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Adresse de Maximilien Robespierre aux Français. Texte intégral

Texte intégral

vendredi 6 janvier 2017

Ce texte n’était pas inconnu, loin de là, mais il n’avait pas encore été réédité. Robespierre répond à la campagne de calomnies menée par « une faction qui se flatte de dominer au sein de l’Assemblée nationale » elle-même et qui se révèle un redoutable adversaire, n’hésitant ni devant les calomnies ni devant la fabrication de faux.

Ce texte [1] important a échappé à l’attention des éditeurs du tome VII des Œuvres de Robespierre pour des raisons inexpliquées. Cette lacune se trouve ainsi réparée.
Ce texte n’était pas inconnu, loin de là, mais il n’avait pas encore été réédité. Robespierre répond à la campagne de calomnies menée par « une faction qui se flatte de dominer au sein de l’Assemblée nationale » elle-même et qui se révèle un redoutable adversaire, n’hésitant ni devant les calomnies ni devant la fabrication de faux. Daté de juillet 1791, il a vraisemblablement été publié dans les derniers jours du mois de juillet ou au tout début d’août.
Ernest Hamel, dans son Histoire de Robespierre (Paris, 1865, t. I, 29), lui a consacré un chapitre dans lequel il en donne quelques citations et rappelle l’immense succès que rencontra sa publication :
« Cette longue adresse aux Français, où la vie politique de Robespierre jusqu’à ce jour était si nettement et si franchement expliquée, eut un succès prodigieux. « Bons Parisiens et vous, Français des quatre-vingt-deux départements, disait le journal le plus populaire du temps, lisez l’épître éloquente et vérace de M. Robespierre, lisez-la dans la chaire de vos églises, dans la tribune de vos assemblées, sur le seuil de la maison commune de vos municipalités ; et si vous êtes hors de la bonne voie, elle vous y fera rentrer. » Une autre feuille s’exprimait en ces termes : « Quand on voit tant de philosophie et de calme dans celui qui se trouve ainsi l’objet de la calomnie, on doit en conclure pour la bonté de la cause qu’il défend. » À Nantes, la société des Amis de la Constitution, transportée par la lecture de cette adresse, en vota l’impression à deux mille exemplaires. « Immortel défenseur des droits du peuple, écrivait à Robespierre, le 26 août, l’évêque de Bourges, j’ai lu avec enthousiasme votre lettre adressée aux Français. » Enfin Madame Roland, retournant vers la mi-septembre dans les propriétés de son mari, à la Platière, semait dans les endroits où elle passait, des exemplaires de cette vigoureuse adresse, « comme un excellent texte aux méditations de quelques personnes. » En butte aux calomnies des Constitutionnels et de tous les écrivains payés de la cour, Robespierre venait de faire sa confession publique ; et si intime était le rapport entre ses actes et ses paroles qu’il fut impossible de le mettre en contradiction avec lui-même. Cette adresse le grandit encore aux yeux de ses concitoyens ; mais elle eut un autre avantage : elle contribua singulièrement à rabattre l’orgueil de ces Constitutionnels qui, depuis le fatal événement du Champ de Mars, se croyaient maîtres des destinées de la France. » [2]
On doit à l’ARBR [3] d’avoir reproduit récemment ce texte à partir de l’exemplaire trouvé aux Archives départementales du Pas-de-Calais. F.G [4]

« On me force à défendre à la fois mon honneur et ma patrie. Je remplirai cette double tâche. Je remercie mes calomniateurs de me l’avoir imposée. Ils m’ont dénoncé clandestinement, et cependant dans toutes les parties de l’empire, comme un factieux, comme un ennemi de la constitution. Ce ne sont pas des adversaires faibles, des calomniateurs vulgaires qui me poursuivent ; c’est une faction qui se flatte de dominer au sein de l’Assemblée nationale, et qui se croit toute-puissante dans l’état ; ce n’est pas moi qu’ils attaquent ; ce sont mes principes, c’est la cause du peuple qu’ils veulent accabler, en opprimant tous ses défenseurs. Me ravir à la fois les moyens de servir mon pays et l’honneur, c’est trop d’atrocités réunies ; s’il faut que je voie la liberté succomber sous leurs efforts, je veux du moins, en périssant pour elle, laisser à la postérité un nom sans tache, et un exemple que les honnêtes gens puissent imiter. Nation souveraine, nation digne d’être heureuse et libre, c’est à vous qu’il appartient déjuger vos représentans ; c’est devant vous que je veux défendre ma cause et la vôtre ; c’est à votre tribunal que j’appelle mes adversaires. Il est temps qu’ils comparaissent aussi devant vous. Je vais vous dévoiler par quelles trames l’intrigue sait accabler l’innocence et mettre la liberté en péril. Après m’être justifié moi-même, je développerai à vos yeux la véritable cause des maux que ma patrie a déjà soufferts, et de ceux qui la menacent encore.

Avant tout, qu’il me soit permis d’invoquer une règle assez sûre pour me juger. Si je puis rapporter toute ma conduite à un principe unique, et que ce principe soit honnête et pur, de quel front mes adversaires pourraient-ils lui chercher des motifs coupables, et me mettre au rang des ennemis de la patrie ? Or je vais ici leur révéler moi-même tout le secret de cette raideur inflexible qui leur a tant déplu, et qu’ils ont érigé en crime, depuis qu’ils se croient assez forts pour m’opprimer.

Les principes que j’ai apportés à l’assemblée des représentants du peuple, et que j’ai constamment soutenus, (j’en atteste la France entière) sont ceux que l’Assemblée nationale a solennellement reconnus, par la déclaration des droits, comme les seules bases légitimes de toute constitution politique et de toute société humaine. J’avoue que je n’ai jamais regardé cette déclaration des droits comme une vaine théorie, mais bien comme des maximes de justice universelles, inaltérables, imprescriptibles, faites pour être appliquées à tous les peuples. J’ai vu que le moment de fonder sur elles le bonheur et la liberté de notre patrie était arrivé, et que, s’il nous échappait, la France et l’humanité entière retombaient pour la durée des siècles dans tous les maux et dans tous les vices qui avaient presque partout dégradé l’espèce humaine ; et j’ai juré de mourir, plutôt que de cesser un instant de les défendre.

J’ai cru que le pouvoir du despotisme et les malheurs des nations n’étant autre chose que la violation des droits impérissables de l’homme, et le renversement des lois sacrées de la nature, la véritable mission des représentants du peuple était de ramener la législation à ce principe. J’ai cru que si la politique des despotes ou de leurs agents était différente ou ennemie de la morale, celle des fondateurs de la liberté ne pouvait être que la morale-même ; qu’ainsi, loin de prendre pour règles la fausse prudence, les maximes lâches et perfides des premiers, nous ne devions nous confier qu’à l’autorité de la raison et à l’ascendant de la vertu ; qu’au lieu de rabaisser les âmes des Français aux préjugés, aux habitudes de l’ancien gouvernement, il fallait les redresser à la hauteur des âmes libres. Je n’ai cru ni aux principes ni au génie de ceux qui se donnant pour des hommes d’état, parce qu’ils n’étaient ni philosophes, ni justes, ni humains affectaient de se défier ou du bon sens ou du patriotisme des Français, pour prolonger éternellement parmi nous l’ignorance et la servitude. Loin d’adopter leurs transactions éternelles avec la raison et la vérité, j’ai vu qu’il était plus facile à l’Assemblée nationale de fonder la liberté, que de rétablir le despotisme ; j’ai vu que dépositaire du pouvoir souverain, victorieuse de toutes les tyrannies qui avaient disparu devant la majesté du peuple, environnée de la confiance et de la force d’une grande nation, il ne lui restait qu’à seconder cet élan généreux qui portait les Français vers la liberté ; qu’en réprimant les complots de l’aristocratie déconcertée, en protégeant les faibles opprimés, en punissant les oppresseurs puissans, en déployant, envers le dépositaire provisoire du pouvoir exécutif, la dignité qui convenait aux représentons du souverain ; enfin, en présentant aux peuples des lois toujours puisées dans les principes éternels de la justice, toujours conformes à l’intérêt général, elle eût bientôt établi et consolidé les bases de la régénération et de la félicité publique. Mais si des ambitieux, étrangers par leur caractère et par leur éducation au sentiment de l’égalité et à l’amour du peuple, venaient se mêler à ses représentons pour les tromper et pour les diviser, s’ils osaient se déclarer les chefs de la révolution, pour la diriger vers leur but particulier, par toutes les manœuvres de l’intrigue et par tous les artifices des cours, j’ai pensé qu’on verrait bientôt les ennemis de la liberté dominer sous le masque du civisme ; que composant sans cesse avec les principes, donnant aux vices et aux préjugés le temps de se réveiller, nous arriverions de faiblesse en faiblesse, et d’erreur en erreur, à un état à peu près tel que le premier ; que l’ancien despote toujours ménagé, toujours caressé, toujours adoré, recouvrant promptement des moyens immenses de force et de séduction, ralliant autour de lui tous les ennemis déclarés et secrets de la cause publique, semant la division et la corruption au dedans, entretenant des intelligences coupables au dehors, nous forcerait bientôt à reprendre nos chaînes, ou à acheter, an prix du sang, la liberté, que nous avions conquise par la seule force de la raison.

Pénétré de ces idées, j’ai pensé que tous les décrets de l’Assemblée nationale, que toutes mes opinions du moins ne devaient être que les conséquences de ce double principe, auquel peut se réduire la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, L’ÉGALITÉ DES DROITS ET LA SOUVERAINETÉ DE LA NATION.

J’ai cru que l’égalité des droits devait s’étendre à tous les citoyens. J’ai cru que la nation renfermait aussi la classe laborieuse, et tous sans distinction de fortune. Je savais que ceux qui étaient les premières victimes des injustices humaines ne pouvaient être étrangers aux soins de ceux qui étaient envoyés pour les réparer ; je savais que j’étais le représentant de ceux-ci, au moins autant que des autres ; et, s’il faut que je l’avoue, je tenais à leurs intérêts par ce sentiment impérieux qui nous porte vers les hommes faibles, qui m’avait toujours attaché à la cause des malheureux, autant que par la connaissance raisonnée de mes devoirs.

