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Les sociétés politiques du Pas-de-Calais : le Club d’Arras.

jeudi 16 avril 2020

DOCUMENTS ISSUS DES SOCIÉTÉS POLITIQUES DU PAS-DE-CALAIS

Ad-pdc, fonds victor barbier, [4 j 176]
Présentation et explications de Bruno Decriem au bas

Club d’Arras

Extrait du carnet relatant les réunions du Club d’ARRAS
Ad-pdc, fonds Victor Barbier, [4 j 176]

Asselin est admis, on lit le procès-verbal adopté Réunion à trois heures, Pelletier admis ; Barbet lit un discours sur les préjugés, mention honorable. On ouvre la discussion sur Louis Capet, on propose et on arrête qu’on fera une adresse à l’assemblée sur le champ

Séance du 30 décembre1792

La séance a été ouverte par la lecture du procès verbal, il est adopté. Un des secrétaires monte à la tribune pour faire lecture d’une lettre de Guffroy qui contient le narré succinct de l’assemblée du 26 et d’un petit imprimé lumineux dans lequel il dévoile les manœuvres employés pour soustraire la Royauté au supplice de la Guillotine.

Asselin présenté dans une des présentes séances consent à la discussion de ses qualités civiques personne ne lui adresse de reproches, il est admis. L’assemblée avait été convoquée extraordinairement à trois heures elle arrête que ses séances sont irrévocablement fixées à trois heures. Pelletier se trouve à la séance, sa vie civique est soumise à la discussion, il est admis. Barbet obtient la priorité il prononce un discours qu’il termine par l’hommage à la société d’un almanach philosophique propre à renverser les préjugés en en découvrant les sources. La société accepte cette offre avec reconnaissance et arrête qu’il en sera fait mention honorable dans le procès verbal.

On reprend la discussion sur Louis Capet. Diverses opinions sont prononcées ; on s’arrête principalement à combattre l’appel au peuple que l’on considère comme le tocsin de la guerre civile ; on soutient et on démontre que le peuple français en élisant une Convention nationale lui a imposé le devoir impérieux non de condamner mais de punir Louis Capet ; et que si la ratification des Assemblées primaires n’est une conspiration infernale elle est une absurdité surabondante puisque le premier acte de la Convention si elle eut été fidèle à son mandat devait être la punition de Louis Capet. Ces vérités puisées dans la nature et dans la justice frappent l’assemblée, elle arrête qu’il sera fait sur le champ une adresse à la Convention pour lui rappeler qu’elle trahit ses devoirs et lui exprimer notre profonde indignation en apprenant la proposition de l’appel au peuple. Un membre se retire pour rédiger cette adresse. Pendant cet intervalle quelqu’un propose de s’abonner au journal de Robespierre ; on écarte cette proposition un autre désire que Carra soit proscrit comme agrégé à la faction qui veut abaisser la République On invoque ses longs services et l’on arrête que l’abonnement sera continué. Le secrétaire chargé de l’adresse reparait ; l’Adresse est mise aux voix et adoptée à l’unanimité. Un membre observe qu’on a oublié d’y témoigner notre douleur et les querelles individuelles qui déchirent la Convention ; cette observation est ajournée à mardi avec la notion de conjurer l’assemblée d’ôter à (mots barrés : au conspirateur) ( sic) Roland les cent mille livres dont il fait un aussi étrange abus dans la distribution de ses imprimés. On arrête qu’il sera fait trois copies de l’adresse dont l’une sera signée et envoyée à la Convention l’une aux Jacobins et la dernière à Guffroy afin qu’il put en donner connaissance à ses collègues si le Président ou les Secrétaires l’escamoteraient.

La séance est levée à sept heures.

La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal. Un membre réclame contre une omission, elle est réparée et le procès-verbal est adopté.

Les citoyens[ marron] Chevalier et Bacqueville présentés dans la séance précédente sont admis après avoir subi la discussion de leurs qualités civiques.
Herman présente Cavrois entre deux places. Lebon présente Asselin de Saint-Omer tous deux sont appuyés.

