’s ancestor was not a prince of royal blood. Re-established in their possessions by Louis XIV, his descendants quickly became great men of the kingdom, entering the court of Versailles. In the region, they presided over private mansions in Lille and Arras. During the Revolution, their Arras mansion became the prison known as ‘des Baudets’ (‘the Donkeys’), from the name of the street where it was situated (now Rue Briquet Taillandier).)

[2Aux tous débuts de la révolution industrielle minière, les industriels lillois à la tête de la Cie des mines de Lens ont célébré en la perpétuant la mémoire du « Grand Condé » en lui dédiant en 1858 le nom d’une de leurs premières fosses ainsi que de tout un quartier de Lens constitué de cités ouvrières voisines bâties sur l’emplacement occupé par le camp français. A l’autre extrémité de la plaine où se déroula la bataille, sur le territoire de Grenay,une stèle commémorative rappelle que c’est de là que Condé contempla le champ de bataille.
(At the very beginning of the industrial revolution in mining, the Lille industrialists who ran the Lens Mining Company commemorated the memory of the ‘Great Condé’ by dedicating to him in 1858 the name of one of their first pits, as well as an entire district of Lens comprising neighbouring workers’ housing built on the site occupied by the French camp. At the other end of the plain, where the battle took place, on the territory of Grenay, a commemorative monument recalls that it was from there that Condé viewed the battlefield.)