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Deux lettres de Robespierre à Maurice Duplay

samedi 3 décembre 2022

Au sein de la correspondance de Robespierre, on retrouve deux lettres à Maurice Duplay, membre de la Société des amis de la constitution séante aux Jacobins de Paris, qui avait accueilli Robespierre chez lui au moment du Massacre du Champ de Mars, le 17 juillet 1791. Ces deux lettres témoignent de l’attachement de Robespierre pour Duplay, son logeur, et pour sa famille.

« Mon cher Ami,

« Je suis arrivé à bon port, vendredi, à Bapaume. Les gardes nationales de Paris campées ci-devant à Verberies, celles du département de l’Oise qui venaient d’arriver le jour même dans cette ville, jointes aux patriotes de Bapaume, me présentèrent une couronne civique avec les témoignages de l’affection la plus fraternelle. Le directoire du district et de la municipalité, quoiqu’aristocrates, ne dédaignèrent pas de venir me rendre visite au corps. J’ai été enchanté du patriotisme des gardes nationales, qui paraissent très bien composées. Aussi celles de Paris n’ont-elles trouvé aucun préparatif pour les recevoir à Bapaume ; celles de l’Oise ont été obligées de partir sans armes, et n’en ont point encore.

« De Bapaume, plusieurs officiers des deux corps, joints à une partie de la garde nationale d’Arras, qui étaient venus à ma rencontre, me reconduisirent à Arras, où le peuple me reçut avec les démonstrations d’un attachement que je ne puis exprimer, et auquel je ne puis songer sans attendrissement ; il n’avait rien oublié pour me le témoigner ; une multitude de citoyens étaient sortis de la ville à ma rencontre ; à la couronne civique qu’ils m’offrirent ils en joignirent une pour Petion [sic] ; dans leurs acclamations ils mêlaient souvent à mon nom celui de mon compagnon d’armes et de mon ami. Je fus surpris de voir les maisons de mes ennemis et des aristocrates (qui ne paraissent ici que sous la forme ministérielle ou feuillantine ; les autres ont émigré), illuminées sur mon passage, ce que je n’ai attribué qu’à leur respect pour le vœu du peuple. Huit jours auparavant on avait fait les mêmes préparatifs parce que j’étais attendu pour ce temps-là.

« Dans l’une et l’autre occasion, la municipalité, qui est de l’ordre des feuillants, n’avait rien épargné pour s’opposer à ces démarches de la part du peuple et des patriotes : « Quand ce serait le roi, disait-elle ingénieusement, on n’en ferait point autant ; quand nous avons été installés, nous a-t-on rendu des honneurs ? »

« Aussi je ne fus pas plutôt entré chez moi qu’elle envoya les alguazils de la police porter l’ordre d’éteindre les lampions, ce qui ne fut pas partout ponctuellement exécuté.

« Le lendemain, un autre désordre s’introduisit dans la ville : les gardes nationales de l’Oise arrivèrent à Arras où ils devaient passer pour se rendre à leur destination ; ils dansèrent sur la place publique en chantant des airs patriotiques et vinrent chez moi en faisant retentir les airs d’acclamations extrêmement désagréables pour l’oreille d’un feuillant. Il n’est point arrivé d’autre malheur.

« Les gardes nationales cantonnées dans ce pays sont vues de très mauvais œil par l’aristocratie ministérielle qui est très nombreuse ; elles se répandent dans les villages d’alentour pour prémunir les habitants des campagnes contre les insinuations dangereuses des prêtres réfractaires qui font un mal incalculable ; elles raniment partout le patriotisme languissant. Je ne doute pas que l’on ne continue de faire tout ce qu’on pourra pour les dégoûter ou pour s’en défaire.

« Nous avons, sur notre route, trouvé les auberges pleines d’émigrants. Les aubergistes nous ont dit qu’ils étaient étonnés de la multitude de ceux qu’ils logeaient depuis quelque temps.

« Il vient de s’opérer ici un miracle, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il est dû au Calvaire d’Arras, qui, comme on le sait, en a déjà fait tant d’autres : un prêtre non assermenté disait la messe dans la chapelle qui renferme le précieux monument ; des dévotes comme il faut l’entendaient. Au milieu de la messe un homme jette deux béquilles qu’il avait apportées, étend les jambes, marche ; il montre la cicatrice qui lui reste à la jambe, déploie des papiers qui prouvent qu’il a eu une griève blessure ; au miracle la femme de cet homme arrive ; elle demande son mari ; on lui dit qu’il marche sans béquilles ; elle tombe évanouie ; elle reprend ses sens pour rendre grâces au ciel et pour crier au miracle.

« Cependant il fut résolu, dans le sanhédrin dévot, que ce ne serait point dans la ville qu’on ferait beaucoup de bruit de cette aventure, et qu’on la répandrait dans les campagnes : depuis ce temps plusieurs paysans viennent, en effet, brûler des petits cierges dans la chapelle du Calvaire.

« Je me propose toujours de ne pas rester longtemps dans cette terre sainte ; je n’en suis pas digne ; je ne la quitterai cependant pas sans regrets ; car mes concitoyens ne m’y ont procuré jusqu’ici que les plus douces jouissances : je m’en consolerai en vous embrassant.

« Veuillez bien présenter les témoignages de ma tendre amitié à Mme Duplay, à vos demoiselles et à mon petit ami.

« N’oubliez pas, non plus, je vous prie, de me rappeler au souvenir de La Coste et Couthon.

« Robespierre »

« Frère et ami, j’ai reçu avec reconnaissance la nouvelle marque d’intérêt et d’amitié que vous me donnez par votre dernière lettre. Je me propose sérieusement, cette fois, de retourner dans quelques jours à Paris. Le plaisir de vous revoir ne sera pas le moindre avantage que j’y retrouverai. Je pense avec une douce satisfaction que mon cher Petion [sic] a peut-être été nommé maire de Paris au moment où j’écris. J’éprouverai plus vivement que personne la joie que doit donner à tout citoyen ce triomphe du patriotisme et de la probité franche sur l’intrigue et sur la tyrannie.

« Présentez les témoignages de mon tendre et inaltérable attachement à vos dames, que je désire vivement d’embrasser, ainsi que notre petit patriote.

« Robespierre »

Maximilien Robespierre à Maurice Duplay, deux lettres datées d’Arras, 16 octobre et 17 novembre 1791, OMR, t. III, p. 124-126 et 129-130

Texte sélectionné et présenté par Suzanne Levin, docteure en histoire.

Pour aller plus loin, voir Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014, ch. 13, et Edna H. Lemay, « Poursuivre la Révolution. Robespierre et ses amis à la Constituante » dans J.-P. Jessenne, G. Deregnaucourt, J.-P. Hirsch et H. Leuwers, éd., Robespierre. De la nation artésienne à la République et aux nations, Villeneuve-d’Ascq, Centre d’histoire de la région du Nord et de l’Europe du Nord-Ouest, 1994, p. 139-156.