Hacot obtient la parole et invoque l’appui de la Société pour se maintenir au poste de périlleux où le peuple vient de l’élever. Le Président lui répond avec dignité que la Société qui fut toujours le soutien du patriotisme et l’effroi des intrigants saura apprécier ses efforts

Le Receveur provisoire demande à être autorisé à recevoir la contribution de chaque Membre présent à la séance. On observe que ce serait ennuyer le public et consumer en vains détails le temps destiné aux discussions et l’on passe à l’ordre du jour, qui était la discussion sur Louis Capet. Un membre lit un discours sur cette question Il est fort applaudi

Le Président après quelques réflexions privées dans le caractère de la majorité de nos Représentants demande que chaque Secrétaire signe dès à présent l’engagement de partager en tous temps la misère et la persécution du peuple. Cette proposition est adoptée à l’unanimité, et Lebon est chargée de la rédaction. Pendant ce temps on lit le tableau des Membres afin ( mots rayés : qu’on puisse) (sic) de pouvoir procéder à la formation du Comité de travail qui doit être composé de six membres.

Charlemagne Lavallée, Dion et Houdart réclament contre l’oubli de leurs noms. La Société arrête qu’ils seront rétablis sur la liste et qu’il en sera fait mention au procès-verbal.

Il s’élève une longue discussion sur la tenue des procès verbaux ; la Société qu’à compter de ce jour ils seront mis au net signés du Président et des Secrétaires, et transcrits sur un registre coté et paraphé pour le premier janvier prochain.
On lit une lettre de Guffroi qui dévoile les intrigues et les intrigants et témoigne ses craintes sur l’absolution de Louis Capet qu’il présage. On arrête que dorénavant les lettres particulières et les papiers publics seront lus avant la séance

Lebon lit la déclaration qu’on l’avait chargé de rédiger pour envoyer à la Convention et aux Jacobins après l’avoir fait signer des citoyens des galeries ; on la discute quelques instants et la question préalable est adoptée. Dernant arrive il soumet ses qualités civiques à la discussion, il est admis avec Gillion qui inscrit sur la liste se présente pour la première fois.

On reprend la discussion sur le ci-devant, elle s’anime se prolonge jusqu’à huit heures et demie, et la séance est levée et la discussion est ajournée à mercredi.

La séance est ouverte par la lecture du procès verbal, il est adopté, avec une légère correction adoptée par le secrétaire

Carrois est admis après la discussion de ses qualités civiques. On propose de relever la tribune de deux pieds et de placer un réverbère au-dessus de la tête de l’orateur ; cette proposition est adoptée.

On demande que les papiers soient déposés à la salle de lecture et on arrête que ceux qui enlèveront les papiers seront condamnés à une amende de quinze livres et au double en cas de récidive. La société décide que tous les jours à cinq heures on lira les papiers publics et que sept membres seront nommés tous les dimanches pour faire cette lecture pendant la semaine.

Un membre présente à la société (sic) propose d’admettre au nombre des membres de la Société un citoyen de Valenciennes et pour appuyer cette proposition contraire au règlement il lit un acte de foi ( mots rayés : de ce citoyen) (sic) inscrit dans l’argus dont ce citoyen est l’auteur. La Société arrête qu’il sera admis à la discussion dans la-------------------

Un membre présente à la société le citoyen N....., il demande qu’il soit affranchi de l’intervalle d’une séance à l’autre exigé de tous les présentés, il lit à l’appui de sa proposition un passage de l’argus intitulé acte de foi. La Société dérogeant pour cette fois à son règlement arrête que comme passager ses qualités civiques seront discutées sur le champ ; plusieurs membres se rendent garants de son patriotisme, il est admis de confiance

On ouvre la discussion sur Louis Capet, son défenseur simulé n’est point à la séance, on ajourne à dimanche

On prend la résolution de former le Comité de travail.

On allait y procéder lorsqu’un membre demande incidemment que l’on nomme un commissionnaire et une concierge, que l’un ne soit employé que les jours de séance et que l’autre soit constamment attaché à la salle de lecture pour la tenue ouverte sédentaire ; on arrête que les aspirants se feront inscrire à la salle de lecture et chaque membre apportera dans un billet le nom d’un candidat et que celui qui réunira le plus de suffrages sera élu.

Herbet offre une armoire à la Société pour y renfermer ses papiers, elle est acceptée. On fait l’appel nominal de tous les membres de la Société pour nommer le comité de travail Herman, Buissart, Lenglet, Hacot, Ansart, Planès, Herbet, Ferand obtiennent la majorité des suffrages et sont proclamés.