J’ai donc appliqué ces principes simples et féconds à tous les objets de nos délibérations. Tai demandé constamment que tout citoyen domicilié, qui n’était ni infâme ni criminel, jouît de la plénitude des droits du citoyen ; qu’il fût admissible à tous les emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talens.

Je les ai appliqués à l’organisation des gardes nationales, au droit d’être armé pour sa défense personnelle et pour celle de sa patrie, au droit de pétition.... D’autres ont pu penser différemment ; mais je défie un homme doué de quelque droiture de cœur ou d’esprit, d’oser dire que ces opinions étaient criminelles ou insensées. Je crois du moins avoir eu le droit de mépriser souverainement ceux qui m’ont accusé de les soutenir pour soulever le peuple. Je jure que ce n’est point le langage de la vérité et de la justice qui trouble le repos des nations, et que la raison n’est point séditieuse ; je jure que je n’ai jamais senti pour mes semblables le mépris coupable que suppose cette objection ; je jure que cette classe intéressante et nombreuse, désignée jusque ici par le mot peuple, est l’amie naturelle et le soutien nécessaire de la liberté, précisément parce qu’elle n’est ni corrompue par le luxe, ni dépravée par l’orgueil, ni entraînée par l’ambition, ni agitée par toutes les passions ennemies de l’égalité ; parce que ses habitudes, sa faiblesse et sa pauvreté même lui font un besoin de la justice et de la protection des lois. Je jure que j’ai vu le peuple français guidé par ce seul sentiment dans toutes les assemblées ; que je l’ai vu généreux, raisonnable, magnanime, modéré, lorsque, après avoir terrassé le despotisme et sauvé ses représentants, il rentra de lui-même dans le calme, précisément parce qu’il était libre et respecté ; je jure que je l’ai vu déployer ce même caractère, lorsqu’au champ de la fédération il donna le spectacle de l’union la plus sublime et la plus touchante ; je l’ai vu tel encore après la fuite du roi, tel après son arrestation, quand Louis traversait la multitude immense des citoyens qu’il avait abandonnés ; et j’avoue que j’ai toujours été profondément indigné toutes les fois que j’ai entendu des hommes froids et cruels, oubliant sa patience naturelle et sa douceur inaltérable, oubliant les outrages dont les tyrans l’ont rassasié durant tant de siècles, lui reprocher éternellement quelques actes de violence commis par des individus dans des temps de troubles où il était en guerre avec ses anciens oppresseurs. .J’avoue que j’ai cru la liberté en danger, dès le moment où je les ai vus se faire un système d’exciter contre lui de continuelles défiances, de le calomnier pour le dépouiller et pour l’enchaîner ; car, à mon avis, il n’est point de liberté sans l’égalité des droits ; et partout où l’égalité des droits n’existe pas entre tous les citoyens, elle n’existe plus en aucune manière, et bientôt l’état social ne présente plus qu’une chaîne d’aristocraties qui pèsent les unes sur les autres, où l’homme orgueilleux et vil se fait gloire de ramper aux pieds d’un supérieur, pour dominer sur ceux qu’il croit voir au-dessous de lui.

Il n’est pas question de savoir ici si ce système était raisonnable ou exagéré ; on ne dira pas du moins qu’il m’ait été inspiré ni par le ministère, ni par l’aristocratie ; et la constance avec laquelle j’ai supporté pendant deux ans les contradictions qu’il m’attirait, prouve au moins que je ne sacrifiais pas mes principes au plaisir d’être applaudi.

Le même principe de la souveraineté nationale m’a conduit à penser que l’autorité de la nation n’était pas une vaine fiction, mais un droit sacré qui devait être réalisé ; j’en ai conclu que l’autorité des mandataires du peuple avait des bornes déterminées par les droits imprescriptibles du souverain ; que tout acte contraire à ces droits ne pouvait être légitime ; que les représentants ne pouvaient déclarer constitutionnel que ce qui l’était par la nature même des choses, et non ce qu’il convenait à quelques-uns d’appeler ainsi, encore moins ce qui était opposé aux principes de toute constitution libre ; qu’il devait exister, pour toute nation, des moyens constitutionnels de les réclamer et de faire entendre, au moins dans certains cas, sa volonté suprême ; que l’indépendance absolue des représentants vis-à-vis du souverain et le pouvoir illimité de violer impunément les droits du peuple, était un monstre dans l’ordre moral et politique.

Quant au monarque, je n’ai point partagé l’effroi que le titre de roi a inspiré à presque tous les peuples libres. Pourvu que la nation fût mise à sa place, et qu’on laissât un libre essor au patriotisme que la nature de notre révolution avait fait naître, je ne craignais pas la royauté, et même l’hérédité des fonctions royales dans une famille ; j’ai cru seulement qu’il ne fallait point abaisser la majesté du peuple devant son délégué, soit par des adorations serviles, soit par un langage abject. .J’ai cru qu’il ne fallait point se hâter de lui prodiguer, ni assez de forces pour tout opprimer, ni assez de trésors pour tout corrompre, si on ne voulait pas que la liberté pérît avant que la constitution même fût achevée. Tels furent les principes de toutes mes opinions sur les parties principales de l’organisation du gouvernement : elles pouvaient n’être que des erreurs, mais, à coup sûr, ce ne sont point celles des esclaves ni des tyrans.

Peut-être paraissaient-elles des vérités à la majorité de la nation, qui voulait une constitution faite pour elle, et non pour quelques intrigans ambitieux, lorsqu’une coalition déjà assez connue prit le parti de les réfuter, en désignant ceux qui les défendaient, par le nom de républicains et de factieux. Opposions-nous les principes de la constitution à quelque motion ministérielle ? nous étions des factieux. Prétendions-nous qu’il ne fallait pas changer les corps administratifs en instruments passifs et aveugles de la cour et des ministres ? nous étions des factieux. Disions-nous qu’il ne fallait pas donner à un ministre le droit de faire arrêter arbitrairement les citoyens dans toute l’étendue de la France, sous le prétexte vague de la sûreté de l’état ou du respect pour la personne du roi [5] ? nous étions des factieux, des républicains.

Trouvions-nous étrange que le comité de constitution eût proposé de punir de deux ans de prison, ou de bannissement à perpétuité, en cas de récidive, tout citoyen qui aurait mal parlé du roi, ou de sa femme, ou de sa sœur, ou de son fils ? nous étions des factieux. Si nous réclamions les droits de la nation, si nous défendions la cause des individus opprimés, nous étions des factieux [6]. Défendions-nous la liberté indéfinie de la presse, demandions-nous que le droit de pétition fut laissé à tous, sans distinction comme un droit inaliénable de la nature et de la société ? Nous étions des factieux. Faisions-nous paraître quelque inquiétude sur le parti de remettre entre les mains de la cour le trésor public, grossi des biens immenses du ci-devant clergé ? nous étions des factieux, des républicains. Prétendions-nous qu’il ne fallait pas croire aisément au patriotisme et aux vertus de la cour ou de ses créatures, ni se reposer sur elle du soin de notre liberté, de notre défense, de celui de régler nos intérêts avec les puissances étrangères ? nous étions appelés des factieux, des républicains*. Et par qui ? Par les partisans les plus connus du pouvoir ministériel ; par des hommes qui, naguère divisés entre eux, s’accusaient réciproquement, à la face de l’univers, d’être des factieux et des ennemis de la liberté [7], qui, dans ce temps-là même, sachant très bien que des factieux ne se dévouent pas, pour la défense des droits de l’humanité, à la haine de tous les hommes puissants et aux fureurs de tous les partis, avaient rendu hautement témoignage à la pureté de notre zèle et à l’ardeur sincère de notre amour pour la patrie.

Tout changea à l’époque dont je vais parler. Convaincu qu’il était nécessaire au salut public de tarir l’une des sources les plus fécondes de la corruption des assemblées représentatives, et surtout d’anéantir les factions qui menaçaient la liberté et la tranquillité publique, je fis la motion d’exclure les membres de l’Assemblée nationale de la législature suivante. Ce décret qui honore l’assemblée, qui prouva au moins mon désintéressement personnel, ne parut pas obtenir le suffrage de ceux qui ne le partageaient pas. Peut-être se rappelèrent-ils alors que peu de temps auparavant j’en avais provoqué un autre qui interdisait aussi aux membres du corps législatif, pendant quatre ans, l’accès du ministère et de toutes les places qui sont à la disposition du pouvoir exécutif. Peut-être ceux qui croyaient devoir trouver dans la révolution le dédommagement des titres et des avantages qu’elle leur avait ôtés la jugèrent-ils beaucoup moins heureuse, dès qu’elle les replaçait dans la classe des simples citoyens ; peut-être tous les chefs de partis, jusqu’alors divisés, se ressouvinrent-ils douloureusement des combats que nous leur avions souvent livrés ; peut-être en particulier MM. Lameth, Barnave et Duport n’avaient-ils pas oublié l’échec que leurs opinions avaient reçu récemment dans l’affaire des Colonies et dans plusieurs occasions importantes ; peut-être est-il trop dur en général pour la faiblesse humaine d’abandonner le pouvoir, au moment où l’on a perdu cette faveur publique, qui pourrait consoler un peu de ce sacrifice. Ce qu’il y a de certain, c’est que dès le lendemain du fatal décret, on fut infiniment étonné d’entendre M. Duport, à la tribune de l’Assemblée nationale, déclarer que c’en était fait de la constitution [8], parce que les membres de l’assemblée ne pouvaient être de quelque temps ni ministres, ni législateurs, exhaler le fiel le plus amer contre la loi elle-même et contre ceux qui l’avaient provoquée ; c’est que depuis cette époque tous ses partisans ne cessèrent de répéter les mêmes déclamations ; dès ce moment du moins nous crûmes voir une révolution nouvelle s’opérer au sein de l’Assemblée.

