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La Terreur ou « les terreurs » ?

Un article de Bernard Vandeplas

lundi 13 avril 2015

La Terreur ou « les terreurs » ?
Intérieur d’un comité révolutionnaire sous la Terreur. Eau-forte de C.N.Malapeau

La période qui s’étend de juin 1793 à juillet 1794 constitue l’une des lignes de partage de l’historiographie révolutionnaire. Que ce soit au XIX ème siècle, quand la République est encore un projet pour lequel on se bat, ou plus récemment.
La divergence essentielle tient à l’appréciation que l’on porte sur les résultats et sur la nécessité des mesures regroupées sous le nom de Terreur. Pour les uns, ce sont les circonstances qui ont imposé la Terreur, pour les autres, les dérives de l’an II sont contenues dans la volonté de renouveau total revendiquée par les révolutionnaires.

Que nous disent les historiens ? Terreur au singulier ou Terreurs au pluriel ?

Après une brève présentation de l’historiographie révolutionnaire, nous nous interrogerons sur l’extraordinaire diversité de la Terreur, qui devrait donner lieu à de plus amples recherches et une revisite dans l’avenir.

La Terreur vue au XIXe siècle  :

De 1799 à 1870, la France n’est en République que pendant quatre années : de 1848 à 1852. beaucoup de républicains désespèrent que ce régime parviennent jamais à s’implanter définitivement. Après l’échec de la seconde République, alors qu’un nouvel empereur (Napoléon III) règne sur la France, un historien républicain, Edgar Quinet ouvre la polémique.

Que nous dit E. Quinet ? « Chaque représaille d’un côté amenait de l’autre les plus terribles représailles ; ainsi montait chaque jour la colère, jusqu’au jour où elle toucha au délire… Robespierre, Saint-Just, Billaud-Varennes voulurent changer ce qui avait été un accident en un état permanent. Ils se firent un principe de gouvernement de ce qui avait été d’abord un éclat de colère, une impulsion de désespoir…. On a ramassé l’arme du passé pour défendre le présent… Par la Terreur, les hommes nouveaux redeviennent subitement, à leur insu, des hommes anciens [1]. »

Pour Louis Blanc : « Quoi qu’en dise M. Quinet, la Terreur ne fut pas un système ; elle fut, ce qui est bien différent, un immense malheur, né de périls prodigieux… La Terreur, préparée par des siècles d’oppression, provoquée par d’effroyables attaques et stimulée par les dangers d’une lutte de Titans, sortit des entrailles de l’histoire [2]. »

Comité de sûreté générale

Au XXe siècle, :

L’analyse de la Terreur devient plus complexe encore. La Terreur est relue au travers de l’expérience de la révolution bolchevique. Dès 1920, un grand historien de la Révolution française, Albert Mathiez, trace le parallèle entre les deux révolutions. Quand le discrédit commence à frapper les pays socialistes, la critique atteint en retour la Révolution française.

Pour Albert Soboul : « La violence populaire n’est… pas gratuite. C’est l’arme à laquelle la résistance de l’aristocratie oblige le peuple à recourir… Sans la violence révolutionnaire du peuple, comment la révolution bourgeoise aurait-elle pu réussir ?  [3] »

Pour François Furet :
« Ni les circonstances ni la mentalité politique du petit peuple ne suffisent à rendre compte du phénomène… La Terreur s’intensifie avec le redressement et les victoires… Elle (la Révolution) a vécu dès 1789 sur l’idée d’une nouvelle souveraineté absolue et indivisible, qui exclut le pluralisme de la représentation, puisqu’elle suppose l’unité du peuple. Comme cette unité n’existe pas, la Terreur a pour fonction de la rétablir constamment [4]. »

Michel Vovelle, parle du couple Espérance et Peur : « Marat écrivait en 1790 : La philosophie a préparé, commencé, favorisé la Révolution actuelle, cela est incontestable : mais les écrits ne suffisent pas, il faut des actions ; or à quoi devons-nous la liberté, qu’aux émeutes populaires ? Robespierre lui fera écho, posant la question : Voulez-vous une Révolution sans révolution ? … En 1789 la violence est présente dans les deux camps… Le point culminant, et le plus spectaculaire de cette violence spontanée puis assumée se rencontre lors des massacres parisiens de septembre 1792… La mentalité révolutionnaire a-t-elle exagéré le péril de Contre-Révolution ? Les Circonstances , L’âpreté de la lutte sur le terrain était bien réelle, et les révolutionnaires n’ont point rêvé le péril [5]. »

Portrait de Barère par J.L. Laneuville 1794.

Pour Jean-Clément Martin, la Terreur est en partie une politique improvisée : « Comment comprendre la Terreur ? Plusieurs approches sont possibles. Elle a été l’occasion pour un certain nombre d’hommes de régler des comptes familiaux ou collectifs… L’œuvre d’individus non contrôlés, qui ont profité du vide du pouvoir, pour exercer une magistrature délirante… La Terreur a été provoquée, et entretenue, par les exagérations d’un discours politique, radicalisé par des arguments moraux… Il est nécessaire de comprendre que chaque mesure prise a répondu à une menace réelle ou supposée… La Terreur repose tout à la fois sur l’exaltation de groupes d’individus, qui ont conscience de vivre un épisode essentiel de l’histoire et qui adoptent un langage et des aspirations véritablement révolutionnaires, mais irréalistes… La Terreur est entretenue aussi par les rivalités entre factions révolutionnaires, chacune tendant de prendre le pouvoir en accusant les autres d’être contre-révolutionnaires [6]. »

L’originalité de la Terreur vient aussi de son extraordinaire diversité  ; il faut parler de Terreurs au pluriel : Terreur de la guerre, Terreur de la ville, Terreur de la campagne, la Terreur est aussi une affaire d’hommes etc… Deux siècles après, essayons de sortir des caricatures, des polémiques partisanes. Les hommes de l’an II valent mieux que cela !

Il faut essayer de comprendre les comportements des uns et des autres, les violences notamment et s’interroger sur les divisions qui deviennent déchirures. L’ensemble entraîne la Nation dans une véritable guerre civile, bien réelle.

Il est nécessaire, je pense, de partir du concret, du vécu, avec comme souci constant de toujours mettre en évidence la diversité des attitudes régionales mais aussi individuelles pour approcher les Terreurs. Il me semble que la Terreur est multiple, improviser et qu’elle n’est pas le fruit d’un système organisé. Il nous faut donc multiplier les recherches au niveau local et multiplier les biographies de révolutionnaires de premier plan et de second plan pour tenter de comprendre.

Voir aussi : Le troisième bataillon d’Arras en guerre de Vendée (1793-95)

Bernard Vandeplas,
Docteur en Histoire contemporaine.

Carte des insurrections et menaces extérieures 1794

[1Edgar Quinet, « La Révolution », Paris, 1865.

[2Louis Blanc, « Lettre sur la Terreur », Paris, 1866.

[3Albert Soboul, « Violence collective et rapports sociaux. Les foules révolutionnaires (1789-1795), in La Révolution française  », Paris, éditions sociales, 1983.

[4François Furet, article « La Terreur » in dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, éd. Flammarion, 1988.

[5Michel Vovelle, « Combats pour la Révolution française », édition La Découverte, Paris, 1993.

[6Jean-Clément Martin, « la France en Révolution, 1789-1799 », Paris, éd. Belin, 1990.