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Robespierre et la calomnie
Discours prononcé au Panthéon le 28 juillet pour l’anniversaire d’éxécution de Robespierre et de ses amis.
mardi 13 septembre 2016
Robespierre et la calomnie
"Bonjour à tous et merci d’être présents aujourd’hui, dans ce temple des Grands Hommes, pour une fois encore, en ce 28 juillet, rendre hommage à Maximilien Robespierre et ses compagnons.
Merci à tous les fidèles, qui nous font l’honneur d’être présents chaque années et, pour ceux qui viendraient pour la première fois, soyez les bienvenus.
Merci aussi à M. Pascal Monnet, administrateur du Panthéon, ses équipes et le Centre des monuments nationaux, qui nous permettent cette année encore, d’organiser cette commémoration.
Chaque année, nous rédigeons un discours qui est lu juste avant le dépôt de gerbes de fleurs. Les années passées nous avions a chaque fois mis en évidence les qualités de Maximilien Robespierre, ses qualités humaines, mais aussi politiques, sa pensée brillante et si moderne pour son époque, ses idées qui lui ont valu d’avoir bien des détracteurs, à son époque mais encore aujourd’hui. [1]
Le public attentif | Le dépôt de la gerbe |
Aussi cette année, nous nous sommes penchés sur cet aspect du personnage.
Pourquoi plus de 200 ans après sa mort suscite-t-il toujours autant de haine chez certains ? Pourquoi tant de Français ont encore cette image d’un monstre sanguinaire incarnant toute la violence de la Terreur ?
Dès les premières années de la Révolution, Robespierre a été l’objet de calomnies.
Ces campagnes de calomnies commencèrent dès le printemps 1790, et sont un témoignage de la popularité que Robespierre commençait a acquérir.
Depuis la Grande Peur de 1789, certains paysans refusaient de payer les droits féodalo-seigneuriaux, en avril 1790, des affaires de cet ordre éclatent en Artois et en Picardie.
La ferme générale des impôts, de connivence avec le contrôleur général des finances, cherchant à se venger de ces mouvements populaires armés, décident de dénoncer et de punir ceux qu’ils considèrent comme les meneurs, rédacteurs de textes incendiaires encourageant ces mouvements de rébellion. Un faux document est alors élaborer pour perdre Robespierre en l’accusant ainsi d’être l’un de ces meneurs. Dans une lettre datée du 28 avril 1790, Robespierre se disculpe d’être l’auteur de ce texte, il dénonce qu’il s’agit là d’une calomnie accompagnée d’un faux et rends publique sa réponse au contrôleur des finances. Il reçoit le soutien de nombreux députés de l’Assemblée.
Il écrit dans cette réponse : « [...] je vous prie de croire que les représentants du peuple n’écrivent point de lettres incendiaires et pleines de déclamations. Je ne sais si les manœuvres coupables des ennemis de la révolution, qui se développent tous les jours autour de nous, renferment aussi le moyen extrême de fabriquer des lettres, pour les imputer aux membres de l’Assemblée nationale qui ont signalé leur zèle pour la cause populaire ; mais je défie qui que ce soit de produire celle dont vous me parlez d’une manière si vague ».
Mais Robespierre n’avait pas encore achevé sa réponse, que déjà une nouvelle campagne de calomnie était lancée par l’un de ses compatriote : Briois de Beaumetz, député de la noblesse d’Artois.
Robespierre était intervenu à deux reprises à l’Assemblée nationale contre le décret du marc d’argent, qui faisait dépendre la qualité de citoyen actif du payement d’une certaine quantité de contributions directes. L’Artois n’étant pas soumis à ce genre d’impôt, le corps électoral qui en serait issu serait complètement illusoire et composé presque exclusivement d’ancien privilégiés. Briois de Beaumetz déforme les propos de Robespierre et raconte que ce dernier s’était plaint que l’Artois ne payait pas assez d’impôts directs, mais que fort heureusement, de Beaumetz, lui, avait réfuté cette thèse ! Robespierre répond alors par deux lettres, dans la première adressée à Briois et destinée à le confondre, apparaissent à la fin les noms de 7 députés de l’Artois qui apportent leur soutien à Robespierre. Voici ce qu’ils écrivent : « Quoique M. de Robespierre n’ait pas besoin d’autre témoignage de son patriotisme que sa conduite, et l’opinion publique, nous nous faisons un plaisir de lui donner un preuve de l’estime et de l’attachement qu’il adroit d’attendre de tous ses collègues, en attestant à tous ceux que la calomnie aurait pu tromper. Que bien loin d’avoir dit dans l’assemblée nationale que l’Artois ne payait point des impositions considérables, ou rien qui pût tendre à aggraver les charges de ce pays, il n’a parlé que du mode et de la nature de ces impositions, pour observer qu’une très grande partie consistait en impositions indirectes, et prouver par là la nécessité d’affranchir les habitants de ce pays des conditions qui exigent une certaine quantité de contribution directe, pour exercer les droits de citoyen actif, et pour être électeur ou éligible aux différentes places établies par la constitution ; Qu’il a toujours défendu avec zèle et la cause générale du peuple et de la liberté, et les intérêts des habitants de l’Artois en particulier ».