C’est alors que nous vîmes se former, des divers partis divisés jusqu’à ce moment, une coalition qui renferme les principaux de ce qu’on appelait la minorité de la noblesse, et un très grand nombre d’orateurs accrédités, tous ligués contre moi et contre ceux qui défendaient les mêmes principes. Les amis de la liberté les ont soupçonnés dès lors de méditer des changemens dans notre constitution et dans l’état des affaires ; ils ont craint surtout que leur intention ne fût de faire révoquer, par quelque moyen que ce soit, les deux décrets dont je viens de parler : la fin de la session prouvera si ces craintes étaient fondées [9]. La fuite du roi, qui tient à des causes plus multipliées et plus cachées que le vulgaire ne le pense, apporta un grand changement dans notre situation. La convocation de la nouvelle législature fut reculée. Ce même événement, ramenant en quelque sorte tous les pouvoirs au sein de l’assemblée, donna une grande autorité à la coalition et à nos ennemis. Membres et chefs des comités les plus importans, dont on connaît l’influence nécessaire sur les délibérations du corps législatif, surveillans des ministres qu’ils ont conservés, exerçant directement ou indirectement un grand pouvoir sur l’administration, sur la police, sur la force publique, tenant entre leurs mains tous les ressorts du gouvernement, ils semblaient maîtres à la fois de la destinée de leurs adversaires et de celle de la nation... Le roi fut arrêté ; bientôt ils proposèrent à l’assemblée de statuer sur cette grande affaire. Ce fut l’époque où commença à se développer le système de calomnie qu’ils avaient ourdi contre moi ; je vais leur répondre, par l’histoire fidèle des événements relatifs à cette importante délibération ; en la traçant, je ferai plus que de me justifier, j’éclairerai mes concitoyens sur la plus détestable conspiration qui ait encore été tramée contre l’innocence et contre le bien public.

On m’a fait un crime de l’opinion même que j’ai adoptée dans cette occasion. Ce n’est pas cette opinion qu’il s’agit de justifier, mais ma conduite et mes intentions. Je suis loin de vouloir attaquer maintenant celle qui a prévalu ; mais il m’est permis de prouver que je pouvais au moins très innocemment adopter alors celle que j’ai défendue : je puis donc observer qu’elle semblait être celle de la nation ; car je ne pouvais penser, comme M. Duport, que la gloire des représentans de la nation consistait à résister à l’opinion publique ; ni définir, comme M. Barnave, l’opinion publique : un bourdonnement excité par quelques écrivains peut-être stipendiés [10]. Et d’ailleurs, l’opinion publique à part, il était facile, d’après mes principes, de prévoir d’avance que je préférerais, à toute la politique des partisans de l’inviolabilité absolue des rois, les grands principes de la liberté, qui vengent la majesté du peuple outragé, abaissent devant la loi toutes les têtes coupables, et refusent aux rois le pouvoir de se jouer impunément du bonheur et des droits des nations.

Mais le parti était pris de décréditer et de diffamer tous ceux qui s’opposeraient au système de nos ennemis. Déjà ils avaient eu soin de répandre que nous étions les chefs d’un prétendu parti républicain. On savait bien que nous n’avions jamais combattu ni l’existence ni même l’hérédité de la royauté ; on n’était pas assez stupide pour ignorer que ces mots république, monarchie n’étaient que des termes vagues et insignifiants, propres seulement à devenir des noms de sectes et des semences de division, mais qui ne caractérisent pas une nature particulière de gouvernement ; que la république de Venise ressemble davantage au gouvernement turc qu’à celle de Rome, et que la France actuelle ressemble plus à la république des États-Unis d’Amérique, qu’à la monarchie de Frédéric ou de Louis XIV ; que tout état libre où la nation est quelque chose, est une république, et qu’une nation peut être libre avec un monarque ; qu’ainsi république et monarchie ne sont pas deux choses incompatibles ; que la question actuelle n’avait pour objet que la personne de Louis XVI ; que toutes celles qui auraient pu s’élever dans la suite, réduites à des termes clairs, ne pouvaient porter que sur le degré de puissance ou d’opulence qui serait laissé au dépositaire du pouvoir exécutif ; qu’eux-mêmes, en provoquant le décret qui suspend le roi de ses fonctions, nous avaient placés dans une situation étrangère au système de notre constitution, dans un gouvernement oligarchique, auquel ils ont sans contredit une très grande part. Mais n’importe, nous voulions que les monarques eux-mêmes fussent soumis aux lois ; nous ne voulions pas que les factions pussent régner sous le nom d’un roi faible : il fallait que nous fussions des républicains et des factieux ; il fallait mettre ces mots obscurs et ces terreurs vagues entre eux et l’opinion publique qui les intimidait. Aussi MM. Dandré et Lameth préludèrent-ils à cette grande discussion de l’affaire du roi, par des déclamations violentes qui imputaient des desseins coupables de révolte à ceux qui demandaient l’ajournement, jusqu’à ce que le rapport des comités eût été imprimé : aussi fûmes-nous maltraités sans cesse à la tribune par plusieurs de ceux qui défendirent le système de l’inviolabilité absolue ; aussi, pamphlets, affiches, libelles de toute espèce, insinuations perfides dans les clubs, dans les conversations particulières, tout fut prodigué pour étayer ce système de diffamation.

Nos adversaires m’ont fait un crime d’avoir demandé que le vœu de la nation fût consulté sur ce grand objet, comme s’il ne m’eût pas été permis de penser qu’il était des questions qui ne pouvaient être décidées que par la volonté du souverain ; et que l’on pouvait adopter, dans une conjoncture aussi critique, la même règle qu’ils avaient eux-mêmes suivie dans l’affaire des assignats, qui ne furent décrétés qu’après un examen de plusieurs mois, et un intervalle laissé pour recueillir le vœu des départemens.

Ils m’ont presque accusé de rébellion, parce qu’à la fin de cette discussion, dans un moment où la proposition de mettre en cause le frère du roi fugitif était repoussée par leurs cris, j’ai déclaré que si tous les principes étaient méconnus, je protestais que les droits de la nation restaient dans toute leur force. Ils ont feint de ne pas voir que cette prétendue protestation n’avait rien de commun avec celles qui attaquent les principes de la liberté et l’autorité du souverain, et qu’ils ont toujours cependant tolérées avec tant d’indulgence. Ils ne voulaient pas voir que ce mot n’était qu’une expression vive dont j’aurais sans doute pu m’abstenir, mais provoquée dans ce moment par la juste indignation que leur conduite même pouvait m’inspirer.

C’est dans cette séance que fut porté le décret qui déclare qu’il y a lieu à accusation contre les complices de la fuite du roi, et ne prononce rien sur Louis XVI.

Dans la même matinée, des citoyens qui s’étaient réunis au Champ de Mars, pour adresser à l’Assemblée nationale une pétition sur cette grande affaire, envoyèrent six d’entre eux pour la présenter à M. le président : ne recevant point de réponse favorable, ils écrivirent aux députés qui avaient défendu l’opinion contraire au projet des comités, à MM. Péthion, Grégoire, Prieur et moi, un billet pour nous engager à négocier leur admission à la barre. M. Thionine et moi sortîmes pour leur parler ; ils nous communiquèrent leur pétition : elle était simple, courte, elle se bornait à exprimer dans les termes les plus modérés et les plus respectueux le vœu que la nation fût consultée. Nous leur dîmes qu’elle était inutile, parce que le décret était déjà rendu en grande partie. Ils nous demandèrent une lettre pour attester à leurs commettants qu’ils avaient rempli leur commission ; nous le fîmes et nous ajoutâmes ces mots : « Quelque honorables que soient pour nous les preuves de votre confiance, nous ne pouvons nous dissimuler qu’elles semblent fournir un prétexte de nous calomnier à ceux qui voudraient nous imputer les mouvements spontanés de l’opinion publique ; c’est à vous de nous défendre contre la malveillance, par une conduite sage et digne d’un peuple éclairé. » Tout fut calme, et je n’attribue cette tranquillité qu’aux sentiments raisonnables et au zèle pur qui animaient les citoyens. Ces faits, dénaturés par nos ennemis, ont été le prétexte des plus lâches et des plus grossières impostures. Ils m’ont fait un crime personnel de la confiance même que les citoyens nous ont témoignée dans cette occasion ; ils m’imputent à crime toutes les marques d’estime et de bienveillance que j’en ai reçues plusieurs fois, soit avant soit depuis la délibération sur l’affaire du roi. Accoutumés à croire au pouvoir de l’intrigue, et non à aucun sentiment honnête et naturel, pas même à l’attachement que les hommes conçoivent pour ceux qui les aiment, à la reconnaissance des malheureux, pour ceux qui défendent constamment la cause de la justice et de l’infortune, ils ont raisonné ainsi : « Le peuple vous a mis au rang de ses plus zélés défenseurs ; les sociétés fraternelles, les clubs patriotiques vous ont décerné des couronnes civiques ; la Société des amis de la constitution vous a donné des marques d’attachement et de confiance extraordinaires, surtout depuis la fuite du roi ; des citoyens ont juré de vous défendre, si votre vie était attaquée par les ennemis de la révolution ; dans ces derniers temps, votre nom était prononcé partout où il y avait des citoyens réunis ; on parlait de nous avec beaucoup moins d’égards ; des écrivains, dont quelques-uns même sont appelés incendiaires, vous donnaient des éloges presque exclusifs ; toutes ces démonstrations de la faveur populaire ont éclaté d’une manière plus sensible encore à l’époque de la discussion de l’affaire du roi : donc vous êtes un factieux ; donc... ». Je pourrais répondre à mes adversaires qu’une grande partie de ces reproches peut s’adresser à plusieurs autres honnêtes gens, surtout à ceux dont l’opinion s’est trouvée conforme dans ces derniers temps à l’opinion générale ; qu’eux aussi ont reçu jadis des marques distinguées de la bienveillance et même de l’enthousiasme public ; j’ignore s’ils connaissent des moyens d’aider le cours de l’opinion : mais je sais bien que je n’ai ni prôneurs gagés, ni intrigues, ni parti, ni trésor.

