Le 6 mai 1758, il y a 234 ans, sur les coups de deux heures du matin, Jacqueline Marguerite Carrault, 23 ans, ayant épousé à la hâte un avocat arrageois, nommé Maximilien, François de Robespierre, met au monde son premier enfant « Maximilien, Isidore, Marie Robespierre, que l’on s’empressa de baptiser, non loin du domicile familial à l’église de la Madeleine, en face de la récente « abbaye Saint-Vaast à Arras.
Jacqueline est la fille d’un brasseur relativement aisé qui avait épousé un avocat issu d’une famille de robins carvinois.
Elle mourra à 29 ans en mettant au monde son cinquième enfant, le père abandonnant sa famille peu après, destinée hélas banale à l’époque, laissant à la famille le soin d’élever et d’éduquer les enfants devenus orphelins.
Aurait-elle pu imaginer, en ce matin du 6 mai, que son fils aîné aurait la destinée que nous lui connaissons, que la sœur cadette, née deux ans plus tard, se dévouerait à ce frère et que le plus jeune, Augustin jouerait lui aussi un rôle important dans le déroulé des évènements de la Révolution ?
Que n’a-t-on glosé sur cette enfance orpheline, inventant tous les possibles scénarios psychologiques les plus farfelus, hérités des mémoires écrits en 1795 d’un précepteur catholique contre révolutionnaire émigré qui s’était occupé de la famille à Arras et de Maximilien au collège Louis Legrand pour trouver dans son enfance, et son hérédité les racines profondes de l’origine de sa supposée tyrannie !
Mais malgré deux siècles et demi de « mensonges d’état », pour reprendre la formule de Jean-Clément Martin, de dénigrements et de raccourcis tenaces – Terreur, guillotine,Robepsierre – l’aîné des Robespierre, Maximilien n’en demeure pas moins l’arrageois le plus célèbre au monde entier et présent dans la mémoire de celles et ceux qui souffrent inspirant leurs luttes et leurs combats pour un monde plus juste, offrant à chacune et chacun le droit à une existence digne, et le droit au bonheur, comme y aspiraient, en leur temps, nos révolutionnaires.
Personnage controversé, nous dit-on. La formule est aisée ; comme si la vérité – s’il devait y en avoir une – se trouvait entre ces « deux siècles de mensonges d’état » et ce que la recherche historique nous apprend encore aujourd’hui. Pour notre part, l’ARBR, depuis trente trois ans, participe, avec bien d’autres de la communauté universitaire, non seulement à défaire la légende noire qui subsiste, à son sujet, pour la large majorité de nos concitoyens, mais à établir les faits, et faire connaître dans sa complexité ce que fut la Révolution, l’engagement de Robespierre dès 1789 à Versailles puis à Paris, mais aussi dans les premières années de sa vie à Arras, pour les droits naturels de l’homme, la liberté, l’égalité et la fraternité si bien évoquée dans cette formule : « “Tout homme n’a pas le droit d’entasser du blé, quand son semblable meurt de faim, tout ce qui est nécessaire à l’existence de la vie des hommes, appartient à la société, son superflu seul est un objet de commerce. »
En « ces temps déraisonnables », pour plagier Aragon, ou le pire et le meilleur peuvent arriver, les médias nous conditionnent à ne vivre que dans le présent. Nous pensons au contraire que nous avons encore beaucoup à apprendre encore de cette si courte période de notre histoire mais si riche et intense qu’elle continue d’inventer jusqu’à nos rêves ? Il y a encore bien des leçons à tirer de son histoire pour dresser, devant un avenir incertain, quelques fanaux susceptibles de baliser l’avenir qu’il nous revient de tracer ?
C’est ce travail que l’ARBR-les amis de Robespierre tentons de mener depuis plus de trente années, modestement, mais avec détermination et courage.
Nous sommes lucides et n’avons ni pour devise de refaire l’histoire ni même prétendre qu’elle se reproduit. L’histoire est là pour nous enseigner les leçons du passé et surtout éclairer le présent.