Signés : Fleury, Du Buisson, Boucher, Payen, De Croix, Brassart, Charles de Lameth. Députés d’Artois.
Il reçu en plus le soutien de Le Peletier de Saint-Fargeau. L’autre texte est adressé à ses commettants et il y explique pourquoi il se défend et les défend. Dans ce second texte, il cite des exemples de courriers qu’il reçoit en lien avec les calomnie dont il est l’objet. En voici quelques extraits : « Eh ! Bien, polisson, tu ne cesseras donc pas de rester à l ’auguste Assemblée nationale, où les honnêtes gens rougissent d’être avec toi. Tous tes confrères (les avocats) t’assurent que tu ne remettras jamais les pieds dans cette ville, et je te préviens que tous les habitants des campagnes t’écraseront aussitôt qu’ils pourront te découvrir ; ils te connaissent, mais malheureusement trop tard. Crois moi, pars aussitôt de Paris, sans quoi on te préparera un supplice dû à tes forfaits. J’ai appris que tu étais l’affilié de M......, le chef des scélérats, et je crois que tu l’accompagneras jusqu’à la potence, où vous serez attachés chacun à votre tour... »
Dans une autre lettre citée par Robespierre, on lit encore : « Je suis de très mauvaise humeur contre vous. Votre négligence à écrire est cause de toute les disgrâces que nous essuyons ici, par les propos atroces que nous entendons, non seulement sur votre compte, mais encore sur les autres députés. […] Le peuple d’Arras est dans état de fureur contre vous, tant il a été trompé de toutes parts, et je crois que si vous veniez maintenant à Arras, vos jours n’y seraient pas en sûreté... »
On le voit, ce sont des propos très violents. Robespierre, lui-même, écrit juste après avoir cité ces lettres : « J’ai frémi, je l’avoue, à ces derniers mots... ce n’était pas pour moi-même ! Mais en songeant que dans ces mêmes lieux, où, pour le salut du peuple, je m’étais dévoué à toutes les vengeances de l’aristocratie, en dénonçant tous les crimes qu’elle avait commis envers lui ; où, en dépit de toutes ses menaces et de toutes ses intrigues, le peuple et tous les amis du peuple s’étaient obstinés à me confier le soin de défendre sa cause dans l’Assemblée des Représentants de la Nation ; en songeant, dis-je, que, dans ces lieux mêmes, ses ennemis et les miens avaient pu changer à ce point ses sentiments et égarer sa bonne-foi, j’ai frémi pour le peuple, qui semble destiné à être la dupe éternelle de ses tyrans, et on, était midi.
Vers sept heures du matin, deux hommes furent découverts par hasard sous l’autel de la patrie, avec des provisions ; ils avaient percé un grand nombre de trous aux gradins. Cette nouvelle est portée au Gros-Caillou. Le bruit se répand dans ce lieu que les deux hommes avaient été apostés pour faire sauter l’autel de la patrie. On les conduit au comité de la section du Gros-Caillou : mais là, quelques hommes s’en emparent, et ils perdent la vie. Les plus ardents amis de la liberté sont ceux qui ont détesté le plus sincèrement cette violence criminelle ; elle leur a paru d’autant plus odieuse que des circonstances extraordinaires faisaient naître dans leur esprit de sinistres soupçons sur la nature des causes qui avaient fait mouvoir le bras des meurtriers qui avaient soustrait les deux victimes aux recherches des lois : mais ils n’en ont senti que plus vivement combien il était injuste d’abuser de ce délit qui ne pouvait être imputé qu’à des ennemis de la liberté, pourla fin du mois de mai 1794, on découvre des tentatives (ou pseudo-tentatives) d’assassinat contre Robespierre. La Convention s’en émeut et certains veulent louer l’Etre suprême d’avoir sauvé la vie de Robespierre. Mais Maximilien comprend vite le danger derrière ces réactions : l’isoler, le discréditer en le faisant passer pour un être à part, tout comme on glorifiait Dieu, sous l’Ancien régime pour protéger le roi de France... Il voit bien les manœuvres des Barère et Rousselin (un député dantoniste) et en est sans doute informé par Couthon, qui dirige le Bureau de police et a des informateurs.