Et après tout, n’est-il pas trop injuste de nous envier les stériles bénédictions du peuple, auxquelles tant d’autres préfèrent des avantages différens ; bénédictions qu’on n’obtient qu’en renonçant à la faveur utile des rois, et qu’on achète au prix de la haine, des calomnies, des vengeances de tous les ennemis puissants de la raison et de l’humanité ? N’est-il pas trop cruel de vouloir nous ravir jusqu’au dernier dédommagement de l’innocence opprimée, afin que nous portions tout à la fois et la honte du vice et les persécutions réservées à la vertu ?

Il y a encore une méchanceté profonde à diriger contre un homme un genre d’accusations qui le force à se justifier de choses qui lui sont avantageuses, et à irriter ainsi la haine et l’envie des malveillans : mais pourquoi ne serais-je pas aussi hardi à me justifier, que mes ennemis à me calomnier ? Je prends le ciel à témoin que les preuves de la sensibilité de mes concitoyens n’ont fait que rendre plus cruel pour moi le sentiment des maux que je voyais près de fondre sur eux. Mais sans me piquer de cette fausse modestie qui n’est souvent que l’orgueil des esclaves, je dirai encore que si c’est un crime d’être estimé du peuple, les citoyens des campagnes et le peuple des villes des quatre-vingt-trois départements sont mes complices ; j’opposerai aux absurdes calomnies de mes accusateurs, non le suffrage de ce peuple qu’ils osent mépriser, mais le suffrage très imprévu pour moi de plusieurs assemblées électorales, composées, non de citoyens passifs, mais de citoyens actifs, éligibles même, et de plus favorisés de la fortune : car le caractère de tous les vrais patriotes et de tous les honnêtes gens de toutes les conditions, c’est d’aimer le peuple, et non de haïr et d’outrager ses défenseurs. Je reprends la suite des faits relatifs à la crise où nous sommes, et je vais développer toute la trame qu’ils ont attachée à la délibération du 15 de juillet.

Le décret, par cela seul qu’il exceptait tacitement le roi de la disposition qui ordonnait le procès des complices de sa fuite, excita dans la capitale une sensation analogue à l’intérêt que les citoyens mettaient à cette affaire, et proportionnée à la franchise avec laquelle ils avaient fait éclater leurs sentiments depuis l’arrestation du roi ; mais la tranquillité publique n’en fut point troublée, si on n’attache pas cette idée à des discours plus ou moins animés et à la manifestation plus ou moins libre des opinions sur le résultat de cette importante discussion.

Le même jour, dans la séance des amis de la constitution, on traita l’objet qui occupait alors tous les esprits : c’est ici que les bons citoyens doivent la vérité à la nation, que l’intrigue a voulu tromper. Avant de développer ce qui s’est passé dans cette mémorable séance, et les faits qui fout suivie, qu’il me soit permis de dire un mot en général sur les inculpations hasardées contre la conduite de cette société. On a dénaturé par les plus viles impostures les discours que j’ai tenus dans son sein, on a osé dire que je l’avais excitée à se révolter contre les décrets de l’Assemblée nationale. Si quelqu’un a posé en principe que dans une société fondée par les députés les plus attachés à la cause de la liberté, précisément pour se préparer à combattre, dans l’Assemblée nationale, la ligue de ses ennemis déclarés, et pour déconcerter les intrigues de ses amis hypocrites, beaucoup plus dangereux encore, il n’était pas permis de rappeler quelquefois les surprises qu’ils ont faites et d’annoncer à l’avance celles qu’ils préparent à la bonne foi des représentais du peuple ; si, plein de cette idée, un tel homme a conclu que parler dans ce sens-là c’était prêcher la révolte, et qu’il ait dit de moi : « il a exhorté les citoyens à la révolte », je veux bien ne le croire coupable que de légèreté, d’ignorance et d’ineptie : mais si quelqu’un a osé soutenir qu’il m’avait entendu conseiller réellement la désobéissance aux lois, même les plus contraires à mes principes, je le déclare le plus impudent et le plus lâche de tous les calomniateurs.

J’ai quelquefois, surtout depuis la fuite du roi, je l’avoue, exprimé mes justes alarmes et celles de tous les bons citoyens sur les dangers de cette coalition puissante, que je croyais, et que j’ai cru de jour en jour plus fatale à la liberté ; je me suis même toujours exprimé en termes mesurés et décens ; je ne suis point garant de tel ou tel écrivain qui, en prétendant analyser mes discours, a pu les rendre à sa manière, et me faire dire ce qu’il voulait dire lui-même. J’ai prouvé la nécessité de renouveler, en vertu du règlement de l’assemblée, (qui n’aurait jamais dû être violé) ces comités devenus éternels par le fait, dont le système paraît être d’anéantir l’esprit public, et de tuer la constitution en détail, par des dispositions contradictoires avec tous ses principes ; enfin j’ai combattu la fausse doctrine de certains orateurs, qui aux droits imprescriptibles des hommes, et aux bases sacrées de nos lois régénératrices semblent vouloir substituer le plus funeste machiavélisme. J’ai toujours honoré le caractère des représentans de la nation ; j’ai parlé avec respect de l’assemblée en général ; j’ai rendu hommage à la pureté des intentions de la foule des fidèles mandataires du peuple ; je n’ai parlé que des individus qui veulent les maîtriser, et de choses qui intéressaient essentiellement le salut public. Si j’avais calomnié l’assemblée, et dit du bien des chefs de parti et des orateurs, je ne serais pas aujourd’hui persécuté.

Au reste, voici, en deux mots, ma profession de foi sur l’objet de cette espèce d’inculpation.

Je crois à ce principe toujours professé par la Société des amis de la constitution : qu’obéir aux lois est le devoir de tout citoyen, mais que la liberté de manifester ses opinions sur les vices ou sur la bonté de telles ou telles lois, est le droit de tout citoyen, et le devoir de tout homme qui peut éclairer ses semblables sur les plus grands intérêts de l’humanité et de la société.

Je crois que des ambitieux peuvent désirer d’imposer silence à l’opinion publique, qu’ils redoutent pour le succès de leurs funestes projets, mais que le premier vœu du législateur est le triomphe de la vérité, de la raison, de la liberté. Je crois que le législateur ne peut ni haïr, ni se venger, qu’il ne peut pas même être offensé.

Je ne crois point à ceux qui naguère déclamaient avec violence contre les décrets qui les excluaient du ministère et de la seconde législature, et qui crient à la révolte si on appelle l’attention des représentans du peuple et celle des citoyens sur les atteintes qu’ils s’efforcent de porter aux principes de la liberté et à la souveraineté nationale.

Je ne crois pas à ceux qui venaient, au sein des amis de la constitution, accuser la majorité de l’Assemblée nationale de n’avoir pas renvoyé les ministres qui ne leur convenaient pas, (MM. Champion, Guignard, la Tour-du-Pin, poursuivis par ce qu’on appelait le parti Lameth, défendus alors par le club 1789) et qui, peu de jours après, leur défendaient impérieusement de croire que le décret du marc d’argent et ceux qui violaient l’égalité des droits portassent sur un faux principe.

Je ne crois point à ceux qui, sachant que nous sommes à la veille de discuter un projet de révision qui suppose la nécessité de réformer des décrets déjà portés, nous interdisent le droit d’examiner quels sont ceux qui doivent être effacés de notre code ; à ceux qui naguère, dans le rapport des sept comités, posaient en principe que le roi était innocent d’avoir conspiré contre la constitution, sous le prétexte quelle n’était point achevée ; qu’il n’était point obligé de la maintenir avant qu’il eût pu l’examiner et l’accepter tout entière, et qui font un crime aux citoyens qui se soumettent provisoirement à tous les décrets du corps législatif, de faire des vœux pour la perfection de quelques lois, et qui interdisent à la nation elle-même, au souverain, le droit d’examiner la constitution dans son ensemble et de la ratifier tout entière.

Je ne crois point à ceux qui jadis, dans la société des amis de la constitution, nous prédisaient que leurs adversaires d’alors, maintenant leurs alliés [11], pourraient bien finir la constitution d’une manière opposée à celle dont elle avait été commencée et qui s’indignent que nous opposions la force de la raison et des principes à l’exécution de ce fatal projet.

Je ne crois point à ceux qui parlent de la tranquillité publique pour la troubler impunément, des lois pour les fouler aux pieds, de l’ordre pour le renverser, de la liberté pour la détruire, du peuple pour l’avilir et pour l’égorger.

Je ne crois point avec eux que le salut public repose sur l’empire honteux de quelques individus au moins suspects, mais sur l’union des bons citoyens contre les ennemis de la patrie, quels qu’ils soient.

Je ne crois pas que ce soit la vérité, la justice, le courage qui perdent la liberté et les nations, mais l’intrigue, la faiblesse, la sotte crédulité, la corruption, l’oubli des principes et le mépris de l’humanité.

Je reviens maintenant à la suite des événements dont j’ai promis l’histoire fidèle, à cette fameuse séance des amis de la constitution, tenue le 15 juillet, le jour même où fut rendu le décret sur les complices de la fuite du roi, et qui précéda immédiatement les scènes sanglantes du Champ-de-Mars. C’est ici que la calomnie a déployé toutes ses noirceurs pour perdre les défenseurs de la liberté, et pour préparer les catastrophes qui ont suivi ; c’est ici que la vérité toute nue doit épouvanter les factieux et les calomniateurs.