Robespierre et nos révolutionnaires ont encore beaucoup à nous apprendre pour le lire le monde d’aujourd’hui. Voyons ici un ou deux exemples :
Dès 1789, dans une plaidoirie que n’aurait ps reniée Me Vergès, Robespierre, dans une stratégie de rupture dont il est expert, s’adresse au roi contre les lettres de cachet :
"Voyez encore, Sire, même chez des peuples qui paraissent florissants, voyez sous les dehors de ce luxe imposant et de cette prétendue opulence publique, qui fascine les yeux des administrateurs sans vertu, les fortunes énormes de quelques citoyens fondées sur la ruine et sur la misère de tous les autres ; portez vos regards au-delà de cette enceinte brillante de courtisans, qui dérobent aux princes la vue des hommes, au-delà de ces palais magnifiques qui leur cachent les chaumières et voyez les artisans, les laboureurs au désespoir, cette multitude de citoyens de diverses conditions, qui forment le corps de chaque nation, disputant sans cesse à l’avidité du fisc, à l’injustice, à la dureté des riches cette modique portion de salaires ou de revenus, qui suffit à peine pour soutenir leur inquiète et douloureuse existence. Voyez surtout cette dernière classe, la plus nombreuse de toutes, et que l’orgueil croit flétrir par le nom de peuple, si sacré et si majestueux, aux yeux de la raison, presque forcée, par l’excès de sa misère, à oublier la dignité de l’homme et les principes de la morale, au point de regarder la richesse comme le premier objet de sa vénération et de son culte, la bassesse servile et la flatterie, envers les riches et les puissans, comme un devoir, l’oppression comme son état naturel, la protection des loix comme une faveur presqu’inespérée… Ah ! heureux, et mille fois heureux, celui qui, à la vue de tant de maux répandus sur l’univers, élevé par un sentiment profond et sublime, pourra se dire à lui-même : « Je veux au moins les faire cesser pour une nation de vingt millions d’hommes : je le veux, je le puis. »
C’est encore lui, opposé à la guerre que veulent déclarer le gouvernement de Brissot et le roi à l’Autriche sacrifiant au nom de la liberté et sacrifiant ainsi pour leurs intérêts la vie de nombreux patriotes et les plus engagés à défendre la révolution il répondait à ceux qui l’accusaient de ne pas défendre le peuple :
« Apprenez que je ne suis point le défenseur du peuple ; je n’ai jamais prétendu à un titre aussi fastueux. Je suis le peuple, je n’ai jamais été que cela et je ne veux être que cela ; je méprise quiconque a la prétention d’être quelque chose de plus. »
Et le 8 thermidor, quelques heures avant sa mort, il s’adressait ainsi au Peuple dans un discours testamentaire :
« Peuple souviens-toi que si dans une République, la justice ne règne pas avec un empire absolu, et que si ce mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté n’est qu’un vain mot »
« Peuple, souviens-toi, qu’il existe en ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique qui a plus d’influence que toi-même sur tes propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse mais qui te proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens. »
« Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette poignée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons auteurs de tous nos maux et seuls obstacles à la prospérité publique »
Alors bon anniversaire, citoyen Robespierre.
L’an dernier nous étions à Grenay, petite cité ouvrière dynamique de l’ex bassin minier, pour célébrer l’évènement en inaugurant une rue à ton nom.
Cette année, entre élection présidentielle et législative, l’ARBR a cru bon de solliciter notre ami et membre de l’ARBR Fadi Kassem pour une conférence des « vendredis de l’ARBR » afin d’honorer ta naissance.
L’article 3 de la déclaration des droits, « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » figure dans le préambule de notre constitution.
À l’époque, souvent dans les discours ne nos révolutionnaires, le mot « Peuple » et « Nation » se confondent (Lettre à la Nation artésienne de Robespierre » et lettre au Peuple Belgique).
Personne ne conteste plus que le fil directeur de l’action de Robespierre fut cette déclaration et celle « améliorée » de 1793 et aussi l’importance qu’il attachait à ce que le peuple soit maître de sa destinée.
En janvier dernier Yannick Bosc, maître de conférences à l’université de Rouen évoqua pour nous « La République de Robespierre », début avril Pierre Outteryck, faisant suite aux travaux de notre congrès évoqua dans un effort de synthèse remarquable les liens étroits entre le mouvement ouvrier et la Révolution française.
Dans la continuité nous nous honorons de pouvoir accueillir Fadi KASSEM, professeur agrégé d’histoire qui intervint trop brièvement sur cette question lors de notre récent congrès de revenir à Arras et de développer la manière dont Robespierre peut encore influencer la réflexion sur la question de la souveraineté de la nation.