Archives départementales du Pas-de-Calais,[ 4 j 176.]

QUELQUES EXPLICATIONS DU DOCUMENT


Un document de la collection barbier des archives départementales du Pas-de-Calais :

Quelques séances de la société populaire d’Arras.
Bruno Decriem au second plan avec Christian Lescureux
Coll. personnelle ARBR
Par Bruno Decriem

Au sein des Archives Départementales du Pas-de-Calais du centre Mahaut-d’Artois à Dainville, la collection Barbier compte 2800 pièces extrêmement passionnantes. Victor Barbier (1849-1908) était un homme de lettres et un historien. Il fut d’ailleurs l’un des membres fondateurs de la Société des Études Robespierristes en 1907. Barbier était également un collectionneur passionné. Ses extraordinaires pièces se trouvent désormais aux Archives Départementales sous la cote [4 J.]

Le carton [4 J 176] présente différents documents issus des sociétés populaires du Pas-de-Calais. Plusieurs d’entre eux, en nombre hélas réduit, concernent les clubs de Béthune, Croisilles, Lillers et Montreuil.

Le club d’Arras est beaucoup plus fourni. Une première chemise traite des débuts de la Société des Amis de la Constitution d’Arras jusqu’en 1791. Elle se compose de plusieurs feuillets épars représentant un corpus de 22 pages manuscrites. La seconde chemise s’échelonne de 1792 au 12 pluviôse an II-31 janvier 1794. Elle est particulièrement riche grâce à de nombreux feuillets datés de 1793 et composant un ensemble d’environ 25 pages. Cependant, ces pages sont difficilement lisibles en raison de l’usure des documents, d’écritures et de ratures multiples.

Un « petit cahier » relié d’une quinzaine de pages, à l’écriture soignée, s’ajoute à ces feuillets volants. Ce document évoque sous forme de compte-rendu trois réunions de la Société Populaire d’Arras fin décembre 1792, au moment du procès du roi. L’une est datée précisément, du 30 décembre. Nous avons fait le choix de reproduire ce document en conservant sa ponctuation originale (ou son absence) ainsi que l’utilisation parfois fantaisiste des majuscules.

Notre objectif n’est pas, dans cette brève présentation, d’évoquer l’histoire d’Arras sous la Révolution, déjà réalisée au XIXe siècle par l’érudit Lescene [1], ni de retracer l’histoire des Sociétés populaires « Jacobines » de la Révolution. [2]

Notre objectif est bien plus modeste et vise à contextualiser quelque peu et à expliquer cet intéressant récit politique brut de l’époque !

Les révolutionnaires « clubistes » évoqués sont ceux qui vont être les acteurs principaux de la période révolutionnaire arrageoise de 1792 à 1794. Ils auront néanmoins des parcours et des destins divers.

Armand Guffroy (1742-1801), député Montagnard du Pas-de-Calais à la Convention exerce une influence sur la Société d’Arras grâce à sa correspondance qui le relie à sa terre élective. Il publie un journal « Rougiff » (anagramme de Guffroy) qui connaît une audience populaire certaine. Sa brouille avec Lebon en l’an II brisera l’unité des patriotes d’Arras.

Mathieu Asselin (1736-1825) de Saint-Omer, Martial Herman ( 1759-1795), Joseph Lebon (1765-1795), Antoine Buissart (1737-1820), Étienne Lenglet (1757-1834) sont des révolutionnaires avancés « locaux » en 1792. Plusieurs d’entre eux prendront une stature nationale en 1793 [3].

Ainsi Herman deviendra président du Tribunal révolutionnaire de Paris d’août 1793 à avril 1794, et à ce titre présidera notamment les procès de Marie-Antoinette, des Girondins, des Hébertistes et des Dantonistes. Homme influent, il sera nommé ensuite Commissaire à la Commission des administrations civiles, police et tribunaux. Il sera guillotiné après Thermidor en compagnie de l’accusateur-public du tribunal révolutionnaire Fouquier-Tinville.

Lebon, d’abord député suppléant, deviendra titulaire à la Convention en juillet 1793 après l’expulsion des Girondins. Ses missions multiples controversées dans le Pas-de-Calais et à Cambrai dans le Nord entre août 1793 et juillet 1794 laisseront dans la région la persistance de souvenirs et d’une mémoire tragiques. Lebon sera guillotiné également sous la réaction thermidorienne.

