DISCOURS D’ACCUEIL POUR LA COMMÉMORATION DU 9 THERMIDOR PAR L’ARBR LE 29 JUILLET 2023
Bonjour à toutes et à tous,
Aujourd’hui, je parle au nom de notre président Alcide Carton qui vous adresse ses fraternelles salutations. Nous nous réjouissons de nous retrouver aussi nombreux et unis dans ce lieu emblématique de notre République dont nous célébrons cette année le deux cent trentième anniversaire de la Constitution de l’an I.
Merci à tous d’être présents, aujourd’hui, pour commémorer ensemble, cette année encore, le 9 Thermidor an II et affirmer notre attachement à Robespierre et à ses fidèles amis ; à ses idéaux et à son œuvre.
Merci à celles et ceux qui viennent pour la première fois, merci à tous les fidèles, qui sont présents chaque année.
Merci à l’administrateur du Panthéon, et ses équipes, de nous permettre d’être présents, ici, dans ce monument dédié aux grands hommes cette année encore,
Et merci aux associations amies qui sont engagées avec nous pour la pleine réussite de cette amicale et sympathique manifestation.
Dans quelques minutes, nous laisserons la parole à la Présidente de l’Association pour la sauvegarde de la Maison de Saint-Just car nous avons choisi d’honorer, après Philippe Le Bas, l’an dernier, une autre grande figure de la Révolution, Louis Antoine Saint-Just.
Mais auparavant, je me dois de revenir en quelques mots sur cette journée et cette nuit terrible qui demeure pour notre peuple une nuit éternelle et sur les mois de l’année 93 et de 94 qui précédèrent.
Écoutons Victor Hugo :
« 93 c’est la guerre de l’Europe contre la France et de la France contre Paris et qu’est-ce que la Révolution ? C’est la victoire de la France sur l’Europe et de Paris sur la France et de là, l’immensité de cette minute épouvantable, 93 plus grande que tout le reste du siècle ».
C’est juste au sortir d’un autre épisode sanglant qui a vu le cœur de Paris ouvrier massacré par la bourgeoisie de Thiers que notre grand écrivain choisit de reprendre la plume pour fonder le socle de la République réconciliée en choisissant 1793 et intitule son roman « 93 » .
L’an I ! 749 députés, nouvellement élus, pour la première fois au suffrage universel, les 21 et 22 septembre 1792 font que l’impossible tout à coup advient. La monarchie est abolie, et en janvier, après des mois d’une intense bataille politique, la monarchie possible n’est plus ! La toute jeune république rompt avec le passé, fait face à l’Europe coalisée, aux millions engagés par l’Angleterre et ses alliés après la décapitation de Louis XVI. Il faut faire appel au Peuple et lever une armée de 300 000 hommes. Comme la plupart des révolutions qui l’ont précédée, la fin de celle-ci dans un bain de sang devient imminente, d’autant que la guerre civile se répand. Mais la volonté est la plus forte qui s’exprime partout « vaincre ou mourir », « la liberté ou la mort ».
À l’été 93, la volonté de changer le monde est la plus forte.
C’est ainsi que naît une Nation. Et la nôtre est née de ces soldats de l’An II et de la mobilisation des Français pour conserver leur souveraineté. Elle est née en ce 22 septembre où la république, Une et Indivisible, fut proclamée face au monde entier.
Le 24 juin la constitution est adoptée et le texte est soumis à la ratification des électeurs, autrement dit à ce que nous qualifierions aujourd’hui de « référendum ». Le oui obtint près de 1.8 million de voix, le non en reçut environ 11 500 (avec une participation proche du tiers des électeurs, ce qui représentait une mobilisation tout à fait honorable eu égard aux conditions du moment).
Symboliquement, cette adhésion massive des citoyens donne lieu à une cérémonie fixée au 10 août 1793, jour du premier anniversaire de la chute du « dernier des tyrans ».
Aujourd’hui encore chacun s’accorde à reconnaître que ce fut la constitution la plus démocratique jamais écrite en France. La République qu’inventent Robespierre et Saint-Just et les montagnards est avant tout une république sociale qui fait du peuple le seul souverain. Et « cette dignité autorise les plus pauvres et les plus éloignés du pouvoir central à se sentir responsables du grand tout révolutionnaire et de le défendre, » dit Deborah Cohen .
C’est dans cette direction qu’il faut rechercher l’ordre républicain. Je renvoie chacune et chacun à la lecture de l’acte constitutionnel, aux déclarations des droits – celle de Robespierre et celle adoptée le 4 juin – que vous trouverez sur notre site. C’est là que s’invente la République, fondant un nouveau contrat social, une nouvelle éthique de l’égalité et des devoirs de l’État en matière de secours aux plus précaires, aux indigents, d’éducation aux enfants et du travail pour tous.
Qu’on y pense bien : tout cela, dont on sait aujourd’hui qu’il connut un début audacieux d’application, s’est écrit dans une France en guerre ; la mise en œuvre de la constitution reportée jusqu’à la paix et l’organisation d’un gouvernement révolutionnaire dont il sera question tout à l’heure.
