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Robespierre et Lebon, Histoire croisée et mémoire mêlée de l’Artois révolutionnaire.

samedi 8 mai 2021, par Ingolf BAYER

ROBESPIERRE ET LEBON, HISTOIRE CROISÉE ET MÉMOIRE MÊLÉE DE L’ARTOIS RÉVOLUTIONNAIRE.

Arras a « enfanté deux monstres. » ( Courtois) [1]

Joseph LEBON, Estampe de Bonneville.

Pour les contre-révolutionnaires et plus particulièrement ceux d’Arras et du Pas-de-Calais, Joseph Lebon est une « plus-value » à la « légende noire » de Robespierre créée par les Thermidoriens. En assimilant les deux artésiens, Robespierre devenait responsable de toutes les terreurs, la nationale et l’arrageoise. Comme représentant en mission sous l’an II, Lebon est tenu comme étant le principal instigateur de la mort d’environ 650 personnes ( particulièrement à Arras et Cambrai). Finalement il fut rappelé le 10 thermidor précisément par le Comité de Salut public moins pour ces excès présumés que pour d’obscures luttes de pouvoir entre révolutionnaires arragois. « Le représentant Lebon rentrera sans délai dans le sein de la Convention. » [2] Arrêté le 15, jugé puis condamné à mort, Lebon est exécuté à Amiens le 16 octobre 1795. Dès Thermidor, on associe son proconsulat à sa complicité avec Robespierre. Choudieu écrit au Comité le 17 thermidor : « On a écrit plusieurs fois et contre Lebon et contre le tribunal mais Lebon était protégé par Robespierre. » [3] Florent Guiot complètement l’accusation en fructidor : « La conspiration de Robespierre […] avait des ramifications très étendues dans le Pas-de-Calais. » [4] Les nombreux pamphlets thermidoriens « locaux » contre Lebon l’assimilent ensuite à Robespierre. [5] Qu’en est-il en réalité ? Présenter leurs liens en quelques lignes est une gageure compliquée. En utilisant comme sources principales la correspondance de Lebon avec le Comité de Salut public publiée dans le Recueil d’Aulard complété par les suppléments de Bouloiseau, nous indiquerons quelques pistes de réponse.

« Marchons vers Arras, où le compatriote, l’ami fidèle de Robespierre et de Barère, Joseph Lebon se couvre du sang de ses frères. » (Courtois) [6]

Robespierre connaissait Lebon. Ce dernier, né en 1765, était surtout de la même génération d’Augustin et de Lebas. En 1790, Lebon vouvoie encore Robespierre dans une lettre convenue et obséquieuse. « Mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur.  [7] »

Député par suppléance depuis juillet 1793, plutôt modéré, Lebon accomplit une première mission comme adjoint d’André Dumont dans la Somme en août 1793, où il réprime « la petite Vendée de Pernes » qui menaçait les environs de Saint-Pol.

Arrêté du CSP du 30 germinal an II-19 avril 1794 rédigé par Robespierre.
AN, AF II 22, pl.171, p.13. ( Recueil d’Aulard, tome 12, P. 680) Fac-similé : document B.D.

On ne trouve pas trace d’interventions de Robespierre, ni à la Convention ni aux Jacobins le concernant. Il n’est pas du « premier cercle » de l’entourage de Robespierre.

Au Comité de Salut public, Robespierre rédigé 3 arrêtés importants pour les missions de Lebon. ( Mais toujours signés par d’autres membres du Comité)

Le 15 août 1793, pour des mesures de salut public à prendre : arrestations d’ennemis, approvisionnement, levée de soldats [8].