Mais ses détracteurs ne s’arrêtent pas là. C’est au tour de Vadier de commencer un travail de sape contre Robespierre. Dès le 11 juin, au lendemain des discussions sur la loi de Prairial, qui est adoptée mais pas encore promulguée, durant ces quelques jours de délais, on constate une accélération des exécutions, Vadier, avec l’aide de Fouquier-Tinville en profite notamment pour se débarrasser de quelques uns de ses ennemis, mais toutes ces exécutions seront bientôt mises sur le compte de Robespierre. La loi de Prairial avait fait espérer un arrêt des emprisonnements et des exécutions et c’est tout le contraire qui se passe. On découvre, comme par hasard, des « conspirations » dans les prisons, prétextes à une épuration massive. En à peine deux mois, de mi-juin au 27 juillet, il y aurait eu environ 1400 exécutions, alors qu’on en dénombre environ 2700 entre 1793 et 1795 ! On cite souvent cette accélération de la Terreur comme étant le seul fait de Robespierre. On a bien vite oublié que tout cela résulte d’une machination politique dans laquelle Vadier, Barère et Fouquier-Tinville tiennent les premiers rôles. Et pourtant, si on observe les arrêtés qui établissent la liste des personnes envoyées au Tribunal révolutionnaire, on n’y trouve quasiment plus les signatures de Couthon, Saint-Just et Robespierre à partir de juin ! Et pourtant dès juillet 1794 et encore aujourd’hui, ces faits sont imputés à Robespierre.
Quatre jours plus tard, le même Vadier présente à la Convention, de la façon la plus ridicule possible, l’affaire Catherine Théot. Robespierre est directement visé, apparaissant comme un pontife ridicule avec son culte de l’Etre suprême et ses disciples !
Dans ces quelques semaines qui précèdent Thermidor, la propagande anti-robespierriste et la désinformation touchent des sommets rarement atteint.
Le 27 juillet, par exemple, on fait courir une rumeur assurant que Robespierre voulait devenir roi en épousant la fille de Louis XVI, Marie-Thérèse, enfermée au Temple. On l’accusera par la suite, de conspiration contre-révolutionnaire, avec la complicité de son frère et même de sa sœur.
Parallèlement à ces attaques pour discréditer Robespierre, les adversaires de Maximilien manipulent l’opinion. Ils réussissent à contrôler les Jacobins, en choisissant les présidents, d’avril à juillet 1794, parmi les proches de Vadier et Barère. Mais en plus de cette main-mise sur les Jacobins, ils savent également manipuler l’opinion publique. En cet été 1794, une grave crise de subsistance continue d’affecter Paris, et le maximum des salaires est appliqué progressivement à toutes les catégories de travailleurs. Des mouvements de mécontentement et des grèves éclatent... et bien entendu, dès le lendemain de Thermidor, le 31 juillet, l’augmentation des salaires est annoncée et la paix sociale revient !
Les jours précédent Thermidor, Barras dira que Fouché courait chez tous les députés pour leur annoncer : « c’est aujourd’hui que vous périssez, s’il ne périt » !
Dans ce qui sera son dernier discours, celui du 8 Thermidor, Robespierre récuse ce qu’il appelle un « odieux système de terreur et de calomnies ». Il se défend d’être le tyran que l’on décrit. Il dénonce très clairement la recrudescence des exécutions et sait bien qu’elles lui sont imputées. "On s’est attaché particulièrement, dit-il, à prouver que le Tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul […] car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres ». Il rappelle son opposition à la politique financière, il parle de l’affaire Catherine Théot....