Que n’a-t-on dit sur l’utopie de ces principes ? Mais ce sont ceux-là mêmes, de l’aveu de Raymond Aubrac qui inspirèrent le Programme des Jours Heureux du CNR. Je cite :
« Les idées de la révolution sont dans la tête des rédacteurs du programme du CNR. Et finalement, si on cherche un peu, quelle est l’identité française, maintenant de nos jours, et bien il y a le programme du CNR. Il y est ; pas plus qu’on ne peut enlever les racines judéo-chrétiennes ou les souvenirs de la Révolution. 1 »
À l’heure où l’on s’apprête après Jean Moulin, Jean Zay, Simone Veil, Geneviève De Gaulle-Anthonioz , Germaine Tillon et Joséphine Baker à voir entrer ici Missak Manoukian et son épouse, et leur terrible chemin, nous nous devons de rapprocher ces moments essentiels de notre histoire.
Et il y eut cette journée terrible du 9 thermidor. Notre association vient de consacrer trois numéros à ce que l’on désigne par le substantif « Thermidor ».
Le scenario incertain était-il écrit d’avance ? On peut en douter tant ce jour là, et les jours qui suivirent, ceux qui avaient décidé d’en finir avec Robespierre et ses amis mais surtout en finir avec ce qui venait d’advenir, malgré la victoire militaire d’abord, la Vendée et la guerre civile maîtrisée, n’étaient pas si sûrs d’y parvenir.
Alors, en trois jours, ce sera la plus « grande fournée de guillotinés » comme l’a si bien exprimé notre amie Françoise Brunel. 108 robespierristes envoyés à l’échafaud, la Commune de Paris décimée. Une répression d’une incroyable férocité. Et progressivement toutes les mesures sociales abandonnées, les sociétés populaires supprimées, les manifestations interdites et réprimées, les muscadins dans la rue et bientôt le retour autorisé des émigrés.
Tallien et ses amis inventeront un mois plus tard, le plus improbable mensonge d’état qui perdure plus de deux siècles plus tard. Je cite.
« L’organisation de vos comités est terminée ; le gouvernement va reprendre sa marche ; toutes les parties de l’administration publique, enfin surveillées, vont remettre à flot le vaisseau de l’État d’une manière plus active, si longtemps battu par toutes les factions. Mais nous ne devons, nous ne pouvons pas nous le dissimuler, l’ombre de Robespierre plane encore sur le sol de la République ; les esprits si longtemps divisés, si violemment agités par le génie infernal de ce tyran de l’opinion, de cet ennemi déclaré de la liberté comme de son pays, ne sont point encore rapprochés comme le désirent tous les bons citoyens. […]Suit alors la description de ce qu’est un système de la Terreur.
Qu’est-ce encore une fois qu’un système [de la terreur ] qui suppose ou entraîne une semblable organisation politique et de semblables moyens de conduire les hommes ? Qu’est-ce autre chose que la tyrannie, et quel autre intérêt que celui de la tyrannie pour demander la terreur ? La terreur ne peut être utile qu’à la minorité qui veut opprimer la majorité. [...]
Citoyens, tout ce que vous venez d’entendre n’est qu’un commentaire de ce que Barère a dit à cette tribune du « système de la terreur », le lendemain de la mort de Robespierre. Je n’y ajoute qu’une réflexion : ce système a été celui de Robespierre ; c’est lui qui le mit en pratique à l’aide de quelques subalternes, dont les uns ont péri avec lui, et dont les autres sont ensevelis vivans dans le mépris public. La Convention en a été victime, jamais complice.
Un nouvel ordre Républicain et bourgeois se met alors en place qui va s’attacher très vite à faire taire violemment toute contestation populaire et détricoter progressivement l’ensemble des mesures démocratiques et sociales inventées par l’an I. La nouvelle constitution, dite de l’an III rétablira le suffrage censitaire et abandonnera la référence au droit naturel.
Dans les mouvements sociaux que connaît notre pays depuis une dizaine d’années, la référence à la Constitution de l’an I et à Robespierre demeure néanmoins bien vivante. Je ne reviendrai pas ici, ce serait trop long sur le droit à l’existence qui traversa les brèves vies politiques de Robespierre et de Saint-Just. En parallèle, on retrouve aussi dans les propos de ceux qui prétendent garantir aujourd’hui l’ordre républicain ceux qu’employèrent « les thermidoriens » pour justifier leur coup d’État et prétendent parler au nom du Peuple qu’ils considèrent immature donc dangereux, et donc décident, à sa place, de la meilleure façon d’assurer sa sûreté.
S’il nous faut aujourd’hui ré-interroger ce que furent les combats de Robespierre, Saint-Just et leurs amis c’est bien pour réaffirmer que l’ordre et la sûreté républicaine sont à trouver dans les choix d’une politique sociale de bienfaisance nationale qui n’oublie aucun des indigents d’aujourd’hui et rende au peuple souverain les moyens d’imaginer un monde de justice et de paix et sûrement pas en utilisant contre lui l’invective, la violence et la répression.
Je vous remercie.
Aimée Boucher.