C’est ce jour-là que fut projetée la pétition qui a fait tant de bruit dans la capitale et dans toute la France. Que portait-elle ? Que l’Assemblée nationale serait priée de ne point réintégrer Louis XVI dans les fonctions de la royauté. Elle supposait aussi le principe que la volonté de la nation devait être consultée sur cette question ; et elle annonçait que les individus qui voudraient l’adopter, régleraient leur conduite à cet égard sur celle de la majorité des Français : il fut arrêté qu’elle serait rendue publique, et envoyée aux sociétés affiliées, pour être signée par les citoyens qui croiraient devoir y adhérer. Qui proposa cette motion ? Est-ce moi, à qui on l’a imputée ? Ce fut un homme [12] dont on sait qu’en général, je ne partage pas les opinions. Qui la combattit ? Moi. Ce n’est pas, je l’avoue, que je la regardasse comme criminelle. Une seule observation suffirait pour la justifier, même dans le système de ceux qui pensent que la nation ne devait pas être consultée sur ce point ; c’est que le décret du matin n’avait rien statué sur la réintégration de Louis XVI, dans les fonctions royales, et qu’ainsi cette question était absolument abandonnée à la liberté des opinions. Ce fait est si vrai que ce ne fut que le lendemain que l’assemblée porta une décision relative à cet objet, en statuant que le roi demeurerait suspendu de ses fonctions, jusqu’à ce que la charte constitutionnelle lui eût été présentée ; et il est à remarquer que dès qu’on en fut instruit, les membres de la société se hâtèrent de retirer leur pétition. Mais je la combattis au moment où elle fut proposée, parce que je ne sais quel funeste pressentiment et des indices trop certains m’avertissaient que les ennemis de la liberté cherchaient depuis longtemps l’occasion de persécuter la société, et d’exécuter quelque sinistre projet contre les citoyens rassemblés.

On va voir si ces alarmes étaient fondées. Le lendemain matin, les citoyens qui voulurent adopter la pétition, s’assemblent, paisiblement et sans armes, au champ de la fédération, pour la signer sur l’autel de la patrie, après avoir averti la municipalité de l’objet de leur réunion, dans la forme prescrite par les décrets : tout se passa dans le plus grand ordre. Remarquez que ce fut dans cette matinée que des commissaires retirèrent la pétition de la part des membres de la Société des amis de la constitution, qui l’avaient projetée.

Les citoyens, qui persistèrent dans le projet d’exprimer leur vœu sur ce point à l’Assemblée nationale, revinrent le lendemain dimanche à l’autel de la patrie, pour s’occuper de cet objet. Ici il faut d’abord éclaircir un fait qui n’a rien de commun, ni avec les pétitions, ni avec les pétitionnaires, encore moins avec la Société des amis de la constitution, mais dont les ennemis de la liberté se sont prévalus pour la diffamer, et dont ils ont voulu répandre la teinte sur tout ce qui s’est passé dans le cours de cette journée à jamais déplorable. Il faut observer que l’heure convenue la veille entre les citoyens qui devaient se rassembler pour la pétition, était midi.

Vers sept heures du matin, deux hommes furent découverts par hasard sous l’autel de la patrie, avec des provisions ; ils avaient percé un grand nombre de trous aux gradins. Cette nouvelle est portée au Gros-Caillou. Le bruit se répand dans ce lieu que les deux hommes avaient été apostés pour faire sauter l’autel de la patrie. On les conduit au comité de la section du Gros-Caillou : mais là, quelques hommes s’en emparent, et ils perdent la vie. Les plus ardents amis de la liberté sont ceux qui ont détesté le plus sincèrement cette violence criminelle ; elle leur a paru d’autant plus odieuse que des circonstances extraordinaires faisaient naître dans leur esprit de sinistres soupçons sur la nature des causes qui avaient fait mouvoir le bras des meurtriers qui avaient soustrait les deux victimes aux recherches des lois : mais ils n’en ont senti que plus vivement combien il était injuste d’abuser de ce délit qui ne pouvait être imputé qu’à des ennemis de la liberté, pour déclarer la guerre aux patriotes et au peuple qui le voyaient avec horreur. Ils ont gémi de ce qu’on cherchait à en dénaturer les causes et les circonstances, à publier, par exemple, contre la notoriété publique, que ces deux hommes avaient été immolés pour avoir dit qu’il fallait se conformer à la loi, et cela dans la vue de fixer d’odieux soupçons sur les amis de la constitution et de l’ordre, qu’on voulait présenter comme des séditieux, dans la vue d’identifier ce délit avec ce qui s’est passé dans la même journée. Ils ont dit avec raison que puisque les coupables pouvaient être punis suivant les formes juridiques, le moyen de satisfaire aux lois et à la justice était d’instruire leur procès, et non de faire tuer, plusieurs heures après, dans un autre lieu, les premiers venus, d’autres citoyens innocents occupés à délibérer sur une pétition. Ils ont été étonnés de ce que le même sentiment cT humanité qui portait à s’attendrir sur le sort des deux individus trouvés sous l’autel de la patrie, n’eût point prévenu des scènes bien plus funestes encore.

Ce fait éclairci, le reste ne peut plus être ni obscur, ni incertain. Vers midi, à F heure convenue, les citoyens qui devaient s’assembler pour signer la pétition arrivaient successivement au Champ-de-Mars ; vers deux ou trois heures des officiers municipaux vinrent au même lieu : ils ne trouvent que des citoyens paisibles, discutant et signant la pétition sur l’autel de la patrie. Ils virent que rien ne pouvait provoquer l’usage de la force militaire ; et un détachement de gardes nationales et des canons qui avaient été amenés le matin à l’occasion de ce qui était arrivé au Gros-Caillou furent retirés. Le calme le plus profond continuait de régner, lorsque vers six à sept heures du soir, arrivent des détachements de la garde nationale, avec un train d’artillerie, suivis du maire et du drapeau rouge... Le sang des citoyens a coulé.…

Je ne veux point m’appesantir sur les détails de cette cruelle soirée. Je ne veux faire ici le procès à personne. J’aime mieux n’accuser que la malheureuse destinée de ma patrie ; donnons des larmes aux citoyens qui ont péri, donnons des larmes aux citoyens mêmes qui, de bonne foi, ont pu être les instruments de leur mort. Cherchons du moins un sujet de consolation, dans un si grand désastre. Espérons qu instruits par ce funeste exemple, les citoyens armés ou non armés se hâteront de se jurer une paix fraternelle, une concorde inaltérable sur les tombeaux qui viennent de s’ouvrir. C’est principalement dans cette vue que je veux citer quelques faits constants et décisifs, qui prouvent la nécessité de cette prompte réunion, en même temps qu’ils répandent une vive lumière sur ce terrible mystère. D’un côté, on est convaincu que dans un endroit du Champ de Mars des individus qu’on ne connaît pas jetèrent des pierres à des gardes nationales ; de l’autre, il est constant que l’on tira sur des citoyens avant que les formalités de la loi martiale eussent été remplies.

Le premier de ces deux faits peut seul expliquer le second, où il faudrait fuir la société des hommes. Il paraît aussi certain que dans cette action un homme dirigea contre le commandant de la garde nationale un coup de pistolet qui ne partit point ; et le commandant, dit-on, lui accorda sa grâce. Nous n’avons pas à rechercher la cause de cet incident très remarquable, qui était propre à prévenir et à irriter les gardes nationales attachées au chef contre les citoyens assemblés. Ce qui est certain, ce qu’il est infiniment essentiel d’observer, c’est que depuis longtemps on voit se développer un projet funeste d’animer les citoyens armés contre les citoyens sans armes, et ceux-ci contre les autres ; c’est que tout récemment encore, dans le même lieu, le jour de la fête de la fédération, des pierres avaient été jetées par quelques hommes à des gardes nationales, qui vengèrent sur le champ cette insulte dans le sang des agresseurs ; c’est que d’une part, des arrestations arbitraires faites par des individus revêtus de l’habit de garde nationale, de l’autre quelques voies de fait provoquées par des suggestions coupables ou par le ressentiment et la défiance, étaient autant de germes de divisions semés et fomentés par des mains ennemies, pour produire bientôt quelque scène sanglante. On assure même que depuis la fatale journée des gardes nationaux ont été attaqués, les uns par des citoyens dont les proches ont péri au champ de la fédération, les autres par les émissaires des ennemis de la révolution... Ô citoyens ! qui que vous soyiez, hâtez-vous d’ensevelir dans l’oubli vos injures mutuelles ; apprenez à démêler les artifices de vos tyrans qui vous trompent et vous divisent, pour vous opprimer les uns par les autres ! Puisse une réunion à jamais durable consoler la patrie et l’humanité consternées par la perte de tant de Français, de ces femmes de ces enfants qui ont péri sous les coups de leurs malheureux frères ! Puisse-t-elle venger ce peuple généreux dont le sang a rougi ces mêmes lieux où un an auparavant il présentait le spectacle du patriotisme le plus pur et de l’union la plus touchante !

Au reste, si vous voulez connaître quel est l’esprit qui a préparé ces tristes événements, il suffit de considérer les suites qu’ils ont entraînées. Qu’avons-nous vu depuis cette époque ?

La liberté de la presse violée, la liberté individuelle attaquée par des attentats continuels ; les hommes que le despotisme eût emprisonnés, ceux qui étaient suspects d’avoir montré le plus d’énergie et de patriotisme, arrêtés, insultés, persécutés ; les ennemis de la révolution levant une tête altière, les sociétés patriotiques, celle des amis de la constitution menacées d’une prochaine dissolution. Je m’arrête sur cet objet important.