Dès le lendemain de Thermidor commence la répression de ceux qui sont suspectés d’avoir adhéré aux idées de Maximilien. Cette répression va durer 6 mois ! Dès les premiers jours, plus de 100 « robespierristes » sont exécutés. La chute des Girondins et celle des dantonistes n’ont jamais été accompagnées de telles épurations ! C’est assez contradictoire avec cette image qui est créée de cet homme Robespierre, seul, tyran isolé...
Le message des thermidoriens est très clair : prétendre que la Terreur est finie car le monstre , seul et unique coupable est tombé.
Robespierre fut un bouc-émissaire, un fusible, en lui faisant porter la responsabilité des excès des mois de juin et juillet 1794, ils utiliseront les événements de Thermidor pour clôturer artificiellement cette période baptisée Terreur, période dont on n’a jamais su dire très clairement quand elle a commencée, mais où par contre tout le monde s’accorde pour dire qu’elle s’est achevée ce 29 juillet 1794 avec la chute de Robespierre. La Révolution peut alors prendre un autre tournant, voire s’achever...
JC Martin écrit très clairement, dans son dernier ouvrage Robespierre la fabrication d’un monstre
[2] « Thermidor est donc bien une rupture majeure dans l’histoire de la Révolution, mais elle n’est ni la fin d’un exercice solitaire du pouvoir ni le moment de l’abandon de la violence politiquez. Plus que tous les règlements de comptes antérieurs, c’est une manœuvre de communication saisie par un groupe pour garder le pouvoir tout en donnant l’impression d’une mutation profonde. Pour employer un langage très contemporain, Robespierre a servi de fusible, sa mort court-circuitant un processus devenu insupportable. »
« La machination thermidorienne n’a pas caché Robespierre ; tout au contraire, elle l’a exhibé ; elle en a fait une icône, celle du mal absolu, permettant qu’il devienne vraiment, ce qu’il n’était pas tout à fait encore, « l’incarnation » de la Révolution ».
Lamartine dans son Histoire des Girondins le désignait déjà comme étant « l’âme et l’énigme de la Révolution ».
Le travail de sape, de calomnie, cette volonté de discréditer Robespierre, non seulement se poursuit après Thermidor, mais même atteint son paroxysme. Tout est bon pour entériner l’image du « monstre ». On va notamment mettre en avant les exactions de certains représentants en mission comme Carrier et Lebon... pour accuser Robespierre de les avoir à tout le moins encouragé dans ces actes, d’en avoir été complice, quand bien même Carrier avait été rappelé à Paris sur Ordre du Comité de salut public, après un rapport accablant de MA Julien adressé à Robespierre. Il en fut de même avec Fouché, Barras et Tallien... en avril 1794 [3]
Nous pourrions encore écrire beaucoup de choses sur ce qui a été dit, écrit, fait contre Robespierre après Thermidor, toutes ces choses qui ont contribué à créer cette légende, toujours si vivace aujourd’hui, de ce monstre tyrannique, mais il est temps de conclure.
Nous l’avons vu, dès que Robespierre a commencé à jouer un rôle important dans la Révolution, dès que ses idées ont commencé a en déranger certains, la calomnie a commencé. Elle s’est accentuée au fil des années, entre 1790 et 1794, pour atteindre son paroxysme en juin et juillet 1794 et même encore après Thermidor.
Aujourd’hui, elle est toujours présente, plus insidieuse peut-être, car aujourd’hui elle se donne une caution historique pour continuer de propager cette image du monstre assoiffé de sang.
Nous l’avons vu, Robespierre, de son temps savait s’en défendre, aujourd’hui c’est à nous de savoir répondre à ses détracteurs.
Je finirai par ces deux citations de Maximilien, qui résument si bien cela :
« Le seul tourment du juste, à son heure dernière et le seul dont alors je serai déchiré, c’est de voir en mourant, la pâle et sombre envie distiller sur mon front l’opprobre et l’infamie. De mourir pour le peuple et d’en être abhorré »
« Je vous laisse ma mémoire, elle vous sera chère et vous la défendrez ».
Elisabeth Mayeur : Prise de parole au nom de l’ARBR et des Amis de Saint-Just
le jeudi 28 juillet 2016 devant le public venant se souvenir et rendre hommage à Maximilien et ses amis révolutionnaires exécutés par la réaction thermidorienne le 9 thermidor an II
[2] Robespierre, la Construction d’un monstre
Jean-Clément MARTIN
ISBN : 9782262042554, 400 pages, Biographies Perrin Editeurs, 21/01/2016 :