Le 8 brumaire-29 octobre 1793, pour sa principale mission afin d’étouffer un complot dangereux « dans la ville d’Aire et en d’autres endroits du Pas-de-Calais.  [9] » Le 30 germinal-19 avril 1794, un important arrêté qui décide que le tribunal d’Arras « continuera l’exercice de ses fonctions […] pour réprimer la conspiration. [10] » (10)

Comme l’indique la lettre de confirmation à Lebon [11] , toutes ces décisions sont collectives et signées par de nombreux membres du Comité : Barère, Collot-d’Herbois, Billaud-Varenne, Prieur de la Côte d’Or, Lindet, Carnot.

Ni ami, ni « complice », Robespierre n’a considéré Lebon que comme un représentant du peuple devant accomplir sa mission. Au printemps 1794, le Comité hésite entre soutien et rappel, Lebon sachant se montrer incontournable dans le Pas-de-Calais. Finalement, le désaveu viendra le 22 messidor-10 juillet 1794 avec la suppression du tribunal d’Arras [12].

« La Convention doit me croire mort, car je ne lui ai pas écrit un seul mot. » (Lebon [13])

Lettre de Collot-d’Herbois à Lebon, 10 floréal an II-29 avril 1794. AN, AF II, pl.171, p.26. (Supplément 3e Volume. Bouloiseau, P. 158.) Fac-similé : document B.D.

Car Lebon ne rend de comptes qu’au Comité de Salut public, lequel l’encourage fortement, notamment Barère, Billaud-Varenne et Carnot. « Continuez votre attitude révolutionnaire. […] secouez sur les traîtres le flambeau et le glaive. » [14] Il met en place avec efficacité la politique de salutp ublic en « labourant » le département qu’il connait très bien bénéficiant de relais locaux : Arras, Saint-Omer, Calais, Saint-Pol, Hesdin, Montreuil, Samer, Boulogne, Béthune. « Le branle est donné. […] Le tribunal révolutionnaire établi à Arras ne dort plus. [15] » Dans un département en guerre, proche de l’Angleterre et des armées coalisées, Lebon se dépense sans compter : Tribunaux bien-sûr mais aussi des complots à déjouer, gestion des prisons, des approvisionnements, libération de prisonniers aussi, lutte contre la mendicité, ... Il se fait également de fortes inimitiés, des députés en mission soucieux de conserver leurs prérogatives, surtout dans le département voisin du Nord : Isoré, Duhem, Florent Guiot, Châles et surtout Guffroy. Ses missions doivent s’étudier selon Louis Jacob à l’aune de la mise en application stricte de la politique du Comité de Salut public [16].

« J’aime à penser qu’il ne vous parvient aucune plainte sur mon compte, et je me tranquillise. » (Lebon) [17]

On conserva Lebon faute de mieux et d’alternative. Barère le couvrit jusqu’au 21 messidor lorsque les plaintes sur son compte remontaient justement à la Convention [18]. L’affaire des patriotes d’Arras (Beugniet, Demuliez, les frères Leblond) le discrédita. Robespierre qui combattit les représentants sanguinaires en Province, Carrier, Tallien, Fréron, Barras, ne le soutint pas. Il ne fut certainement pas son complice comme la propagande thermidorienne s’est plu à les associer dans un dénigrement bien commode [19].

Bruno DECRIEM (décembre 2017).


[1Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc. Supprimés ou omis par Courtois précédés du rapport de ce député à la Convention Nationale, Tome premier, P. 1 à 111, Genève Mégariotis Reprints, 1978, 392 P., P. 69-70.Anne Gillion : La mémoire de Robespierre à Arras, P. 1037-1050 dans : Revue du Nord, tome LXXI, numéros 282-283, juillet-décembre 1989, Université de Lille III.

[2Arrêté du Comité de Salut public, 10 thermidor-28 juillet 1794 rédigé par Collot-d’Herbois et signé par Collot-d’Herbois, Carnot, C-A. Prieur, Billaud-Varenne, Barère. (AN, AF II 47 et AN, F7 4772). Recueil des actes du comité de Salut public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du Conseil exécutif par Alphonse Aulard ( Recueil d’Aulard), tome 15, P. 484.