Il fallait assouvir à la fois la haine, la vengeance, l’envie, en accablant une société dont on avait perdu la confiance ; il fallait surtout faciliter l’exécution du projet formé d’élever un système aristocratique-ministériel sur les ruines de notre constitution naissante, en renversant les derniers asiles de la liberté, où les principes étaient défendus, et le charlatanisme, la trahison même quelquefois dévoilés. Quels moyens emploie-t-on pour remplir cet objet ? On cherche à persuader que c’est aux amis de la constitution et aux députés patriotes, dont la voix s’était fait entendre dans les derniers temps, qu’il faut attribuer l’agitation des esprits, le rassemblement des citoyens au Champ-de-Mars, et le massacre dont il a été le prétexte ; on pousse l’impudence jusqu’à faire imprimer et distribuer de fausses pétitions sous le nom de ceux que l’on veut perdre : c’est ainsi que l’on répand, sous le nom des citoyens qui s’étaient assemblés la veille du décret du 15 juillet, une pétition pleine d’expressions aussi extravagantes qu’injurieuses à l’Assemblée nationale, à la place de l’adresse sage et modérée dont j’ai déjà parlé ; on répand en même temps avec profusion une prétendue réponse du président de l’Assemblée nationale, dont l’objet est de décrier les patriotes de la capitale dans l’opinion du reste de la France, et d’intimider Paris par la crainte de la scission des départements, quoique le président n’ait point l’ait de réponse, quoique les députés auxquels on le faisait répondre n’aient pas même été admis ; et, ce qu’il y a de bien remarquable, c’est que cette fausse réponse a été imprimée dans les observations du Postillon par Calais, dont le rédacteur, en qualité de membre de l’Assemblée nationale [13], savait mieux que personne qu’elle n’existait pas. On fait circuler de fausses versions de la pétition qui le lendemain avait été projetée dans la salle des amis de la constitution ; on me prête en particulier des discours insensés ; j’entends partout publier sous mon nom des rapsodies imbéciles sur la fuite du roi* : qui pourrait compter la multitude des libelles publiés, affichés contre les défenseurs de la cause publique, payés peut-être par ceux qui désignent les écrivains patriotes par le nom de journalistes stipendiés ? et avec quel or ? Que serait-ce si c’était avec la substance du peuple ? Qui pourrait imaginer tous les propos infâmes, tous les récits infidèles répétant sans cesse dans les cafés, dans tous les lieux publics, par la légion innombrable des mouchards ressuscites de l’ancienne police, par une armée d’émissaires et de calomniateurs, répandus au même instant, avec la rapidité de l’éclair, dans la capitale et dans les quatre-vingt-trois départements ? Qui pourrait songer sans frémir aux moyens atroces prodigués pour animer les gardes nationales contre les députés les plus connus par leur zèle pour les droits du peuple, et pour les présenter au peuple même comme les auteurs de ses maux et de la dernière catastrophe ? Comment la réputation d’un citoyen isolé pourrait-elle résister aux attaques combinées de tant d’ennemis et de factieux ? Comment la vérité aurait-elle pu percer lorsqu’on ne pouvait raconter ce qui s’était passé, ce qu’on avait vu, lorsqu’on ne pouvait dire un mot contraire aux intentions ou aux intérêts des hommes dominants, sans être maltraité, emprisonné ; lorsque les plus zélés patriotes étaient voués à la proscription ? C’est ainsi qu’en un instant on étourdit, on égare l’opinion sur les événements les plus certains et les plus importants ; c’est ainsi que l’intrigue se joue de la vérité, de la raison et des destinées d’une grande nation. Heureux, et mille fois heureux le citoyen paisible, qui, loin du théâtre où rugissent toutes les factions, n’a pas été le témoin de leurs crimes, et peut à peine les soupçonner !

Grâces à toutes ces manœuvres, la société des amis de la constitution paraît tout à coup couverte d une défaveur presque générale ; les ambitieux, qui dès longtemps voulaient la dissoudre, choisissent ce moment pour exécuter leur projet, ils entreprennent d’élever sur ses ruines une société ennemie, et d’y attacher toutes ses sociétés affiliées, pour pouvoir ainsi diriger l’opinion publique, dans toute la France, vers le but où ils tendent, ou du moins pour éteindre l’esprit public et semer de fatales divisions. Ainsi ceux qui avaient longtemps fréquenté cette société célèbre, pour la dominer, ceux qui après l’avoir combattue, sous le titre de club de 1789, s’étaient réunis à elle, le jour même de la fuite du roi, comme s’ils étaient venus chercher dans son sein un certificat de patriotisme, dans un moment où de redoutables soupçons semblaient se réveiller, tous ces partis désormais coalisés affectent de s’en séparer avec éclat, se retirent aux Feuillants, entraînent après eux plusieurs députés dont la probité n’est point douteuse, trompés par leurs artifices et par leurs calomnies ; ils envoient au même instant, par des courriers extraordinaires, aux sociétés affiliées, des adresses où la société des Jacobins, où tous ceux qui dans l’affaire du roi avaient combattu leur système, sont peints comme des factieux ; ils les invitent à s’attacher à leur nouveau club, comme à la seule Société des anus de la constitution.

La société séante aux Jacobins, sacrifiant à l’amour de la paix non seulement ses injures, mais même son éloignement pour les principes des chefs de la scission, fait faire deux fois au club des Feuillants [14] l’invitation la plus pressante de se réunir à elle ; deux fois elle est repoussée avec dédain ; et on lui signifie une délibération définitive, portant qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’objet de sa demande. Il n’est pas de moyen méprisable qui n’ait été employé pour l’avilir ; il suffit de citer un seul trait : celui-là même qui avait proposé la motion qui était le prétexte de toutes les calomnies (M. Laclos) lui signifia qu’il se séparait d’elle.

Quelle ample matière ce procédé n’offre-t-il pas aux réflexions ! Pour moi, qui m’étais défié de la pétition, j’ai cru, comme plusieurs de mes collègues, que je devais défendre contre l’injustice de ses ennemis une société utile et animée par l’amour du bien public ; nous avons cru que le temps de la persécution était celui où nous devions lui rester plus fermement attachés. Nous ne doutons pas même que bientôt la vérité ne ramène dans son sein les honnêtes gens que l’erreur et l’intrigue en ont éloignés. Déjà, au moment où j’écris, ce présage a été réalisé en partie ; nous savons que plusieurs députés patriotes ne sont restés au club des Feuillants que pour balancer la dangereuse influence des chefs de factions.

Cependant, tandis que ce plan de proscription s’exécutait au-dehors contre les plus zélés partisans de la liberté, nos ennemis déployaient toute leur influence, au sein même de l’Assemblée nationale, pour le soutenir, et pour confirmer tous les odieux soupçons qu’ils s’efforçaient de répandre sur notre conduite.

Dès le lendemain de la fatale journée, ils proposent avec éclat de mander à la barre le département, la municipalité, les accusateurs publics, pour leur enjoindre de déployer toute leur autorité contre les factieux dont on prétendait que nous étions les chefs ; on ne cesse dès ce moment de sonner l’alarme, de présager de nouvelles émeutes ; on va jusqu’à désigner le jour où elles doivent avoir lieu ; 011 ne cesse d’étaler l’appareil menaçant de la force militaire ; rien n’est oublié pour éterniser la défiance, pour rendre le peuple suspect et redoutable aux yeux de ses propres représentons. Le drapeau rouge reste encore déployé au moment où j’écris, après quinze jours de calme* [15] ; on parle sans cesse de brigands, d’étrangers qui fomentent nos troubles ; et il est à observer que tous les pamphlets répandus contre nous semblaient particulièrement destinés à nous peindre connue les chefs d’un parti soudoyé par la Prusse et l’Angleterre. Oui, citoyens, ceux qui ont dédaigné l’or des despotes de leur pays, ceux qui n’ont pas voulu puiser dans cette source immense de richesses ouverte par notre système financier à la cupidité de tant de vampires publics, ceux que l’on veut perdre, parce qu’on ne peut les acheter, sont soudoyés par le despote de la Prusse et par les aristocrates Anglais, pour défendre, depuis l’origine de la révolution, aux dépens de leur repos et au péril de leurs vies, les principes éternels de la justice et de l’humanité, pour lesquels ils combattaient avant la révolution même, et qui font aujourd’hui la terreur de tous les despotes et de tous les aristocrates du monde !

Est-ce dans cet esprit que, le lendemain de la journée du Champ de Mars, M. Barnave faisait intervenir toute la puissance de l’Assemblée nationale pour animer l’activité des tribunaux contre ceux qu’il regardait comme coupables de ce qu’il appelait la sédition ?

Est-ce dans cet esprit que, dans la même séance, M. Lameth, alors président, fit lire une adresse dirigée contre moi par le directoire de Melun, et par la municipalité de Brie-Comte-Robert, que j’avais dénoncés comme coupables de grandes vexations, à la prière des patriotes persécutés de cette contrée ? Sont-ce les lieux communs sur les factieux, sur l’anarchie, rédigés évidemment dans l’esprit du jour, qui valurent à cette adresse la faveur d’être lue, lorsque tant de pétitions intéressantes sur l’affaire du roi, sur le décret du marc d’argent, sur le droit de pétition, sur la liberté de la presse, sur l’organisation des gardes nationales, sur la nécessité de mettre l’empire en meilleur état de défense, sont demeurées ensevelies dans un éternel silence ?

Est-ce dans le même esprit qu’ont été recueillies si promptement, et applaudies avec tant de transport toutes ces adresses de directoires, qui, en vantant les principes des sept comités sur l’affaire du roi, ne manquent pas d’insulter ceux qui ont soutenu l’opinion contraire, par les termes banaux de républicanisme et de factions, répétés avec tant de fidélité que nos adversaires eux-mêmes n’auraient pas pu mieux les rédiger. Certes ! nous sommes bien éloignés de désirer que la France se divise sur cette grande question ; nous nous soumettons sincèrement comme membres de l’Assemblée et connue individus à ce quelle a statué, à ce qu’elle pourra statuer encore à cet égard : mais nous ne pouvons reconnaître aux directoires le droit de tenir la balance entre les représentans de la nation ; le respect dû aux principes et aux droits du peuple nous force à observer ici que la constitution, resserrant leur autorité dans la sphère des fonctions administratives, ne les a pas institués les organes de la volonté générale ; que le patriotisme, que la raison, que le vœu, que l’intérêt d’un grand peuple ne peut être représenté par celui de quelques membres composant tels ou tels directoires, que la constitution même des corps administratifs soumet jusqu’à présent à l’autorité immédiate et presque absolue du ministère [16]. Enfin nous avertissons la nation que dès le moment où les directoires se seront substitués aux assemblées primaires la constitution sera détruite et la liberté perdue.