L’avocat Buissart, citoyen des Lumières, est surtout connu pour sa proximité, entretenue par une abondante correspondance, avec les Robespierre, Maximilien et Augustin.

Asselin, ex-prêtre jureur constitutionnel et Étienne Lenglet, agent national de la commune d’Arras resteront d’influents « locaux », tout comme Joseph Nicolas François Hacot, devenu maire d’Arras le 25 décembre 1792, à la place de Lebon, ce qu’il évoque en ces termes devant la Société « poste périlleux où le peuple vient de l’élever ».

Les discussions sur le procès du roi, l’évènement politique de cet hiver 1792-1793 sont ici très intéressantes. Très bien renseignés par Guffroy et sans nul doute par d’autres conventionnels, les sociétaires d’Arras adoptent majoritairement la position des Montagnards de la Convention et demandent de «  punir Louis Capet » nommé plus loin « ci-devant  ». Ils rejettent catégoriquement l’appel au peuple, ultime manœuvre des girondins destinée à sauver Louis XVI, qu’ils considèrent comme un piège : « une conspiration infernale  » « le tocsin de la guerre civile » « une absurdité surabondante ». Notons que les débats sur le sujet comme sur d’autres d’ailleurs ne sont pas unanimes, loin de là, et que, dans une sorte de « jeux de rôles », un citoyen tient la place du « défenseur simulé ».

Nos Jacobins d’Arras s’opposent aux Girondins-Brissotins qu’ils nomment clairement « la faction » et ils reprochent à Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), ministre de l’intérieur proche des Girondins et époux de Manon Roland, l’utilisation abusive des fonds publics pour le financement et la diffusion des journaux et libelles d’opinions majoritairement girondines. Il est à noter que le mot « conspirateur » accolé à Roland a cependant été rayé par le rédacteur.

Pourtant la Société populaire d’Arras est loin de suivre totalement la ligne montagnarde en toute circonstance et la proposition d’abonnement au journal que tient Robespierre, pourtant « l’enfant du pays », « Lettres de Maximilien Robespierre, membre de la Convention nationale de France, à ses commettants », n’est finalement pas retenue. A l’inverse, l’abonnement aux célèbres « Annales patriotiques » du journaliste jean-Louis Carra (1742-1793) est continué, même si l’on déplore l’évolution politique de Carra vers la Gironde « agrégé à la faction qui veut abaisser la République ». 

La Société populaire pratique une démocratie nouvelle. Elle se dote de règlements stricts et complexes qui peuvent nous étonner aujourd’hui. Pourtant toutes ces mesures visent à « faire vivre la démocratie » tout en l’encadrant dans le cadre du patriotisme. Ainsi l’adhésion au club n’est acceptée qu’après une cooptation suivie d’une discussion sur les mérites civiques du candidat.

Cet « apprentissage de la démocratie » est facilité par de nombreuses décisions techniques et matérielles : accès à une bibliothèque, armoire pour archiver les documents, hauteur de la tribune à relever pour aider l’orateur et le public ces « citoyens des galeries », éclairage, etc.

Tout cela participe à ce que Michel Vovelle appelait « la découverte de la politique ». [4]

Ce que nous décrit ce document demeure incroyablement moderne.

Bruno DECRIEM (avril 2020)


[1Lecesne E., Histoire d’Arras sous la Révolution, 3 volumes, Arras, Le Portulan, 1880.

[2Aulard F. A., La société des Jacobins Recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris, Paris, Librairies Léopold Cerf et Noblet, 6 tomes, 1889-1897.
De Cardenal L., La Province pendant la Révolution Histoire des clubs Jacobins (1789-1795), Paris, Payot, 1929, 517 p.
Maintenant G., Les Jacobins, Paris, presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 1984, 127 p.
Mazauric C., Jacobinisme et révolution, Paris, Messidor/Éditions Sociales, 1988, 305 p.
Soboul A., dictionnaire Historique de la Révolution, Paris, P.U.F., 1989. P. 585-592 : Jacobins/Jacobinisme par claude Mazauric.

[3Cinquante figures du Pas-de-Calais pendant la Révolution, Aire-sur-la-Lys, Conseil général du Pas-de-Calais, 1989, 158 p.

[4Vovelle M., La découverte de la politique géopolitique de la révolution française, Paris, éditions la découverte, 1992, 363 p.