[3Lettre de Choudieu au Comité de Salut public, 17 thermidor an II-4 août 1794 : Recueil d’Aulard, tome 15, P. 654.

[4Lettre de Florent Guiot au Comité de salut public, 3 fructidor an II-20 août 1794 : Recueil d’Aulard, tome 16, P. 237.

[5Les secrets de Joseph Lebon et de ses complices, deuxième censure républicaine, ou lettre d’A.B.J. Guffroy, représentant du peuple, député à la Convention Les angoisses de la mort, ou idées des horreurs des prisons d’Arras, par les citoyens Poirier et Montgey, de Dunkerque, deuxième édition, revue, corrigée et augmentée du Procès-Verbal du district d’Arras, concernant les mauvais traitements employés envers les détenus, Paris, Troisième année républicaine, 66 P. Cris des habitants de Béthune et de ses environs opprimés par J. Lebon, Dusquesnoy, Représentants du peuple et par les Administrateurs, Jurés et Juges dévoués à ces complices de Robespierre, etc. Augmenté d’un supplément au travail de la Commission. An III, 163P.tion par le département du Pas-de-Calais, à la Convention Nationale et à l’opinion publique, Paris, an III.

[6Papiers inédits trouvés chez Robespierre, op. cit.

[7Papiers inédits trouvés chez Robespierre, op. cit, tome III. Lettre de Lebon à Robespierre, 3 juin 1790, P. 237-241.

[8Arrêté du Comité de Salut public, 15 août 1793, rédigé par Robespierre, signé par Robespierre, Saint-Just, C-A. Prieur, Barère, Carnot. (AN, AF II 58.) Recueil d’Aulard, tome 5, P.556. Complété par le Supplément Bouloiseau 1er volume, P. 370. errata au tome V.

[9Arrêté du comité de Salut public, 8 brumaire an II-29 octobre 1793, rédigé par Robespierre, signé par Robespierre, Barère. (AN, AF II 58.) Recueil d’Aulard, tome 8, P. 90-91.

[10Arrêté du Comité de Salut public, 30 germinal an II-19 avril 1794, rédigé par Robespierre, Billaud-Varenne, C-A. Prieur. (AN, AF II 22, pl. 171, p. 4.) Recueil d’Aulard, tome 12, P. 680.

[11Lettre du Comité de salut public, 10 floréal an II-29 avril 1794, rédigée par Collot-d’Herbois, signée par Collot-d’Herbois, Barère, Robespierre, Billaud-Varenne, Carnot. Saint-Just. (AN, AF II 22, pl. 171, p.26.) Supplément Bouloiseau 3e volume, P. 158.

[12Arrêté du Comité de Salut public, 22 messidor an II-10 juillet 1794, signé par Barère, C-A. Prieur, Billaud-Varenne, Carnot, Saint-Just. (AN, F7 4438 et AN, F7 4773.) Recueil d’Aulard, tome 15, P. 50.

[13Lettre de Lebon au Comité de Salut public, 15 frimaire an II-5 décembre 1793. Recueil d’Aulard, tome 9, P. 205.

[14Lettre du Comité de Salut public à Lebon, 26 brumaire an II-16 novembre 1793, signée de Barère, Carnot, Billaud-Varenne. Recueil d’Aulard, tome 8, P. 457-458.

[15Lettre de Lebon au Comité de salut public, op. cit.

[16Louis Jacob : Joseph Lebon, la terreur à la frontière, Éditions Mallottee, 1934, 2 volumes, 357 et 392 P.

[17Lettre de Lebon au Comité de salut public, op. cit

[18Barère, au nom du Comité de Salut public. Décret relatif à la mission de Joseph Lebon, 21 messidor an II-9 juillet 1794. Recueil d’Aulard, tome 15, P. 35-36.

[19Marc Belissa et Yannick Bosc : Robespierre, la fabrication d’un mythe, Éditions Ellipse, 2013, 557 P