Au reste quelle idée nos adversaires ont-ils donnée de leurs principes, lorsqu’au milieu des applaudissements immodérés qu’ils prodiguaient à ces écrits, l’un d’eux s’écria ironiquement, avec autant de délicatesse que de dignité : Eh ! Messieurs, n’accablons pas les vaincus [17] ! lorsque peu de temps après un autre membre sembla se prévaloir des circonstances pour proposer un projet de décret destructif de la liberté de la presse ; lorsque M. Péthion, digne sans doute par l’immuable constance de son attachement aux principes, d’être rangé parmi les factieux, prenant la parole pour le combattre, fut accueilli, par des murmures dont son courage et sa vertu triomphèrent. Aurais-je aussi perdu le droit de donner mon suffrage, que je tiens de l’autorité souveraine de la nation, par la raison que je ne veux pas le prostituer à l’intrigue ? Pourquoi donc fus-je arrêté par des cris qui demandaient la fin d’une discussion importante à peine commencée, lorsque je parus à la tribune, pour repousser un décret proposé par les comités de constitution et de judicature ? et quel décret ! Celui qui allait créer un tribunal prévôtal, une odieuse commission pour expédier en dernier ressort tous ceux qui seraient impliqués dans les derniers événements. Ce décret fut repoussé par l’énergie de quelques bons citoyens, et par la sagesse de l’Assemblée [18] : mais quelle lumière la proposition qui en fut faite ne répand-elle pas sur les desseins des factieux ? À quoi tint-il qu’ils ne l’emportassent la veille par leurs clameurs, lorsque l’ajournement au lendemain leur fut arraché par la courageuse résistance de quelques orateurs patriotes ?

Quel pouvait être leur but, si ce n’est de faire juger cette affaire selon leurs vues, avant que le temps eût pu dissiper les nuages dont l’intrigue l’avait enveloppée, si ce n’est de frapper à la hâte les victimes désignées, avant que l’innocence eût pu démasquer la calomnie ? Eh ! quelles étaient ces victimes ? Ne serait-ce pas quelques patriotes ardents accusés d’exagération, des écrivains redoutables par leur énergie, en qui on déteste peut-être plus ce qu’il y a d’utile que ce qu’il peut y avoir d’excessif, contre lesquels sont dirigées toutes les déclamations qu’on épargne aux défenseurs de la tyrannie ? Que serait-ce si la rage des factions avait été jusqu’à concevoir l’idée de quelque crime judiciaire contre les membres de l’Assemblée nationale, dont elles abhorrent le courage inflexible ? Que dis-je ! ne fut-il pas un moment où l’on crut à quelque trame secrète de cette nature, où, dans certains comités ténébreux, certains chefs de parti, au fort de leur triomphe, osaient dire qu’il faudrait peut-être me faire le procès ? N’a t-on pas assuré que j’ai été l’objet d’une dénonciation ensevelie dans les ténèbres du comité des recherches ? Serait-il vrai qu’on aurait eu la pensée de me présenter une occasion solennelle de mettre au jour tant de mystères d’iniquité ? Serait-il vrai qu’il y eût entre le mois de juillet 1789 et le moment où j’écris un intervalle si immense, que les ennemis de la nation eussent pu se livrer à l’espoir de traiter ses défenseurs en criminels ? Eh ! pourquoi ces derniers n’auraient-ils pas mérité de boire la ciguë ? Nous manquerait-il des Critias et des Anytos ? Le philosophe athénien avait-il plus que nous offensé les grands, les pontifes, les sophistes, tous les charlatans politiques ? N’avons-nous pas aussi mal parlé des faux dieux, et cherché à introduire dans Athènes le culte de la vertu, de la justice et de l’égalité ? Ce n’est point de conspirer contre la patrie, qui est un crime aujourd’hui, c’est de la chérir avec trop d’ardeur ; et puisque ceux qui ont tramé sa ruine, ceux qui ont porté les armes contre elle, puisqu’enfin tous ceux qui ont constamment juré fidélité à la tyrannie contre la nation et contre l’humanité, sont traités favorablement, il faut bien que les vrais coupables soient ceux qui ont défendu constamment l’autorité souveraine de la nation et les droits inaliénables de l’humanité. Avec de l’or, des libelles, des intrigues et des baïonnettes, que ne peut-on pas entreprendre ! toutes ces armes sont entre les mains de nos ennemis ; et nous, hommes simples, faibles, isolés, nous n’avons pour nous que la justice de notre cause, notre courage, et le vœu des honnêtes gens. Ô ma patrie ! j’atteste le ciel que ce n’est point là le soin qui m’occupe ! si je pouvais du moins rendre les derniers jours de ma mission utiles à ton bonheur et à ta gloire ! Mais, quelle espèce de service m’est il permis de te rendre encore ? Réclamerai-je les principes de la justice et les droits du peuple, quand nos ennemis me défendent de prononcer son nom, sous peine de fournir une nouvelle preuve que je suis un factieux ? Dévoilerai-je les dangers qui menacent la liberté, ils m’accuseront d’ébranler les bases de la constitution, et de jeter l’alarme dans les esprits ? Si je me tais, je trahis mon devoir et ma patrie : si je parle, j’appelle sur moi toutes les calomnies et toutes les fureurs des factions. N’importe ; ô mes concitoyens ! il me reste encore ce dernier sacrifice à vous faire ; et, convaincu comme je le suis que ce qui nous perd c’est l’ignorance et la fausse sécurité que l’intrigue et le charlatanisme ne cessent d’entretenir au milieu de nous, je finirai cet écrit, en développant les véritables causes de nos maux.

La cause de nos maux n’est point dans les vaines menaces de cette poignée d’aristocrates déclarés, trop faible pour lutter contre la force de la nation, qui méprise depuis longtemps leurs préjugés et leurs prétentions.

Elle est, dans la politique artificieuse de ces aristocrates déguisés sous le masque du patriotisme, liés secrètement avec les autres pour surprendre sa confiance et pour l’immoler à leur ambition.

La cause de nos maux n’est pas dans les réclamations des citoyens zélés contre les abus d’autorité de tels ou tels fonctionnaires publics.

Elle est dans la cupidité ou dans l’incivisme de ces fonctionnaires publics, qui veulent étouffer la voix de la vérité, pour opprimer ou pour trahir impunément les citoyens qui les ont choisis.

La cause de nos maux n’est pas dans l’énergie des bons citoyens, dans le civisme des sociétés populaires, ni même dans la fougue de tel ou tel écrivain patriote.

Elle est dans les entraves mises à la liberté de la presse, qui n’est illimitée que pour les défenseurs de la tyrannie, pour les calomniateurs de la liberté et de la nation.

Elle est dans les tracasseries suscitées depuis longtemps à ceux qui ont signalé leur courage dans la révolution ; dans la faveur constante accordée par le gouvernement aux citoyens équivoques, aux hommes puissants de l’ancien régime, qui contraste scandaleusement avec le délaissement, avec le déni de justice qu’ont éprouvé les citoyens sans crédit et sans fortune.

Elle est dans ces clubs anti-populaires ; elle est dans ce système machiavélique, inventé pour étouffer l’esprit public dans sa naissance, pour nous ramener, par une pente insensible, sous le joug des préjugés et des habitudes serviles dont nous n’étions pas encore entièrement affranchis ; elle est dans cet art funeste d’éluder tous les principes par des exceptions, de violer les droits des hommes par un raffinement de sagesse, d’anéantir la liberté par amour de l’ordre, de rallier contre elle l’orgueil des riches, la pusillanimité des esprits faibles et ignorants, l’égoïsme de ceux qui préfèrent leur vil intérêt et leurs lâches plaisirs au bonheur des hommes libres et vertueux, et qui regardent les moindres agitations inséparables de toute révolution, comme la destruction de la société, comme le bouleversement de l’univers.

La cause de nos maux n’est pas dans les complots des brigands dont on ne cesse de nous faire peur, et qui ne se montrent nulle part. Il serait trop dérisoire de prétendre que des troupes de brigands pourraient lutter et contre la masse des citoyens qui ne sont point un ramas de brigands, mais qui en sont les ennemis par intérêt et par principes, et contre les armées de gardes nationales qui couvrent la surface de l’empire.

Elle est, dans ce plan formé, et suivi avec une funeste obstination, de trouver dans ces vaines alarmes, un prétexte de rendre toujours la classe laborieuse appelée peuple suspecte aux autres citoyens, parce qu’il est le véritable appui de la liberté ; elle est dans les semences de division et de défiance que l’on jette entre les différentes classes de citoyens, pour les opprimer toutes. Elle est, si l’on veut, en partie, dans les brigands de la cour, qui abusent de leur puissance pour nous opprimer, dans cette illustre populace qui ose flétrir le peuple de ce nom, les seuls à qui l’on ne fasse pas une guerre sérieuse, et dont tous les attentats restent impunis. Je crois bien aussi à des brigands, à des étrangers conspirateurs, mais je suis aussi convaincu que ce sont nos ennemis intérieurs qui les secondent et qui les mettent en action. Je crois que le véritable secret de leur atroce politique est de semer eux-mêmes les troubles, et de nous susciter des dangers, en même temps qu’ils les imputent aux bons citoyens, et s’en font un prétexte pour calomnier et pour asservir le peuple.

La cause de nos maux n’est pas dans la perfidie et dans les complots de la cour ; elle est dans la stupide sécurité par laquelle nous les avons nous-mêmes favorisés, en lui fournissant sans cesse de nouveaux trésors et de nouvelles forces contre nous.

La cause de nos maux n’est pas dans les mouvements des puissances étrangères qui nous menacent ; elle est dans leur concert avec nos ennemis intérieurs ; elle est dans cette bizarre situation qui remet notre défense et notre destinée dans les mains de ceux qui les arment contre nous ; elle est dans la ligue de tous les factieux, réunis aujourd’hui pour nous donner la guerre ou la paix, pour graduer nos alarmes ou nos calamités, selon les intérêts de leur ambition, pour nous amener, par la terreur, à une transaction honteuse avec l’aristocratie et le despotisme, dont le résultat sera une espèce de contribution favorable à tous les intérêts, excepté à l’intérêt général, et dont le prix sera la perte des meilleurs citoyens. Elle est encore dans l’occasion que leur fournissent ces menaces de guerre, de nous placer dans cette alternative, ou de négliger la défense de l’état, ou de compromettre la constitution et la liberté, en levant des armées formidables, en réduisant la force active des gardes nationales à des corps d’armée particuliers, qui peuvent devenir un jour redoutables à l’une et à l’autre.

La cause de nos maux n’est pas non plus dans la grandeur des charges de l’état, ni dans la difficulté de percevoir les impôts, dont on a toujours cherché à nous effrayer, malgré le zèle des citoyens pour les payer.

Elle est dans la déprédation effrayante de nos finances ; elle est dans la licence effrénée de l’agiotage le plus impudent, qui a fait naître la détresse publique du sein même de notre nouvelle richesse nationale ; elle est dans la facilité donnée à la cour et aux ennemis de notre liberté d’engloutir tout notre numéraire, de piller à loisir le trésor public, dont ils ne rendent aucun compte, et de prodiguer le sang du peuple, pour lui acheter des ennemis, des calamités, des trahisons et des chaînes.

Enfin la cause de nos maux est dans la combinaison formidable de tous les moyens de force, de séduction, d’influence, de conspiration contre la liberté ; elle est dans les artifices inépuisables, elle est dans la perfide et ténébreuse politique de ses innombrables ennemis ; elle est plus encore dans notre déplorable frivolité, dans notre profonde incurie, dans notre stupide confiance.

Est-il un remède à tant de maux ? Pour moi, je crois que dans les grandes crises de cette nature, il n’y a que les grandes vertus qui puissent sauver les nations, et je ne suis pas du nombre de ceux qui jugeant la nation par eux-mêmes ou par leurs pareils, pensent qu’elles sont étrangères à la France. Il suffit de ne point les écarter. Notre destinée et celle du monde entier est attachée, en grande partie, au choix des nouveaux représentants de la nation. Si l’activité des cabales, si l’influence de la cour et des factions, remportent dans les élections sur l’intérêt public ; si les intrigants et les ambitieux, si les citoyens faibles ou égoïstes sont élus sous le titre d’hommes sages et modérés, si les citoyens vertueux et zélés pour les droits du peuple et pour le bonheur public, sont éloignés par les calomnies dont les plus lâches et les plus corrompus des hommes cherchent à flétrir le courage et le dévouement à la patrie ; vous verrez une législature faible ou perverse se liguer avec nos anciens tyrans, pour rétablir sous des formes nouvelles le pouvoir du despotisme et de l’aristocratie. Si de nouveaux incidents que les ambitieux pourraient faire naître reculaient encore l’époque de la formation de la nouvelle assemblée représentative, il serait impossible de calculer les suites de cet événement ; mais qu’elle arrive avec des sentiments et des principes dignes de sa mission ; qu’elle renferme dans son sein seulement dix hommes d’un grand caractère, qui sentent tout ce que leur destinée a d’heureux et de sublime, fermement déterminés à sauver la liberté, ou à périr avec elle, et la liberté est sauvée. [19]

Robespierre, Juillet 1791


[1Publié à Paris, chez Paquet, 29 rue Jacob, 1791. Nous publions ici l’exemplaire des Archives départementales du Pas-de-Calais, coll. Barbier BI 711. Les notes en chiffres arabes sont de Robespierre. Ce texte a été réédité par Les Amis de Robespierre, Arras, 2000. Voir aussi BN, Lb 39/5224.

[2On trouvera dans la Correspondance de Robespierre publiée dans Œuvres, t. III, vol. 1, XCII, p. 119, une lettre de félicitation de la municipalité de Toulon et, vol. 1, XCIII et XCV p. 120, un échange de lettres entre Robespierre et la Municipalité de Marseille à ce même sujet, ainsi que, vol. 2, p. 22, une lettre de la Société des Amis de la Constitution de Toulouse datée du 7 septembre 1791, le félicitant de son Adresse aux Français. Ajoutons que des extraits de cette adresse ont été publiés dans Le Patriote Français, n° 736, 15 août 1791, pp. 188-9.

[3Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution

[4Florence Gauthier, Maître de Conférences à l’Université Paris VII Denis Diderot..

[5Le projet du Comité de constitution sur l’organisation du ministère.

[6Le projet du Comité de constitution sur la police correctionnelle. On trouvera les interventions de Robespierre à l’Assemblée dans Œuvres, t. VII : contre les arrestations arbitraires, 23-24 juin 1791, 6e intervention p. 532,7e intervention, p. 534 et 5 juillet 1791, p. 539 ; en faveur de la liberté de la presse, 1er juin 1791, p. 459, 7 juillet, p. 543 ; en faveur du droit de pétition le 9 mai 1791, p. 312. Nde.

[7Qui n’a point entendu parler des querelles de ce qu’on appelait le parti Lameth-Barnave-Duport, avec ce qu’on nommait le parti la Fayette-Dandré-Chapelier-Desmeuniers, avec tout le club 1789 etc. ? Que l’on se rappelle la fameuse séance des jacobins du 28 février, où MM. Duport et Alexandre Lameth dénoncèrent MM. Dandré, Chapelier, Beaumez, du Quesnoi, Mirabeau, et le comité de constitution, comme les plus dangereux ennemis de la liberté ; qu’on lise dans le Moniteur les lettres écrites dans le même temps par MM. Beaumez, Dandré, du Quesnoi, Chapelier. Avec quel mépris ils parlent de leurs adversaires ! Qu’on lise aussi, entre autres, deux journaux destinés à propager la doctrine du club 1789 et à préconiser ses héros ; L’ami des patriotes, par M. du Quesnoi représentant de la nation française, et Les observations du Postillon, par Calais, par M. Regnault de St. Jean d’Angély, représentant de la même nation. Que l’on examine les faits graves qu’ils reprochent à ce qu’on appelle le parti Lameth, et en même temps qu’ils vantent notre droiture, (nous dont ils adoptaient bien moins encore les opinions), et la mettent en opposition avec le charlatanisme et les intrigues coupables qu’ils imputent à leurs adversaires. Mais lisez quelques temps après ces mêmes journalistes, et tous les libellistes attachés à ce parti : voyez les Lameth. Duport, Barnave, métamorphosés tout-à-coup, par ces braves folliculaires, en héros de la patrie, et moi en factieux, en ennemi de la liberté, en homme profondément pervers, en monstre, ainsi que tous les députés qui ont persévéré à défendre les droits du peuple et les principes de la constitution ; et jugez.

[8Il faut lire son discours imprimé sur la réélection. Robespierre proposa l’exclusion des députés actuels de la législature suivante le 16 mai 1791, Œuvres, t. VII, p. 383, puis le 18 mai, p. 403. Le 7 avril précédent, il avait proposé que les députés sortants ne puissent être nommés dans un ministère durant quatre ans après la fin de la session, p. 201. Il intervint sur le problème colonial les 12, 13 et 15 mai 1791, p. 336, 361, 368. Nde.

[9Je ne présume pas que ce soit dans le projet de révision que l’on fasse cette tentative ;mais lorsque l’acte constitutionnel sera présenté au roi, plusieurs bons citoyens semblent appréhender que l’on n’entame avec la cour des négociations bien dangereuses.

[10Voyez leurs discours imprimés sur l’affaire du roi

[11MM. Lameth, Duport... dans la séance des jacobins du 28 février.

[12M. Laclos.

[13M. Regnaut. On trouvera un de ces faux dans Œuvres, t. VII, p. 571. Le 16 juillet, Robespierre avait déjà fait état de l’impression d’une fausse pétition de la Société des amis de la constitution, accompagnée d’une prétendue réponse de son président, voir Œuvres, t. VII, p. 587. Nde.

[14Une circonstance bien propre à faire connaître l’esprit de cette institution, c’est que les courriers extraordinaires dépêchés dans toute la France à cette occasion, étaient porteurs à la fois du discours de M. Duport, député, en faveur du roi, et de dépêches du ministre de l’intérieur.

[15Le drapeau rouge de la loi martiale resta déployé sur l’Hôtel de Ville jusqu’au 7 août 1791. Nde.

[16Pour apprécier la justesse de cette observation, on peut voir les décrets sur l’organisation des corps administratifs et du ministère.

[17M. Dandré.

[18La vérité triompha, dès qu’il fut soumis à une discussion solennelle. Je voudrais que l’on pût savoir gré à M. Dandré d’avoir demandé lui-même le lendemain que la disposition qui portait que la commission jugerait en dernier ressort fut effacée, quoiqu’il ait donné cependant beaucoup de raisons très faibles au moins, pour l’établissement de la commission en elle-même ; mais l’opinion de l’assemblée n’était plus douteuse alors ; mais j’étais à la tribune, j’allais parler, et on croyait gagner quelque chose à m’ôter cette occasion de jeter quelques lumières sur les trames dont nos calomniateurs nous avaient investis ; mais la veille, il ne s’était point opposé à l’admission précipitée et irréfléchie de ce projet. C’est à regret que je parle quelquefois des individus : mais ce sont les individus qui dans les grandes crises décident du salut public

[19C’est un grand malheur, à mon avis, que la nomination des députés ait été différée jusqu’à une époque où les ennemis de la liberté ont eu le temps de cabaler, de calomnier, de diviser les esprits, et qu’elle ait lieu au moment où ils ont égaré l’opinion dans plus d’une contrée par leurs dernières manœuvres. C’est au zèle des bons citoyens à réparer ces inconvénients, en démêlant les ruses du charlatanisme, en faisant sentir, aux électeurs des campagnes surtout, la nécessité de se rendre exactement aux assemblées, d’où leurs travaux dans ce moment auraient pu les détourner.. »